Après avoir tout tenté afin de colmater les brèches et sauver son pays de l’effondrement, Mikhaïl Gorbatchev finit par jeter l’éponge le 26 décembre 1991, les forces de la division étant devenues intenables. Ainsi, à minuit pile, l’URSS rendit l’âme à l’âge de 69 ans (1922-1991), ouvrant la voie à une période de grande incertitude et une longue traversée du désert, que ce soit sur le plan économique, politique ou social, aux peuples des 15 nouvelles républiques, souveraines et indépendantes. Les relations entre elles ne sont pas toujours au beau fixe et dégénèrent parfois en violence et guerre ouverte, comme c’est le cas actuellement entre la Russie et l’Ukraine.
Même si Mikhaïl Gorbatchev ne s’était jamais exprimé publiquement sur ce conflit d’une violence inédite en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, selon certains de ses proches, la situation de ces six derniers mois l’avait considérablement bouleversé. Or, une telle situation était totalement impensable avant la chute de l’Union soviétique et de nombreux observateurs d’ailleurs ne passent pas par quatre chemins pour en faire porter le chapeau à Gorbatchev. D’ailleurs, dans un livre publié en novembre 2012 intitulé « En tête-à-tête avec soi-même », ce dernier fait son mea culpa et confesse sans détour ses « erreurs » du passé tout en regrettant de n’avoir pu mener l’URSS à « bon port ». Il dit se sentir « coupable » et estime « grande » sa responsabilité « tant à l’égard de l’URSS que de la politique mondiale ». L’auteur regrette également de n’avoir pu « réformer à temps l’Union » et « transformer le Parti communiste en un parti démocratique moderne ». Comme quoi, l’on serait tenté de se demander si les instigateurs du coup d’État d’août 1991, mené par nul autre que le No.2 du régime d’alors, n’étaient pas bien inspirés.
Boris Eltsine qui porta le coup de grâce à l’Union après l’échec du putsch et pendant ses huit années passées à la présidence de la Fédération de Russie de 1991 à 1999, n’avait fait qu’accélérer la politique de libéralisation, privatisation et décentralisation tous azimuts alors que les instances officielles pour gérer légalement ces projets nouveaux étaient quasiment absentes. Ce qui donna lieu à des crises financières sans précédent, un chaos politique indescriptible, des pénuries des denrées alimentaires et hausses vertigineuses des prix, au chômage et à la corruption, deux fléaux sociaux pratiquement inexistants sous l’URSS. Si Vladimir Poutine tient Gorbatchev pour responsable « de la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle » que représente justement l’effondrement de la puissance soviétique, il tend toujours et soigneusement à épargner son prédécesseur, Boris Eltsine, car c’est à lui que ce dernier, souffrant d’une santé défaillante en raison de son penchant prononcé pour la bouteille et, par conséquent, dans l’incapacité de gouverner pour terminer son second mandat, choisit d’offrir, sur un plateau, les clefs du Kremlin en janvier 2000 avant même l’organisation d’un scrutin populaire.
Originaire de Stavropol, ville d’environ 400,000 habitants dans le Sud-Ouest de la Russie, Gorbatchev fit de brillantes études de droit à l’université de Moscou et fut rapidement repéré par le chef du KGB d’alors, Youri Andropov, qui le fit monter vers la capitale en 1978 pour assumer de hautes responsabilités au sein du Parti communiste où son ascension fut particulièrement fulgurante. Tant et si bien qu’il finit par occuper la plus haute fonction de Secrétaire général du parti en 1985 à l’âge de 54 ans et devint le dernier président de l’URSS quatre années plus tard. Bien qu’il obtint le prix Nobel de la paix en 1990 pour sa politique prônant le rapprochement Est-Ouest, néanmoins la guerre froide entre la Russie et les États-Unis n’a point connu de répit ces dernières décennies. Bien au contraire et elle atteint même ces jours-ci des sommets inégalables avec le conflit russo-ukrainien.
Par ailleurs, l’un des principaux reproches formulés à l’encontre de Mikhaïl Gorbatchev par ses compatriotes, c’est d’avoir accepté sans broncher presque toutes les concessions vitales réclamées par l’Occident. Or, si l’exigence de Moscou selon laquelle la frontière de l’OTAN ne devrait pas bouger d’un iota après la chute du mur de Berlin faisait partie intégrante de l’accord signé en septembre 1990 à Moscou par les 4 pays vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, notamment l’URSS, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, accord définissant les nouvelles frontières d’une Allemagne réunifiée, la guerre en Ukraine n’aurait probablement jamais eu lieu. Et dans cette guerre qui risque de durer, la Maison-Blanche, manifestement, voit une opportunité de donner l’estocade aux derniers vestiges de l’URSS que représente, pour elle, la Russie avec Moscou comme capitale. Ainsi, même si Zelensky avait consenti à un statut de neutralité pour l’Ukraine – une des revendications phares de Poutine – quelques jours après le début de l’opération militaire, Joe Biden, lui, ne l’entend pas de cette oreille et voulant, à tout prix affaiblir et vaincre la Russie, il promet de fournir tout le matériel militaire nécessaire à Kiev, quitte à subir le coût d’une telle opération évaluée à des milliards de dollars puisés de l’argent des contribuables américains. Or, entre-temps, ce sont des centaines de civils et soldats ukrainiens qui tombent chaque jour sur le champ de bataille.
Finalement, et comme il fallait s’y attendre, ce sont les dirigeants occidentaux qui ont rendu les hommages les plus appuyés et marqués à l’égard de Mikhaïl Gorbatchev. Obsèques nationales en Russie, il n’y avait point. Vladimir Poutine n’a même pas assisté aux funérailles le 3 septembre dernier, évoquant « un agenda trop chargé ». Ce qui indique que la mémoire de celui qui fut le dernier dirigeant de l’URSS serait probablement reléguée aux oubliettes de l’histoire.