ESCLAVAGE ET RÉSISTANCE – Pour une société solidaire, juste et résiliente, et une mémoire collective réconciliée !

« Et je crois que la vérité, aussi douloureuse soit-elle, doit être regardée en face afin que l’apaisement puisse se faire… Mon père a aidé à créer la commission qui donnerait l’occasion à l’assassin de ma mère de repartir libre sans connaître de châtiment. » – Gillian Slovo, Afrique du Sud, 2002 (i).

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“A post-reparations society would focus on education and civic participation so that current and future generations can address the challenges of climate change, health inequalities, systemic racism, gender-based violence and poverty; it could encourage us to rethink the notion of happiness, one that is not based on instant and individual gratification but on collective achievement. It would be a society able to build a reconciled collective memory.” – Dr Olivette Otele, professeure d’histoire à la School of Oriental and African Studies, in The Guardian, More than Money, The Logic of Slavery Reparations, 31 mars 2023 (ii).

Ni chaînes ni maîtres (iii), film français réalisé par Simon Moutaïrou et écrit grâce au concours de travaux d’historiens/nes mauriciens/nes, traite de l’esclavage et du marronnage à Maurice. Sorti en salle cette semaine, ce film pourrait – devrait – être l’occasion d’ouvrir une nouvelle fois la conversation autour de l’esclavage, du devoir de mémoire et des réparations. Nous sommes en période électorale, et comme à l’accoutumée, des propos et des discours sectaires enflammés seront sans doute tenus en public ou en privé. Une situation qui est loin de favoriser un débat dépassionné et franc si nécessaire ; et à la place, de construire, ensemble, une société solidaire, juste et résiliente capable de forger une mémoire collective réconciliée, comme le dit si justement Olivette Otele.

Commission Justice et Vérité

Inspirée de ce qui s’était fait ailleurs dans le monde (notamment en Afrique du Sud en 1994), la Commission Justice et Vérité (Truth and Justice Commission) mauricienne, mise sur pied en 2010, s’était penchée sur une période douloureuse de l’histoire du pays et avait pour mandat d’étudier les conséquences de l’esclavage et de l’engagisme pendant la période coloniale au temps présent et de faire des recommandations au président de la République sur les mesures à prendre pour atteindre la justice sociale et l’unité nationale. (iv)

Si l’on ressentait alors le besoin de mettre en place une telle commission, c’est que les blessures vieilles de plus de 200 ans ne s’étaient pas encore cicatrisées, ou si elles l’étaient, leurs marques toujours vives réveillaient régulièrement des peines non apaisées.

Réconciliation ne veut pas dire oublier, mais reconnaître qu’un tort a été commis, identifier la nature de ce tort et ses conséquences, situer les responsabilités de chacun et établir un modus operandi pour que les différentes parties puissent vivre dans une même société sans constamment se jeter le passé et des propos racistes à la figure.

Réconciliation ne veut pas dire non plus simplement reconnaître un tort sans excuses ni réparations. Parce que les séquelles constituent en partie le frein qui empêche des citoyens de notre pays à trouver leur place et de s’intégrer dans la société. Les esclavé.e.s ont été destitué.e.s de tout : de leur liberté, de leur nom, de leur famille, de leur langue ; et même leur âme était niée car à l’époque, l’idée occidentale dominante était qu’il n’y a d’âme que d’âme chrétienne. Personne ne peut sortir de ce genre de négation sans séquelles. L’abolition de l’esclavage n’a pas été une machine à remonter le temps qui puisse effacer tout le mal fait. Les nouveaux schèmes sociaux et culturels apparus après l’abolition de l’esclavage ont fait que la population des descendant.e.s d’esclavé.e.s est toujours marquée par ces séquelles. Bien sûr, d’autres facteurs historiques et sociaux entrent en jeu pour compléter le tableau explicatif de la situation actuelle et il n’est pas possible de tout mettre sur le compte de l’esclavage. Mais il est nécessaire de reconnaître l’existence d’un fardeau extrêmement lourd à porter.

Dans un article publié dans Forum en mars 2010 (Commission Justice et Vérité, Devoir de mémoire et réparations), je rappelais le cas de l’un de ceux qui avait contribué à mettre sur pied, à la fin de l’apartheid, la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud : Joe Slovo. Militant – blanc – de l’African National Congress (ANC), Joe Slovo était l’époux de Ruth First, militante – blanche – anti-apartheid tuée par un colis piégé envoyé par les services secrets sud-africains en 1982. Leur fille, Gillian Slovo, a écrit sur cette Commission et tous les questionnements qui ont entouré sa mise en place et sa finalité. Elle résumait ainsi la position de l’ANC sur la commission : « Et je crois que la vérité, aussi douloureuse soit-elle, doit être regardée en face afin que l’apaisement puisse se faire… Mon père a aidé à créer la commission qui donnerait l’occasion à l’assassin de ma mère de repartir libre sans connaître de châtiment ».

