Expo au CAC – Nirveda Alleck : « représentation de l’humain, un dialogue entre le passé et le présent »

No story is an island. Tel est l’intitulé de l’exposition de la plasticienne Nirveda Alleck, qui se tient au Basement du Caudan Arts Centre (CAC), au Caudan. À travers ses toiles et installations, l’artiste s’interroge et interpelle le visiteur sur la thématique qu’elle traite, soit une représentation de l’être humain à travers un dialogue entre le passé et le présent.
« C’est l’histoire qu’on raconte autour des images », dit-elle à Le Mauricien, qui l’a récemment rencontrée au CAC. « Très souvent, nous considérons le passé comme figé dans le temps. Or, pour comprendre la société d’aujourd’hui et les ségrégations qu’il y a entre différentes ethnies, communautés et classes sociales, je suis allée voir la représentation de l’être humain à l’époque et aujourd’hui », dit-elle.

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Une grande toile, un fond de décor représentant un paysage à dominance bleue, deux nus, un homme et une femme. Une toile qui frappe d’emblée le visiteur, pénétrant le lieu d’exposition par la naturalité première qu’elle offre à voir, voire la vulnérabilité du couple vu de dos.

Pour Nirveda Alleck, c’est d’une part, montrer « la nature de toute sa splendeur dépourvue de personnages » en reprenant le tableau de l’artiste Adolphe Leroy, Les Gorges de la Rivière du Mât, réalisé en 1877, et disponible à l’iconothèque de l’océan indien, dont le siège est à La-Réunion. Et, d’autre part, s’interroger sur ces personnes qu’elle vient poser dessus. « À qui appartiendraient ces corps ? Au pays où ils se trouvent ou à leurs pays d’origine ? » demande-t-elle.

Dans L’impossible dévoilement de la nudité, publié en 2015, Jean-Jacques Wunenburger parle du nu comme d’un être paradoxal. « Inexistant, parce que anonyme et n’appartenant à personne , tout en étant une généralité qui appartient à tout le monde ».

Cette peinture s’étend à la lisière d’une superposition de photos datant de la même époque, soit de 1863, signée Désiré Charnay, et dont l’intersection est peinte en jaune. « La bande jaune qu’on voit indique que c’est le passé, et les images sont superposées », avance-t-elle. L’interrogation se poursuit puisque l’image souhaite montrer des corps esclavés à une période où l’esclavage n’existait plus, et ce sont des prisonniers qui ont fait l’objet de ces représentations. « Il s’agit d’une mise en scène du photographe », dit-elle.
D’autres travaux sont réalisés dans le même esprit, comme Voyage à la Rivière des Roches, une huile de 220 cm par 12 cm fondée sur des photos de Désiré Charnay, Types africains, indiens et chinois, de 1863, et Chutes de la rivière des Roches dans l’île de Bourbon, de Bory de Saint Vincent, datant de 1804.

De l’Iconothèque de l’océan indien, où elle a trouvé des documents, et d’images d’archives, elle constate que Charnay représentait ces personnes « une de face, une de dos et une de profil ». Elle explique : « Il dénudait les femmes et même les hommes pour les faire poser. Ce sont des personnages que j’ai redessinés. Ils vont dans différents endroits pour explorer. Ainsi, en superposant les peintures et les impressions, je force ce mouvement. »
En outre, Nirveda Alleck explore des travaux d’autres artistes de l’époque, surtout de Jacques Désiré Milbert, sur qui elle travaille depuis un moment. « Tous ces gens étaient eux-mêmes artistes. Ma question est : quel était leur sens d’engagement avec la condition humaine à l’époque ? » Elle s’est donc intéressée à la manière dont il recrée les scènes mauriciennes : « Les seuls personnages qu’on voit sont ceux qui l’accompagnaient dans ces différents endroits. »

Idem pour Bory de Saint Vincent de La Réunion. « Quand on voit le palanquin, on peut penser que c’était un moyen de transport de l’époque. Or, c’était celui du dessinateur. » Elle ajoute également de la valeur symbolique à des scènes d’esclavés à partir de forme ovale, dans laquelle elle les place, en référence à Fabergé.

Nirveda Alleck consacre aussi une partie de son exposition à une interrogation directe de la négociation de la jeune génération avec son passé. « Le millénaire, celui qui va travailler à Ébène, et qui s’habille bien. Comment négocie-t-il cette histoire ? » Elle le montre comme un être qui flotte. Représenté à la verticale. Il transcende, dit-elle.
Une transcendance qui résulte d’un dialogue avec ce passé, symbolisé en outre par la présence de deux chaises rouges, en formica, que d’aucuns ont connu à Maurice, indépendamment de l’appartenance socio-économique.

« Cela invite à une réflexion ! » Elle utilise l’objet pour faire une installation également. Des racines qui sortent et recouvrent cette chaise. « Elles invitent à voir la permanence des choses différemment. »
Une liste de noms issus de l’ouvrage du défunt historien Benjamin Mootoo, inscrits sous les peintures : Je suis… Je suis… Amnésie est un diptyque présenté à la manière « d’un annuaire téléphonique », montrant d’une part une scène dure du traitement des esclavés et une représentation de la cale d’un bateau négrier. « Ce n’est pas une simple anachronie. Ce manuscrit raconte une histoire tragique. »

Elle précise : « Ce n’est pas fait pour accuser, mais pour s’interroger. Est-ce que la jeune génération issue de ces familles s’affirme par rapport à cette histoire ? Comment l’explique-t-elle ? Chacun doit la négocier à différents niveaux. Si on dit que tout le monde le faisait, c’est réducteur, puisque les séquelles sont toujours là. »

L’exposition comprend également trois photographies expérimentales en noir et blanc. « Je voulais voir l’effet que la terre fait sur le corps. La structure autour du visage est inspirée de la représentation de la déesse hindoue Varahi, comme un sanglier, et symbolise la limite de l’existence. On s’interroge sur l’imposition d’une idée ou d’une culture sur une personne. »

L’écrivain Bertrand d’Espaignet, également ami de l’artiste, accompagne ses travaux avec des textes. L’œuvre globale de Nirveda Alleck relève d’un devoir de mémoire.

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