L’Université de Maurice accueille depuis hier une nouvelle conférence internationale sur l’histoire de l’esclavage, ouverte au public. Elle offre aussi une tribune aux activistes des droits humains de différents pays. “Between slavery and post-slavery ; Citizenship, dependence, and abolitionnism in African and Indian Ocean sociétés”, tel est le thème général sur lequel les 47 orateurs prévus devraient intervenir.
Créer un lien entre le passé et le monde d’aujourd’hui, en ne se limitant pas stricto sensu aux travaux universitaires. La conférence internationale sur l’histoire de l’esclavage qui se tient à l’Université de Maurice est l’occasion pour différents intervenants d’examiner la question de l’esclavage de façon à la fois approfondie et étendue, illustrant son caractère mondialisé, ses différentes formes de persistance et ses multiples facettes.
Outre le politicien Sylvio Michel, qui a tenu une allocution inaugurale hier en début d’après-midi, témoignant ainsi de sa longue expérience du combat pour la réparation depuis les années 70’, la matinée d’aujourd’hui est tout spécialement consacrée à des personnalités, qui se sont distinguées en tant qu’activistes de l’abolitionnisme et des droits humains dans leur pays, pour la lutte contre les formes modernes de l’esclavage.
Cette séance très particulière est présidée par Benedetta Rossi de l’Université de Birmingham, qui est par ailleurs un des piliers du réseau SLAFNET (Slavery in Africa network). Maurice doit assurer la mise en place de ce projet de partage et de dissémination de l’information en collaboration avec six autres universités. Elle porte sur l’abolitionnisme et la lutte contre l’esclavage en Afrique à travers le témoignage de quatre activistes, tandis que les chercheurs prolongeront en quelque sorte ce thème dans l’après-midi, en éclairant deux aspects particuliers, tels que la traite des femmes et le travail en servitude des émigrés dans le passé et actuellement.
Cette journée commence avec Biram Dah Abeid, qui énoncera les idées et stratégies de lutte que lui inspire l’abolitionnisme en Mauritanie. Militant reconnu internationalement et nationalement pour le combat qu’il a mené dans son propre pays contre l’esclavage moderne, Biram Dah Abeid a même fait campagne en tant que candidat à la présidentielle, en 2014, avec un agenda des droits humains particulièrement appuyé. Il a fondé la célèbre organisation IRA-Mauritanie, Initiative of the resurgence of Abolitionist movement… Ses campagnes particulièrement efficaces pour mettre fin à l’esclavage moderne l’ont conduit à être arrêté et détenu à plusieurs reprises. Cet orateur a reçu, entre autres, le Prix des droits humains des Nations unies.
Mauritanie, Niger, Mali, Ouganda
Ali Bouzou nous vient quant à lui du Niger où il est connu à la fois comme militant touareg et comme politicien. Il n’a cessé au cours de sa longue carrière de lutter pour les droits des communautés touaregs, notamment en tant que secrétaire général de l’ONG Timidria. Dans le même esprit que l’orateur précédent, il invitera à tirer des enseignements de l’abolitionnisme au Niger. Abrahim AG Idbaltanat apportera, quant à lui, un éclairage inspiré par l’expérience de l’abolitionnisme au Mali, où il a fondé deux ONG, Gari en 1987 et Temedt en 2006.
Ce militant se bat particulièrement pour les droits humains des descendants d’esclaves, ce qui lui a valu en 2012 l’International slavery award, et deux ans plus tard, le Prix UNESCO-Madanjeet Singh pour l’avancement de la tolérance et de la non-violence. Le quatrième intervenant de la matinée, Moses Binoga, est quant à lui, commissaire de police et coordinateur national de la prévention contre le trafic de personnes en Ouganda. Son expérience de plus de trente ans dans les forces de police et depuis 2013, la mission nationale dont il est investi lui ont valu une distinction en tant que “hero acting” dans le combat contre le trafic humain.
Si le monde se transforme avec le temps, les fondamentaux restent et cette règle s’applique aussi à l’histoire de l’esclavage. Aussi, ces orateurs viennent rappeler qu’un droit, même international, n’est jamais acquis d’avance. Et ils nous interrogent sur les points communs entre l’histoire des luttes d’hier avec celles d’aujourd’hui. Trois conférenciers dont une Mauricienne, Ramola Ramtohul, devaient consacrer leur exposé cet après-midi à la traite des femmes, à travers l’histoire de l’esclavage dans l’océan indien, puis à la question des mariages forcés en période de conflits armés et enfin sur le cas particulier des femmes africaines en Grèce.
Le travail de servitude des migrants devait être illustré par une étude sur les différentes facettes de la servitude sous un régime d’esclavage, puis d’engagisme dans l’Ouest de l’Océan indien, puis sur les éventuelles similarités entre le travail engagé au XIXe siècle et la condition des travailleurs étrangers à Maurice de nos jours ; et enfin sur les recoupements entre l’héritage des “Old slaves” et les méthodes de résistance actuelles aux nouvelles formes de l’esclavage, chez les Banta au Sierra Leone.
Différentes formes de transition
La journée de jeudi permettra de s’interroger sur les liens historiques entre le passé et le présent en matière d’esclavage au Mozambique, puis au Ghana, et enfin à travers ce que le futur Musée intercontinental de l’esclavage devrait permettre d’en témoigner, lorsqu’il ouvrira ses portes à Maurice. La chercheuse Eugenia Rodrigues soulignera le caractère instable de la notion de liberté, révélé par les esclaves libérés et leur postérité au Mozambique avant l’Abolition, qui devait entrer en application dans ce pays à partir de 1869. La situation du Ghana sera éclairée par le sort réservé aux enfants laboureurs liés aux exportations de cacao dans les districts de Winneba entre 1874 et 1920. Enfin, Benigna Zimba conclura la matinée en évoquant les perspectives et politiques du musée intercontinental en projet.
La dernière série de conférences portera, elle, sur le langage et le pouvoir à travers l’esclavage dans les discours historiques et légaux. Ces questions seront illustrées par un premier exposé sur l’esclavage dans les récits tanzaniens de l’indépendance, puis un autre sur la mobilisation des témoignages de victime en ce qui concerne l’esclavage interne à l’Afrique. En début d’après-midi, la dernière séance portera sur une discussion ouverte de tous les participants, visant à répondre à la question cruciale : where do we go from here ?
Première réunion pour SLAFNET
En préliminaire à la conférence internationale, l’université a également accueilli la semaine dernière le premier atelier de travail mauricien visant à nourrir le projet de réseau international de l’esclavage, SLAFNET. Programmés sur quatre jours, ces échanges ont mobilisé une partie des participants à la présente conférence à la fois sur le contenu et la valorisation des archives de l’esclavage existantes dans des pays aussi différents que la France, la Grande-Bretagne, le Portugal, le Kenya, le Mozambique et Madagascar ; et sur la conception et la mise en place de SLAFNET. Ces journées ont aussi donné lieu à un séminaire de recherche nourri et animé par Benedetta Rossi en lien avec son livre sur l’évolution du Sahel nigérian de l’esclavage à l’humanitaire… que ce soit à travers l’histoire dans l’océan Indien, ou sur le point particulier du mariage forcé dont on se demande s’il ne s’agit pas finalement d’une forme d’esclavage sexuel moderne, ou encore une étude de cas sur la situation des femmes africaine en Grèce.