Justice réparatrice

Pour elle, il était correct que la justice punitive laisse la place à la justice réparatrice (v), soit une justice qui dirige son attention vers les besoins et la participation des victimes, et de cette manière, contribue à réparer le mal fait. Pour ceux qui ont créé la Commission, rappelait Gillian Slovo, seul un avenir qui s’attaque aux inégalités, qui génère la justice sociale peut réellement réparer le passé. « Et en ceci, » disait-elle, « ils ont bien sûr raison». Gillian Slovo, qui écrivait ceci huit ans après l’institution de la Commission, regrettait que sur la question des réparations, la Commission avait, à 2002, échoué.

Depuis, le principe de réparations ou d’une justice réparatrice a fait du chemin. L’idée est controversée, écrit Olivette Otele, surtout dans des pays qui n’ont pas admis que les siècles d’inégalité raciale ont produit les inégalités sociales et économiques criantes d’aujourd’hui. À propos de l’esclavage précisément, plusieurs rapports, études et articles y sont consacrés (voir les notes de bas de page). Récemment, les trois candidats en lice au poste de secrétaire général du Commonwealth ont fait appel à des réparations pour les pays affectés par l’esclavage et le colonialisme. (vi) Des pays africains et des Caraïbes (Union africaine et Caricom) ont formé une alliance en 2023 pour faire pression sur les pays européens responsables de la mise en esclavage de millions d’Africains. Des gouvernements, des institutions et des familles ont commencé à se pencher sur la façon dont ils ont bénéficié de l’esclavage alors que d’autres demeurent silencieux.

Dans son excellent article, More Than Money, The Logic of Reparations for Slavery, Olivette Otele (vii et viii) écrit: “When it comes to addressing the harms of slavery and colonialism, “restorative justice” is often a more palatable term than “reparations”. Perhaps the latter seems coldly transactional, nothing more than a transfer of cash, whereas “restorative justice” implies collaboration and healing. But whichever term they use, groups that advocate for reparations almost never seek only money. Their work is grounded in an understanding that the social, the political and the economic are bound together and must be addressed together, creating the possibility of a better world.

Et ici, quinze ans après la mise en place de la Commission Justice et Vérité, où en sommes-nous ? Les espoirs suscités par les travaux et les recommandations de la Commission ont-ils été réalisés ? Quel chemin avons-nous fait vers la justice sociale et l’unité nationale ?

Ces questions restent ouvertes. (ix) Cependant, malgré des avancées – création d’une Land Division au sein de la Cour Suprême en 2020, mise en place du Musée de l’Esclavage, introduction du Kreol Morisien dans les écoles et à l’Université de Maurice, certaines facilités pour la recherche généalogique, entre autres –, on peut voir que les principales sources d’inégalités sociales et économiques demeurent pour les descendants d’esclavé.e.s et de travailleurs engagé.e.s. Les richesses restent concentrées entre les mains d’une petite minorité, et les inégalités sociales et économiques se creusent, notamment en raison du modèle de développement en cours. L’accès à des droits humains, comme les droits au logement, à l’eau potable, au travail ou à une source de revenus sûre, à un environnement sain, et à une qualité de vie digne est précaire. Les systèmes d’éducation et de santé publics sont les parents pauvres d’un modèle qui encourage le privé.

Que cette période électorale soit celle où sont débattues ces questions et des propositions telles que celle de l’instauration dans la Constitution mauricienne des droits sociaux et économiques, du droit à l’environnement et la nature !

Adi Teelock

 

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(i)https://www.opendemocracy.net/en/article_818jsp/

 

(ii)https://www.theguardian.com/news/ng-interactive/2023/mar/31/more-than-money-the-logic-of-slavery-reparations

 

(iii)https://la1ere.francetvinfo.fr/ni-chaines-ni-maitres-grand-film-hommage-au-marronnage-1521296.html

 

(iv)Truth and Justice Commission Act, 2008 https://attorneygeneral.govmu.org/Documents/Laws%20of%20Mauritius/A-Z%20Acts/T/Tr/TRUTHANDJUSTICECOMMISSIONACTNo28of2008.pdf

(v)Commémoration des victimes de l’esclavage : Guterres réclame la mise en place d’une justice réparatrice

https://news.un.org/fr/story/2024/03/1144336

(vi)Candidates to lead Commonwealth urge reparations for slavery and colonialism

https://www.theguardian.com/world/2024/sep/11/candidates-to-lead-commonwealth-urge-reparations-for-slavery-and-colonialism?CMP=share_btn_url&fbclid=IwY2xjawFPYspleHRuA2FlbQIxMQABHcPcDDgnD6a-CralxFh656e-VKCDYb1Ya_v9fCZbckK7ukCFMGI4bWJZHQ_aem_-E5vVRokIezpOA52cK6OsA

 

(vii)Olivette Otele: SOAS is the place to be, September 2022
https://www.soas.ac.uk/about/blog/olivette-otele-soas-place-be

 

(viii)https://www.college-de-france.fr/fr/personne/olivette-otele

 

(ix)Submission to the Special Rapporteur on the promotion of truth, justice, reparation and guarantees of non-recurrence for his report to be presented at the 76th session of the General Assembly by the International Observatory of Human Rights, ‘On the adoption of transitional justice to address the legacy of colonial crimes in Mauritius and Burundi’ https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/Truth/CallLegacyColonialism/CSO/International-Observatory-Human-Rights.pdf

 

 

https://www.college-de-france.fr/fr/personne/olivette-otele

 

 

 

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