Festival Reggae Donn Sa : vive célébration du reggae de 
l’océan Indien… sous tension

L’expression « ziska matingra » n’a pu se matérialiser en raison de la limitation sur l’heure imposée à cette 10e édition du festival. Une pression additionnelle des autorités, qui n’ont réussi à museler les voix du bassin indocéanique portant le reggae sous des teintes diverses. De : Joël Achille.

Le reggae de l’océan Indien a résonné puissamment le samedi 29 juillet au stade Germain Comarmond, à Bambous. Ce genre musical popularisé par le Jamaïcain Bob Marley a adopté différents traits reflétant la pluralité des peuples et culture du bassin indocéanique. Ce, tout en gardant sa philosophie revendicatrice pour l’égalité et la liberté d’être, dans le respect de tous. Toutefois, une question planait inlassablement en arrière-plan : qu’adviendrait-il à minuit ce samedi ?

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Pour cause, à l’occasion de cette 10e édition du festival Reggae Donn Sa, les autorités mauriciennes n’ont accordé de permis d’opérer que jusqu’à minuit. Un fait inédit pour cet événement réputé de se dérouler “ziska matingra”, comme le répète son organisateur, le chanteur Bruno Raya, de Live & Direct Entertainment. Une nouvelle limitation qui s’insère parmi une désormais longue liste de restrictions imposées au secteur artistique sous le gouvernement de Pravind Jugnauth, en fin de deuxième mandat.

Il est 00h11. Le groupe de Plaine-Magnien, The Prophecy, balance le refrain de Jah’O, la voix rauque de Murvin Clélie entraînant le public dans les sentiers qui « pou gid to bann zanfan, ki sime ki to bizin pran ». Les chœurs … d’une foule conquise gagnent l’ensemble du stade. Sous une lumière scénique d’un bleu apaisant, brille la magie instillée tout le long du festival.

Il est 00h11 quand le lieu sombre dans le noir total.

Coupure d’électricité générale. Quelque chose est arrivé, mais quoi ? Dans le public, c’est l’incompréhension. Les autorités sont-elles à l’origine de cet incident ? Est-ce simplement un court-circuit qui a tout fait sauter ? Jusqu’à ce jour, différentes versions des faits circulent.

Le public plongé dans l’obscurité après une coupure générale d’électricité

De longues minutes s’écoulent. Entre-temps, deux représentants des forces de l’ordre gagnent la régie. Il faut mettre un terme à l’événement, l’heure étant dépassée. La foule, elle, se doutant que quelque chose se trame en coulisses, s’amincit – les gens quittent en groupe la plaine sur laquelle avait été installée l’estrade.

Après un moment, Bruno Raya monte sur scène pour encourager les spectateurs à rester sur place car le festival se poursuivra pour encore quelque temps. Certains l’écoutent, d’autres non. Quelques-uns ont alors déjà abandonné les lieux.

Quelques minutes plus tard, l’électricité est rétablie. Néanmoins, les deux écrans géants installés des deux côtés de la scène déraillent, diffusant des images striées. Murvin Clélie regagne la scène.

De brèves explications qui se veulent rassurantes, mais tous comprennent qu’en backstage, un autre combat se mène.

Nouveau départ

La soirée reprend sur le même refrain et la semblable intensité. Cependant, les micros des deux incroyables chœurs ont sauté. Ils resteront dans le silence pour un moment. En attendant, en coulisses, les tractations se poursuivent entre autorités et organisation. L’échéance est arrivée à terme, il faut que tout s’arrête.

Murvin Clélie portant le reggae et le seggae du sud vers d’autres horizons

Des plaintes pour nuisances nocturnes auraient, par le passé, été consignées par des habitants alentours. Et ce, même si le village semble vivre grâce aux événements tenus au stade. Tout au long de la route, des locaux ont installé des stands pour vendre différents mets : mines frits, barbecue, roti… Certains offrent même des services de stationnement sur leur terre, pour “Rs 200”.

En backstage, une dérogation est accordée. De courte durée cependant.

Il est 00h38 quand la voix puissante du chanteur réunionnais Pix’l, émanent. Il retient l’attention dès les premières salves de Nouveau Départ, retrouvant une foule de fans de son île natale. Derrière lui cependant, deux policiers tentent de dissuader les organisateurs de le laisser monter sur scène.

