Avec plus de 130 morts sur nos routes en 2023 – contre 102 l’année précédente –, l’insécurité routière revient dans le hit-parade des préoccupations nationales qui ont le plus marqué les esprits de nos concitoyens en 2023 et en ce début de 2024. Le principal responsable d’une telle hécatombe, selon de nombreux observateurs : une indiscipline généralisée qui prévaut sur nos routes, que ce soit du côté des automobilistes ou des piétons ; ces derniers comptant, d’ailleurs, plus d’une quarantaine parmi les victimes l’an dernier.
Mais il convient de souligner qu’en l’absence d’une institution régulatrice crédible et efficace pour agir comme un contrepoids, l’indiscipline et l’insécurité règnent en maître au sein de la société dans son ensemble, ce en dépit de l’engagement pris par le gouvernement de faire de l’ordre et la paix une priorité. Or, aucun projet de développement économique ne peut être entrepris sans l’existence des conditions de base que sont la sécurité et la stabilité. Dans ce contexte, l’exemple de Singapour, reconnu comme un modèle de succès international ayant même inspiré de nombreux leaders mondiaux, et non des moindres, ne peut être occulté. À Maurice, que peut-on réellement attendre du problème chronique de Law and Order lorsque les deux institutions phares censées œuvrer en étroite collaboration pour réprimer la criminalité sous toutes ses formes dans le pays, la Police et le DPP, sont à couteaux tirés sans que le chef du gouvernement ne lève le petit doigt pour les rappeler à l’ordre ?
Il convient de constater que pendant des décennies, l’absence d’ouverture de carrière après l’examen du CPE avait projeté hors du circuit scolaire, dans la nature, des dizaines de milliers d’enfants recalés, de 11 à 12 ans, – une myopie de gouvernance qui a, dans une grande mesure, suscité la recrudescence de la délinquance et des fléaux de toute sorte. En ce qui concerne la drogue, citons simplement un extrait de la lettre pastorale de carême 2023. « La drogue qui circule facilement dans le pays, détruit la jeunesse et les familles et corrompt les institutions où l’attrait de l’argent facile fait un mal immense », avait alors observé le Cardinal Maurice E. Piat.
Si l’initiative du ministère de l’Éducation actuel de mettre l’accent sur différentes filières – à l’instar de la Technology Education – pour la canalisation des élèves selon leur penchant et aptitude et les maintenir sur le banc de l’école jusqu’à l’âge de 16 ans est tout à fait louable en soi, c’est au niveau du programme scolaire cependant que le bât blesse. À l’école, auparavant, les valeurs morales, la discipline, la courtoisie faisaient partie intégrante du programme éducatif ; l’emploi du temps comportait également, sur une base hebdomadaire, des activités extracurriculaires telles la musique, la poésie, les débats, les compétitions de connaissance générale, etc alors que l’assemblée du matin était souvent consacrée aux règles de bonne conduite. Aujourd’hui, hélas, tout le programme scolaire est centré uniquement sur le projet académique avec l’emphase sur l’exigence de réussite aux examens pour décrocher un bon boulot avec, in fine, un salaire alléchant. Et pour atteindre cet objectif, nul besoin de faire ressortir que tous les moyens, même les plus vils et parfois répréhensibles, sont bons. Comme quoi, devant la puissance de l’argent, toutes les valeurs ne font que déposer les armes…
D’autre part, il est malheureux que des matières indispensables au développement holistique de l’élève comme l’histoire, les littératures, etc, sont graduellement mises à l’écart pour laisser la place à celles liées à la gestion des affaires, la finance, l’entrepreneuriat. Or, la seule obtention des certificats ne peut constituer la finalité de l’éducation si celle-ci ne repose pas, d’abord et surtout, sur l’épanouissement convenable de l’enfant. Mais, aujourd’hui, l’écart de conduite, de comportement des élèves et la dérive langagière sans gêne chez les jeunes, garçons comme filles, démontrent qu’entre éducation et instruction, il y a loin de la coupe aux lèvres, qu’un maillon social fondamental est définitivement brisé quelque part et qu’il faut en remédier à tout prix. Certes, le premier éducateur de l’enfant n’est autre que ses parents – qui, dans beaucoup de cas, ont tout bonnement démissionné devant leurs responsabilités – mais le rôle prépondérant des enseignants, en tant que professionnels du domaine de la pédagogie et qui doivent désormais détenir le PGCE au secondaire, ne peut être éclipsé. Et si l’on avait, dès le début, pris le taureau par les cornes, l’éducation aujourd’hui, aurait déjà retrouvé ses lettres de noblesse et grandement contribué à assainir la société dans son ensemble.
