Le récit autobiographique de Nitish Monebhurrun publié par Vizavi est un pavé jeté dans la mare mauricienne, faite de silences, complaisances, violences, complicités et lâchetés. Il interpelle sur l’éducation formelle pratiquée dans les écoles, celle moins formelle pratiquée dans les familles et la société, le tout présidé par un état sans boussoles et sans idées.
Nitish Monebhurrun décrit l’oppression systématique pratiquée par des enseignants à l’école de la peur. Où les enfants sont frappés à coups de rotins bazar, de règles aux bords de métal, de fils électriques sur les fesses, c’est plus douloureux que les rotins, plus humiliant, pour bien se classer au CPE, se faire admettre aux bons collèges. Avec la complicité des parents, des administrateurs et du public. « Sa voix me faisait mal et j’avais donc mal tout le temps. Il parvenait à me frapper rien qu’avec le son de sa voix », écrit l’auteur. Les répétitions des exercices et devoirs, afin de les connaître par cœur, sans aucune réflexion, tous dans le même moule, celui du système, où des hommes et des femmes reproduisent l’oppression qu’eux-mêmes avaient sans doute subie, persuadés que c’est ça l’éducation, c’est comme ça qu’il faut faire, c’est pour leur bien. Et ça continue lors des leçons particulières, aussi essentielles que payantes. Pourtant, ils sont en principe formés avec des notions de pédagogie, théorie et pratique, psychologie de l’enfance. Et inspectés, et supervisés. Alors, qui est responsable ? Il y a pourtant des lois.
Une fois rejoint le collège tant convoité, ne croyez pas que l’éducation devient plus épanouissante. On travaille pour réussir le SC, puis le HSC, le passeport pour l’université ou le travail. Dans ce contexte, l’oppression scolaire continue, l’élève n’est qu’un dominé, réceptacle pour bourrage de crâne et client pour leçons particulières. Une enseignante fraichement sortie de l’Université de Maurice faisait copier le manuel d’économie par la classe ! Lorsque les élèves ont tenté de protester elle a regimbé. Tout était bon pour infliger des humiliations et des punitions aux adolescents. Le régime totalitaire continuait à sévir, personne n’intervenait.
Quel citoyen produit le système éducatif mauricien, même légèrement modifié de temps en temps ? Des moutons obéissants prenant leur place dans le troupeau, incapable de réflexion, d’analyse, de créativité, prêt à tout pour réussir, comprenez économiquement. Prêts à se transformer en bourreaux aussitôt qu’ils en auraient l’occasion. Ou des exclus incapables d’entrer dans les moules et perdus pour le système. Ce système mis en place par les autorités coloniales pour former une petite élite administrative et professionnelle perdure. L’instruction généralisée à travers la hiérarchie sociale n’a jamais eu pour but l’émancipation et l’épanouissement du peuple mais pour mieux le contrôler, le rendre lettré et plus habile pour répondre aux besoins en main-d’œuvre et en intelligence motrice pour enrichir les classes dirigeantes. Chacun à sa place dans la hiérarchie des castes. Tant pis pour les rêveurs, les créatifs, ceux qui aspirent à la liberté et l’épanouissement. Le système les expulse. Heureux sont ceux, comme Nitish Monebhurrun, qui réussissent à empocher le diplôme convoité et fuir.
Car, en effet, il ne suffit pas de s’adapter au système éducatif pour réussir à Maurice. Il faut aussi pouvoir rentrer dans le carcan des « communautés ». Lorsqu’il voulut s’inscrire en mandarin à l’école primaire Nitish Monebhurrun enfant, se fit rire au nez. Il était prévu pour lui qu’il se joigne au cours d’Hindi. Même pas le Tamoul, ou l’Ourdou. Et laisser le foot aux Créoles ! Pas question d’être indécis quant à son appartenance ethnique ou religieuse. Le système politique est un lieu de savants marchandages entre des groupes de pression, s’appuyant sur la caste, la religion ou les nuances de celle-ci, pigment, race, région d’origine, appelés ici « communautés ». Être libre penseur ou sans religion devient ici problématique comme être « sans race ». Alors, gare aux non-conformistes !
Toutefois, le tableau n’est pas totalement noir. Certaines âmes généreuses réussissent à vaincre le système et percer. Dans leur humanité, leur intelligence et leur sensibilité. Tels ces pédagogues qui arrivent à aiguiser la curiosité des élèves, les motiver pour faire leurs propres découvertes, et leur rendre leur dignité. Mais le système leur rend la vie particulièrement difficile.
Ce livre arrive à un bon moment, après les bouleversements dus au Covid-19, pour susciter un débat, réfléchir ensemble sur quel type de générations futures on veut former pour le pays et prendre des mesures correctives. Sinon, nous nous faisons tous complices du système actuel.
Amenah Jahangeer-Chojoo