Les membres de l’école de Geet Gawaï de Petit-Raffray ont organisé une démonstration de leur art au Centre social de la localité où elles se rencontrent tous les vendredis pour apprendre, répéter et partager leurs connaissances concernant ce patrimoine immatériel de l’humanité, reconnu par l’UNESCO depuis 2016. C’était vendredi dernier, par une douce matinée ensoleillée, dans une ambiance intimiste, pour célébrer la fête de la musique.
Réunies au rez-de-chaussée du bâtiment, les Guruwaines (professeures de Geet Gawaï) et les Geetarines (pratiquantes) étaient parées de leurs plus beaux atouts pour l’occasion. Installées en demi-cercles sur des chaises, les musiciennes tenaient entre les mains les instruments traditionnels dont certains ont été créés pour les besoins des cérémonies – dholok, lota et cuillères, chimta, lakritaal (ndlR : deux morceaux de bois utilisés comme instruments) et l’assemblage des capsules sur un fil de fer ajusté sur un bois – tandis que les chanteuses attendaient religieusement l’accomplissement du rituel qui ouvre le spectacle.
La doyenne du groupe, Heymawtee Lochun, 81 ans, avance vers le centre, se prosterne, touche le sol pour prendre la bénédiction de la terre-mère « Pehle main sumiron dharti mata ke… » (Boodhoo, 2023, Geet Gawaï, an Ode to Geetharines in Mauritius). Elle reçoit aussi la bénédiction de la présidente de la Bhojpuri Speaking Union (BSU), Sarita Boodhoo, qui a été la cheville ouvrière du travail accompli pour une reconnaissance du Geet Gawaï par l’UNESCO et de la mise en place des écoles de Geet Gawaï à travers Maurice.
Les premières notes sont données, les premières paroles entonnées. Le rythme est répétitif. Il résonne dans le cœur. Le corps se fait instrument. Il obéit au temps et épouse la cadence. On bat des mains. Les invités sont dans un univers hors du temps. Celui qui a traversé plusieurs générations de femmes pour continuer à s’accomplir, ici. On n’a plus d’âge. Un sourire au visage…dans le cœur peut-être ! Toute l’atmosphère est sensuelle. Pas besoin de comprendre la langue. « Bhojpuri khub jholi ba (ndlR : le bhojpuri est très beau) », le répète souvent Sarita Boodhoo.
Dans la culture du Geet Gawaï, chaque mouvement, chaque geste, chaque instrument, chaque son, chaque parole est sacré. « Nous faisons toujours appel aux déesses avant d’entamer un chant pour avoir sa bénédiction », dira Sarita Boodhoo à Le-Mauricien. Si sa pratique est populaire, surtout lors des veilles de mariage, il faut savoir que le geet gawaï est intrinsèquement lié à la vie de ses pratiquantes.
« À chaque étape importante de la vie, on fait le geet gawaï : une naissance, quand le bébé mange pour la première fois, avant le mariage, pour le mariage, après le mariage », a souligné Heymawtee Lochun. « Parfois quand une femme ne peut pas avoir d’enfant, on organise une cérémonie et on fait appel à une divinité pour qu’elle tombe enceinte par la suite », renchérit la geetharine et guruwaine Teewantee Bundhoo, qui est également sage-femme. Sarita Boodhoo note qu’« il y a des chansons spécifiques pour chaque événement : pour qu’il pleuve, lorsqu’on fait un “godna” soit un tatouage… ».
Et l’amour est au cœur de cette pratique comme en témoigne la chanson emblématique Kehi Jala hajipur, un jhumar qui clôt le geet gawaï et toutes sont invitées à se joindre à la danse. La chanson a accompagné les premières travailleuses engagées venues à Maurice. Elle a traversé le temps, et est toujours très populaire à Maurice comme en Inde, d’après Sarita Boodhoo.
Ceux présents vendredi ont eu l’occasion d’apprécier des morceaux singuliers comme la gratitude exprimée par une des dadis ((ndlr :grand-mère) présentes pour la nourriture quotidienne. Si cela a commencé comme un jeu entre jeunes femmes dans la cuisine, dans le temps, il a fini par occuper une place sacrée dans le répertoire du geet gawaï mauricien. Assise par terre, la danseuse tient chacun de ses gros orteils entre le pouce et l’index et tourne sur elle-même au rythme de la musique en chantant. Elle en fait un tour et demi. « Elle racontait comment à l’époque, les femmes laboureuses mangeaient des brèdes et des grains secs », explique Rita Poonith, responsable de l’école de geet gawaï au Mauricien. « Li dir : mo’nn kwi enn gren sek, enn toufe bred malbar, mo vant inn plin. »
S’il y a quelques années, souligne Sarita Boodhoo, on pensait que le Geet Gawaï allait disparaître, avec sa reconnaissance internationale et la mise en place des écoles à travers le pays, nous avons constaté un intérêt que les jeunes y portent. « C’est même prometteur », positive notre interlocutrice.
Bhavna Calyachetty fait partie de la jeune génération qui s’y intéresse. Exerçant au sein de la BSU, elle fait une licence en hindoustani vocal au Mahatma Gandhi Institute, s’intéresse et pratique le Geet Gawaï. Les invités et les geetharines ont eu l’occasion de l’entendre chanter vendredi. Avec sa collègue Varsha Pudaruth, elles s’adonnent toutes les deux à la danse également.
La demi-journée de célébration a pris fin par un repas de fête, tipuri et sept caris, un bring and share des participantes, en toute convivialité. Au rythme du Geet Gawaï, de temps en temps !