23 juillet 1983, rue Farquhar devant le Marché Central. 3 mai 2024, rond-point de Camp-Yoloff. Dans les deux cas, les événements se sont déroulés en plein air devant témoins. À première vue, aucune connexion ne peut être établie entre ces deux dates, espacées de quelque 41 ans déjà, avec des souvenirs balayés par les vagues du temps.
Mais les traces meurtries sont encore là, car les faits entourant ces deux dates sont encore plus têtus, même si toute coïncidence pourrait s’avérer fortuite aux yeux de certains. Chronologiquement, un premier dénominateur commun : ces deux dates s’inscrivent dans un contexte politique marqué par la tenue éventuelle d’élections générales, donc en marge de la campagne.
Deuxième élément commun entre ces deux dates fatidiques : des crimes ont été commis de sang-froid, et sans aucun remords de la part des agresseurs, qui ont achevé les victimes de plusieurs coups à l’arme blanche, le tout avec les protagonistes sachant pertinemment bien que tout se déroulait devant témoins.
Dans le cas du samedi 23 juillet 1983, Rashid Atchia était tombé victime sous les coups de l’arme du tueur Eshan Nayeck, alias Alexandre, au Marché Central. La victime avait osé reprocher à son agresseur : « To finn fer dominer avek mo frer. »
Il était 12h45. Ce fut alors que devait résonner cette hérésie politiquement historique : « To pa pou kapav fer narye. Mo ena gouvernman dan mo lame. »
Sauf qu’à cette époque, il était tabou de lier ces actes de violence au trafic de drogue, même si le Brown Sugar faisait rage. La virulence des intimidations n’avait pas de limites. Effectivement, ce crime allait rester impuni pendant quatre ans, au grand dam des témoins oculaires.
Il aura fallu le grand déballage du repenti Raffick Peerbaccus sur la mafia de la drogue devant la commission d’enquête, présidée par feu Maurice Rault, pour que justice fut faite. En tout cas, ce n’est nullement une apologie de la peine de mort. L’actuelle cheffe juge, Rehana Mungly-Gulbul, et son prédécesseur, Asraf Caunhye, peuvent témoigner des dessous, car ils avaient soutenu les accusations contre l’accusé.
Le chef juge d’alors, sir Victor Glover, avait prononcé la sentence de culpabilité contre le dénommé Alexandre le 22 juillet 1987, littéralement à la veille des élections générales du 30 août 1987.
Et le contexte du 3 mai 2024 n’est pas forcément différent en termes d’ambiance politique, sauf que la date du scrutin pour les prochaines élections législatives. Le crime a été commis dans la rue et en pleine journée, soit vers les 14h10. Les agresseurs de Goolam Khodabux, âgé de 60 ans, gravitent dans le giron d’au moins un politicien du pouvoir.
Un fait connu dans ce quartier de la capitale. L’un des membres du gang, qui portait une cagoule le jour du crime et Constituency Clerk-ersatz, recherché en vain par les limiers de la police depuis ce fatidique vendredi 3 mai, ne s’est constitué prisonnier que vendredi dernier. Il nie les faits retenus contre lui. La police fait son enquête pour établir les circonstances de cette agression mortelle et la responsabilité de chacun des huit suspects appréhendés dans le meurtre de cet habitant de Terre-Rouge à Camp-Yoloff.
Tout cela pour le volet de la coïncidence fortuite entre le 23 juillet 1983 au Marché Central et le 3 mai 2024 à Camp-Yoloff. Et pour le fait têtu alors ? Il n’y a qu’à faire de la place pour laisser parader sa Majesté Le Trafic de la Drogue sous toutes ses coutures.
Pourtant, la valeur marchande de la drogue saisie se compte par milliards sur le plan local. La coopération est embrigadée sur le front externe pour tenter de mettre les parrains de la mafia en position de mat.
N’empêche que la prolifération de la drogue continue non seulement à faire des dégâts dans les foyers, avec des parents ne sachant plus où donner de la tête avec un accroc aux stupéfiants sous le toit. La détresse quotidienne dans ces familles affectées est incommensurable et n’est nullement apaisée par la grandiloquence des discours.
La drogue tue. La drogue se manifeste par des actes d’agression de plus en plus violents physiquement au titre de règlements de comptes. Ces cas sont rapportés régulièrement au chapitre des faits divers. Mais la rixe violente de Camp-Yoloff du 3 mai 2024 est un signe, voire une note d’échec.
En 1987, année électorale, avec le Premier ministre d’alors en quête d’un troisième mandat au scrutin du 30 août et face à la spirale de la violence liée à la drogue, il avait osé bousculer dans sa comfort zone, sans commune mesure, l’established order à tous les niveaux.
C’est à ce prix alors que les dividendes de la lutte contre la drogue ont été générés, sinon les coïncidences resteront toujours fortuites et les faits têtus se manifestant devant la porte encore plus violemment…