ÉTONNANT CHAZAL !

Robert Furlong
Président de la Fondation Malcolm de Chazal de 2011 à 2014

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ROBERT FURLONG,
Président du Ccef

Voici 43 ans que Malcolm de Chazal nous a quittés, un vendredi 2 octobre… Il y avait peu de monde, une trentaine environ, pour l’accompagner jusqu’au temple de l’Église de la Nouvelle Jérusalem à la rue Rémono, Curepipe, où son neveu, le père Henri Souchon, présida le service funéraire. Quelques moments plus tard, le cimetière de Bonne-Terre à Phoenix accueillait celui qui depuis les années 30 n’avait cessé d’influer sur la pensée et l’expression culturelle mauricienne sous quasiment toutes ses formes de manifestation.

Qui aurait pensé que cet ingénieur mauricien, issu des meilleures écoles d’ingénierie américaines de Louisiane, allait bouleverser la peinture contemporaine et l’usage des couleurs sans être à proprement parler un peintre ? Car lorsque Malcolm de Chazal (1902-1981) se mit à peindre, très précisément en juin 1958, il n’avait ni formation ni expérience en la matière… Bien que fasciné par la magie, la vertu et le pouvoir des couleurs qu’il avait maintes fois décrites dans ses écrits et qu’il considérait comme « l’alphabet solaire », ce n’est que par le plus grand des hasards qu’il réalise combien les couleurs représentent une poésie dynamique, rayonnante, sensuelle, lumineuse, pétillante de vie et d’amour… Ce hasard s’appelle Martine, petite fille de huit ans que Malcolm surprend, un après-midi de 1958, en train de peindre dans le cadre d’un travail scolaire… Et il découvre, dans la pratique enfantine et maladroite de cet enfant, qu’utiliser des couleurs et croquer les formes représentent une forme d’écriture et que c’est celle qu’il cherchait justement…

Depuis plus de 20 ans déjà, Malcolm de Chazal écrivait et publiait localement pour le marché mauricien : d’abord des essais d’économie politique ; puis 7 volumes d’aphorismes qui lui ont ouvert les portes de l’édition française, l’un d’entre eux rassemblant plus de 2000 aphorismes fortement poétiques (1) et l’autre détaillant sa technique d’écriture (2); puis une quinzaine de pièces de théâtre, des contes, une vingtaine d’essais métaphysiques, des poèmes… La petite Martine est arrivée à point nommé ouvrant grande à Chazal la porte d’un nouveau monde : celui des couleurs et des formes… Malcolm de Chazal, sensible à l’outil artistique, en saisira toutes les promesses, inventera des formes, innovera dans l’usage des couleurs en aplats et réalisera à tour de bras des tableaux splendides, hauts en couleurs et fortement poétiques.

Malcolm de Chazal était, pour le moins, atypique : il était certes ingénieur de formation, mais il s’était — par la force des choses et des évènements – éloigné de ce domaine, se contentant pour vivre d’un poste de petit fonctionnaire. En désaccord avec son groupe social, qui dominait la principale industrie locale, il devint l’enfant terrible des lettres mauriciennes, le pourfendeur des nantis, l’habitué des autobus poussiéreux des campagnes, le marcheur impénitent décryptant les montagnes… un ‘phénomène’ au sens mauricien du terme, ce qui équivaut à le placer haut sur l’échelle de la folie… Mais Malcolm de Chazal était fondamentalement un poète et deux révélations avaient transformé l’ingénieur fraichement rentré au pays : d’abord, la révélation de la fleur qui se manifesta un matin qu’il traversait le jardin public jouxtant sa demeure et qu’il vit une fleur d’azalée le regarder, entrant en communication visuelle avec lui ; puis, la révélation de la pierre liée au fait que les montagnes de son ile – pic émergé d’un continent englouti, la Lémurie – auraient été taillées par des géants lémuriens qui y sculptaient des scènes édifiantes. L’ile est donc une source permanente de poésie pour qui sait la chercher…

Et Malcolm de Chazal veut par-dessus tout révéler son île, et sa peinture sera le moyen de partager sa féerie permanente. « Renverse tout de cette vie-ci, ami, et tu connaîtras la vraie réalité ! Sois poète et tu vivras ! » avait-il écrit en avril 1953 traçant — sans s’en douter peut-être — son propre itinéraire d’artiste et de poète. Car Malcolm de Chazal s’est mis, avec un ravissement total, à tout renverser pour créer de la féerie à travers une œuvre féconde, riche de messages, de visions, d’aperceptions, d’enseignements, de pistes à suivre, de fenêtres sur la Vérité, de provocations, de boutades, d’humeurs, d’humour, de poésie permanente, en un mot de VIE ! Lorsqu’on lui demande comment il peint, un an après s’être érigé peintre, il répond : « Mes dessins sont des méta-dessins. Je peins à bout portant. Je laisse agir le soleil de l’inconscient, qui est la source de toutes les couleurs. J’appelle cela peindre au-delà de soi-même. Ne pas peindre, mais être peint. Je suis poète, homme solaire…» Une orientation se dessine alors : représenter la féerie de l’univers en humanisant les choses et les êtres… « Le monde de fées c’est tout l’art de l’innocence. Cet art de l’innocence, c’est l’humanisation, qui couvre tout, qui est tout, parce que l’humanisation c’est le principe magique en soi. Nous sommes ici au cœur de la connaissance.

La lecture poétique de l’ile, que sa peinture illustre superbement et à qui elle donne de nouvelles dimensions, apparait in fine comme viatique, source de rédemption, passeport pour l’universel, porte menant au cosmique… À travers son œuvre, Malcolm de Chazal avait une expression fétiche : au-delà de… Ainsi fallait-il aimer, vivre, écrire, peindre, lire, s’exprimer … au-delà de soi-même dans le simple but « de se donner. Et le don enrichit. Cette « richesse » grandit la personnalité. Et l’on monte. Où ? En soi-même. J’ai nommé la délivrance. Il n’y a pas d’autre forme de libération. »

À l’écoute des uns et des autres, on a l’impression que l’île Maurice a surtout retenu de Malcolm de Chazal ses frasques et ses manifestations d’humeur et/ou d’humour. On a donc encore beaucoup à apprendre de ses chemins de délivrance.

(1) Sens-Plastique, Gallimard, 1948

(2) La Vie Filtrée, Gallimard, 1949.

 

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