Depuis La Réunion, les échos des restrictions à l’île Maurice génèrent des inquiétudes. Le chanteur a ainsi pu vivre de tous leurs poids les troublantes dénonciations faites par les acteurs de l’industrie artistique mauricienne. Les conditions qui lui sont imposées ne se révèlent nullement optimales pour la tenue sereine d’une performance.

L’enfant de Cité Vuillemin se présente malgré tout devant le public. Sur le set de sept titres prévus avec les musiciens de The Prophecy, après plusieurs répétitions tenues durant la semaine à Plaine-Magnien, Pix’l n’en jouera que trois. Un show écourté qui lui restera en travers de la gorge, mais l’encourageant davantage pour son concert à N’Joy, dans le nord, le dimanche 6 août.

Représentant La Réunion, Pix’l, l’enfant de Cité-Vuillemin, Beau-Bassin, était accompagné des musiciens de The Prophecy

À terme, Bruno Raya intervient en vue de remercier les autorités de leur indulgence et donner rendez-vous au public pour une nouvelle édition du festival de reggae, en fin d’année.

Les restrictions de la sorte sur l’heure de tenue des événements ont nul doute un impact sur les finances des organisateurs. Sur place, le public consomme moins vu que le festival se termine des heures plus tôt.

L’inquiétude et une forme de découragement se lisaient sur les visages des têtes pensantes de la soirée, qui a été, en somme, une vive commémoration des teintes de reggae indocéanique. Ce sur une terre où les principaux acteurs de ce genre musical, né du ska en Jamaïque, se plaignent de la mort des chansons dénonciatrices des maux sociaux.

Reggae, seggae, reggaesy.

Il y a eu le reggae revendicateur de Rodrigues avec Ras Natty Baby et son fameux Leve Do Mo Pep menant vers une Nuvel Vizion. Puis celui des Seychelles avec Mersener. Le Malgache Abdou Day, par l’entremise du reggaesy, mélange de reggae et de salegy, a invité à un voyage au travers de Madagascar. Empruntant ainsi la Nationale 10, qui mène jusqu’à Tuléar, bordé par le canal du Mozambique, dans le sud-ouest.

Le Malgache Abdou Day propageant le reggaesy à travers un voyage musical dans la Grande île.

Le début des lives était annoncé pour 18h avec Blakkayo. Ce dernier ne foulera toutefois la scène, l’un de ses musiciens ne parvenant à arriver sur les lieux à l’heure. Impossible de faire un quelconque compromis puisque la montre jouait en défaveur des organisateurs. Sur sa page Facebook, Blakkayo publiera : “Mo exkiz mwa opre tou mo bann fans ki’nn atann mwa perfom pou Festival Reggae Donn Sa. Mo ti prezan me malerezman enn parmi mo bann mizisien inn al gagn enn problem personel e par rapor a planning, lorganizasion pa’nn kapav dekal ler”.

De l’île Maurice, le discret fils du sud, Oeson, a rendu un hommage à sa Petite Reine. Son reggae né de l’Escalier et porté jusqu’aux hauteurs de La-Gaulette, où il réside, a su convaincre. Alors que Ras Nininn (accompagné d’une formation exceptionnelle) a délivré des Red Card au gré de son dernier album, mettant tout le monde d’accord avec Observé.

Antonio Perrine, la révélation des Bonnto Sessions (signés Richard Hein et studio Kapricorn), a conquis. Le plaidoyer de cet habitant des Plaines-Wilhems pour que « gagn drwa dir seki bizin dir » a été distillé au fil de Chaliss et Wi Ou, parmi ses autres morceaux phares.

Jonas and The Roots Level Band, avec Ludmila Ono en choeur.

Relevons le réagencement de ses œuvres avec une teinte de dub. Un trip dans la matrice renforcée par le mapping galactique défilant en arrière-plan, et les délires de ses musiciens, le bassiste Ashley Spéville se laissant par moments porté par les flots magnétisants.

L’apogée du festival écourté a été sans conteste le titre frissonnant Corona de Jonas & The Roots Level Band pour que « lamour gagne kont laenn » et « lape gagne kont lager ». L’apport en seconde voix de Ludmila Ono ne peut passer inaperçu. Du reggae, du seggae dans la plus somptueuse de ses formes.

Reggae Donn Sa Festival 2023, en dépit de l’ensemble des pressions exercées, a rappelé que l’art, la musique et le reggae (sous toutes ses formes) fédèrent le peuple. Par-delà le rang social, les méfaits politiques, la multitude de religions.

Reggae bizin kontigne zwe !

Joël Achille.

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