Jeudi dernier, c’est avec sobriété que l’île Maurice a marqué un anniversaire qui doit interpeller. Et ce n’est pas n’importe quel anniversaire. Mais le tricentenaire de trois événements qui ont laissé leurs traces indélébiles sur ce que chaque Mauricien est aujourd’hui au sein de la jeune République.
Comme l’a résumé si bien le père Alain Romaine en la cathédrale Saint-Louis, ces étapes demeurent incontournables dans l’Histoire de Maurice, en l’occurrence « l’installation d’une colonie française – à la base de notre peuplement, l’installation de la mission catholique, et le débarquement des premiers esclaves, avec notamment la première traite française d’esclaves effectuée sur Madagascar à la baie d’Antongil pour l’Isle de France ». Chacun de ces événements a apporté sa contribution marquante à l’édifice de ce qu’est la République de Maurice d’aujourd’hui. Au titre de l’époque coloniale française, Mahé de Labourdonnais est plus Mauricien que Français. En tout cas, la présence de ce personnage historique reste imposante. Sa ville natale de Saint-Malo n’a été dotée d’une statue de ce gouverneur qu’en 1989, soit bien longtemps après Port-Louis.
L’empreinte de l’Église catholique reste incontestable et est reconnue dans divers domaines du quotidien à Maurice. Peu importent les conditions existantes. Elle est inébranlable. Et c’est avec raison que le représentant de l’évêque du diocèse de Port-Louis, Maurice Piat, rappelle à cette occasion solennelle que « la position de l’Église sera toujours la même : annoncer et dénoncer ».
Finalement, le débarquement des premiers esclaves et le cheminement de ceux qui ont suivi ce premier contingent témoignent de leur contribution à façonner ce qui est présenté comme « le signe de résilience de l’âme mauricienne ». Tout cela en dépit des difficultés et des obstacles, des fois insurmontables aux yeux de certains, comme le Pr James Meade et Richard Titmuss avec leur Doomsday Prophecy pour Maurice au début des années 1960 suite au passage des cyclones Carol et Alix.
Trois cents ans après, l’île Maurice est le fruit du dur labeur et de l’engagement de chaque Mauricien. C’est l’héritage que nous ont légué les précédentes générations, chacune à leur façon. Tout cela avec une constance : le goût de l’effort pour créer de meilleures conditions de vie et construire en cette île Maurice ce coin de paradis perdu.
Un anniversaire ne correspond pas seulement à la célébration de nos succès d’antan. C’est probablement aussi le temps d’une introspection. Le maître-mot de tout progrès reste le travail. Dans tous les domaines.
Que ce soit au début de la colonisation il y a 300 ans, au lendemain de l’accession de Maurice au statut d’indépendance en 1968, ou encore en pleine période de miracle économique, alors que quelques années auparavant, soit la fin des années 1970 et celles des eighties, l’horizon était des plus sombres, au point de susciter une nouvelle vague d’émigration, comme à l’époque du Patris pour l’Australie, la clé ouvrant les perspectives d’un revival a été la conjugaison du travail et de la foi de réussir dans ce qui est entrepris.
C’est ce que l’Histoire nous apprend, même si aujourd’hui on n’apprend plus l’Histoire à la jeune génération, dont l’horizon ne s’arrête qu’à un écran virtuel. Pour ne pas dire au bout du nez. Sans effort et sans perspective. Le tout dénué de créativité, avec une forte dose de robotisation et sans la moindre sensibilité humaine.
Le sens de l’Histoire redonne des lettres de noblesse à cette expression, que l’on n’entend que très rarement aujourd’hui : « Monn trime pou gagn sa ! » Le tout dit avec une satisfaction des plus légitimes, mélangée de sueur et de sang.
L’Histoire repousse dans les limites du possible les effets délétères de la mémoire sélective, au point d’entendre le père Romaine regretter l’absence de toute mention collective du tricentenaire de la création de la ville de Port-Louis. Pourtant, pour l’élévation de Port-Louis au statut de Cité en 1966, qui ne se rappelle pas des festivités grandioses et populaires organisées à l’époque…
Pour poursuivre l’œuvre de construction de la nation mauricienne, en cette année du tricentenaire, le moment n’est-il pas venu de se réapproprier et de réapprivoiser l’Histoire en privilégiant de nouveau sur toute autre chose l’effort au quotidien à cet acte d’abnégation, le ciment de la construction nationale toujours en marche…