EN MARGE DU BICENTENAIRE DE SA MORT : Ratsitatanina : la hantise !

Ratsitatanina – (15 avril 1822-2022) – (prononcé Ratsitatane) fait partie de ces figures mythiques de l’histoire de notre pays. L’annonce de la commémoration du bicentenaire de son exécution par le Musée Intercontinental de l’Esclavage permet d’entrer dans la profondeur de cette tranche de vie et de mort constitutive de toute condition humaine. La toute dernière étude sur Ratsitatane a été menée par Pier Larson (1962-2020), Professor of African History à The Johns Hopkins University (Baltimore, USA) et Visiting Professor à l’Institut d’Études Politiques de Madagascar, Antananarivo. On peut retrouver l’étude dans la publication « Ratsitatanina’s Gift: A tale of Malagasy ancestors and Language in Mauritius » (University of Mauritius, 2009).

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L’étude apporte des éléments archivistiques très riches et fouillés.  Mais elle vient surtout restituer la part Afro-Malgache-Créole dans l’histoire de notre pays. Pour Larson, le récit mythique autour de Ratsitatane a oblitéré et même « distorts » cette partie: “Myth has its practical utilities, of course, yet in this case the lessons drawn from telling stories of Ratsitatanina-the-hero-of-slaves who led a revolt of Mauritius’s slaves against their French-speaking masters badly distorts Afro-Malagasy-Creole history on the islands (p.24)”. Les travaux de Larson nous poussent à dire que l’exécution de Ratsitatane a été le résultat d’une « hantise » afro-malgache qu’il provoqua chez tous ceux qui voyaient en lui une menace contre leur position privilégiée. Une étude de la « hantise » de l’époque permet aussi de mieux comprendre les inhibitions profondes qui bloquent notre pays.

La Hantise 

La hantise est définie comme une situation qui donne l’impression d’une présence « autre », agissant de manière diffuse et invisible dans notre vie. Le verbe « hanter » ou l’expression « maison hantée » traduit bien ce sentiment inconfortable chez l’être humain. À la fin des années 80, la psychologie anomalistique est devenue une sous-discipline de la psychologie spécialisée dans l’étude des croyances et expériences « anormales » (ou « paranormales ») en termes de concepts psychologiques traditionnels. On distingue la hantise de « lieu », d’« objet » et de « personne ». Ratsitatane était la hantise du lieu, d’objet et de personne.

« L’Autre »

Le terme « L’Autre » (« The Other ») est un concept très utilisé dans les sciences sociales pour évoquer comment souvent avec nos propres repères brouillés nous faisons une représentation de « l’Autre ». Il devient menace, phobie et pour s’en extirper on le refoule. Sauf il se pourrait que cela devienne « un retour du refoulé ». Edward Said (1935-2003), théoricien littéraire et critique palestino-américain, a été le précurseur dans ce domaine avec son œuvre « Orientalisme, L’Orient créé par l’Occident » (1978), abondamment citée et devenue une autorité pour les références bibliographiques.

Ratsitatane fut cet « Autre ». Ce fut lors de son évasion (la soirée du 17 février 1822) du bagne (actuellement le Postal Museum à Port-Louis) que les planteurs franco-mauriciens, les gens de couleur et les affranchis – qui se joignirent à la milice d’Adrien d’Epinay – découvrent qui était cet homme réellement. Il a été suivi par d’autres esclaves et ils se cachent sur la Montagne des Signaux et le Pouce et d’autres endroits. Le Gouverneur Farquhar fait même publier un « Avis » et « Proclamation » en date du 2 février 1822 dans la New Mauritius Gazette / Nouvelle Gazette de Maurice. Une récompense de 1000 piastres est promise pour sa capture. Paradoxalement, lorsque Ratsitatane, « state prisoner » malgache, arrive le 3 janvier 1822 (la date exacte diverge chez les historiens) à bord du HMS Menai, la bonne société n’est pas au courant ou si elle l’était, elle se disait probablement « on s’en fout ! ». Or, ce ne fut pas le cas pour le petit peuple. Sous surveillance mais libre de ces mouvements à l’intérieur, Ratsitatane était dans une chambre privée au deuxième étage pendant environ six semaines. Des femmes, des hommes et des jeunes vinrent rendre visite au « ‘Prince’ Malgache ». Pier Larson nous dit que les visiteurs chantonnèrent quelques airs malgaches et ce fut certainement l’occasion pour eux de prendre des nouvelles du « tanindrazana » (terre des ancêtres). On peut comprendre alors comment la peur gagna tous ceux qui jouissaient d’une position privilégiée.

Ce qui rebute et menace…

Tout rebutait chez le Prince Malgache : peau, taille, morphologie, cheveux, peuple et langue sans compter la réputation d’être capable de faire appel à des pouvoirs maléfiques (gris-gris, talisman).  James Hastie, qui avait participé dans la chasse à l’homme, donne la description de Ratsitatane : « light copper colour (peau), about five feet ten inches in height (taille), of athletic make (morphologie), wears a bunch of hair on his chin, and his long black hair (cheveux) platted after the manner of the Ovahs (peuple), of which country he is; and acquainted with his Native language (langue) only. On leaving Bagne he was dressed in a white cotton scarf with blue border (habit) » (18th February 1822).

Conclusion

Donc, Ratsitatane, c’était comme le COVID-19 de l’époque contre lequel il fallait s’immuniser soi-même, sa famille et son milieu. Qu’est-ce que nous, Mauriciens, rebutons toujours quand nous nous trouvons devant un/une Ratsitatane ? Voilà ce que ce bicentenaire pourrait nous mener à creuser dans cette quête nationale de notre histoire et pour un meilleur vivre-ensemble.

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