Sur le plan politique, alors que le présent quinquennat pourrait mourir de sa belle mort constitutionnelle en novembre prochain – même si les élections ne sont pas nécessairement prévues cette année, comme a laissé entendre le PM lors de son allocution du 1er janvier –, 2023 n’a pas été de tout repos, campagne électorale permanente oblige. L’opposition parlementaire regroupant trois partis, semble avoir le vent en poupe, particulièrement après les succès d’affluence rencontrés depuis son premier congrès de Mare-d’Albert en juillet dernier. Mais force est de reconnaître que cette alliance « historique », hétéroclite a encore du pain sur la planche afin de démontrer, au-delà de l’objectif primaire de « faire partir Jugnauth », sa capacité effective d’agir en tant qu’entité homogène et solidaire pour pouvoir éventuellement gérer les affaires du pays en bonne intelligence au cas où elle obtiendrait les faveurs de l’électorat. Car le peuple en a marre de ces arrangements politiques sans lendemain, incapables d’instaurer une gouvernance crédible avec pour conséquences directes embrouilles, mésentente et séparation débouchant subséquemment sur l’instabilité sociale et politique. Le dindon de la farce n’est alors autre que le peuple admirable.
« Rupture… »
Si la concrétisation de l’alliance rouge-mauve-bleu ne repose, pour l’instant, sur aucune base sociopolitique pertinente pouvant se transformer éventuellement en un projet de société viable afin de faire avancer le pays et renaître l’espérance dans les cœurs de nos compatriotes, quelques engagements pris pour marquer « une rupture avec le passé », à l’instar de cette mesure phare annoncée concernant l’embauche des nominés politiques seulement après leur évaluation par une commission parlementaire, méritent d’être soulignés. Mais le gros point d’interrogation de cette alliance, que ses dirigeants préfèrent soigneusement pousser sous le tapis demeure, bien évidemment, le revers subi par son leader devant le Conseil privé du Roi le 21 juillet dernier dans l’affaire des coffres-forts. S’il ne convient certainement pas de commenter une affaire sub judice, le sens de la transparence aurait dû encourager la communication de divers scénarios envisagés au cas où Navin Ramgoolam est reconnu coupable, à l’instar de son ancien ministre, Siddick Chady qui purge actuellement sa peine de prison à Richelieu.
Infrastructures
À l’opposé, il y a l’alliance MSM et consorts qui, face à la nouvelle donne sur l’échiquier, sait pertinemment que les prochaines législatives qui s’annoncent incisives, détermineraient, une fois pour toutes, la destinée de deux protagonistes de l’histoire politique de notre pays, Paul Bérenger et Navin Ramgoolam. Pravind Jugnauth, lui, qui possède encore quelques cartes dans sa manche et qui multiplie ces jours-ci les sorties publiques, doit se rendre à l’évidence que seuls le développement tous azimuts des infrastructures du pays et l’octroi de diverses prestations sociales ne constituent pas un gage fiable de victoire même si une compensation salariale de Rs 1,500 à Rs 2,000 et une hausse de salaire minimal à Rs 18,500 constituent, dans les circonstances actuelles, un plus dans la balance gouvernementale. Mais, il y a aussi et surtout les institutions et la qualité de services offerts qui ont des répercussions directes sur la vie quotidienne des citoyens. Si la baisse du pouvoir d’achat est, dans une grande mesure, tributaire des facteurs exogènes, qu’en est-il, en revanche, de la qualité et de l’efficacité des institutions comme, par exemple, la Police, l’ICAC chapeautée dorénavant par la FCC, la Santé dans son ensemble, le Transport public et le calvaire quotidien des usagers particulièrement des personnes âgées, le respect du mérite et de la compétence, la fuite des cerveaux, etc, etc. Bref, au niveau institutionnel, tout est à revoir, à reconstruire mais existe-t-il réellement la volonté politique de sortir des sentiers battus ?
D’autre part, qu’a apporté concrètement, en termes d’efficacité administrative, le simulacre de remaniement ministériel d’août dernier ? Qu’est-ce qui a réellement changé au niveau de la gouvernance pour y restaurer la confiance du public, rétablir le rôle essentiel de « checks and balances » et combattre l’épineux problème de la corruption ? En somme, les citoyens attendent de ceux qu’ils ont plébiscités pour les représenter au sein du plus haut organe décisionnel du pays que leurs droits fondamentaux soient sauvegardés, que leurs aspirations légitimes soient prises en compte et non pas rétrogradées au bénéfice de ceux possédant de meilleures connexions, accointances et affinités partisanes.
Après la transition politique à la tête du gouvernement en janvier 2017, l’on attendait d’un relativement jeune PM, une nouvelle vision pour une restructuration de fond en comble de notre modèle social et donner un boost à nos institutions stagnantes, dépourvues, dans beaucoup de cas, de conscience professionnelle et du sens d’originalité et d’engagement. Il n’en a malheureusement rien été jusqu’ici. 2024 apportera-t-elle le stimulus tant attendu pour faire enfin bouger les lignes ? Only time will tell.