SHIRIN AUMEERUDDY-CZIFFRA
Avocate, ancienne Ombudsperson pour les enfants et ancienne ministre
de la Justice, des droits de la femme et du bien-être de la famille
Bon, le père Noël n’a pas apporté les trois lois tant attendues pour les enfants de Maurice, mais ne désespérons pas. Au seuil de cette année 2022, nous avons le devoir de dire aux enfants que le meilleur est toujours à venir. D’ailleurs avec la pandémie, n’avons-nous pas la responsabilité supplémentaire de continuer à développer cette résilience aux côtés de nos enfants et des personnes les plus vulnérables?
Continuons à voir ensemble ce que ces lois vont finalement changer pour nos jeunes. Les enfants ont certes besoin d’être protégés, mais ils ont aussi besoin de s’épanouir. L’article 29(1)(a) de la Convention sur les Droits de l’enfant de 1989 (CDE) précise que l’éducation de l’enfant doit viser « à favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques dans toute la mesure de leurs potentialités ».
Nous avons eu une réforme de l’éducation et certaines matières « non core » ont été introduites, en particulier l’expression orale, les technologies de l’information et de la communication, l’éducation physique et la santé, les arts, l’éducation civique et morale et l’initiation à la sécurité routière. Selon la manière dont ces matières seront enseignées, l’enfant d’aujourd’hui pourra accéder à des compétences fondamentales pour faire face à la vie et s’épanouir. Après tout, dans les années 1960, certains élèves ont bien pu suivre en continu des cours de musique, de danse, de théâtre, de jardinage et de sport.
Tous les pédagogues et les spécialistes des droits de l’enfant savent combien il est important de s’assurer que les enfants développent des « core capacities », c’est-à-dire les compétences de base qui permettent à chacun d’être en parfaite relation avec soi-même, les autres et l’environnement. C’est quand il est tout petit qu’on peut préparer l’enfant d’aujourd’hui à devenir un adulte compétent, ne serait-ce que pour vivre, voire survivre, dans les circonstances les plus difficiles. « The child is father of the man », n’est-ce pas.
L’hygiène est aujourd’hui vitale. Mais la communication est très importante aussi. Quand le Children’s Act met l’accent sur la non-discrimination, cela suppose que toutes nos politiques économiques, sociales et environnementales tiennent compte des familles les plus vulnérables et de leurs difficultés pour faire face aux aléas de la vie au quotidien. Il est vrai que Maurice est toujours un État-providence et qu’il existe une palette de mesures sociales et de solidarité nationale pour aider les pauvres en attendant de pouvoir éradiquer la pauvreté.
Mais ne nous leurrons pas, il y a encore des familles très vulnérables. Et les enfants les plus à risques se trouvent dans ces familles qui connaissent une grande précarité. Évidemment, même dans les familles riches, il peut y avoir des problèmes, notamment des prédateurs et des victimes de pratiques sordides souvent cachées. Mais les enfants pauvres manquent de tout, sauf quelquefois d’amour parental.
La tâche d’un ministère chargé de la protection de l’enfant n’est pas facile. C’est pour cela qu’il a fallu, après avoir créé un tel ministère, que l’on mette aussi sur pied une institution indépendante qui pourrait porter un regard plus objectif sur la situation des enfants. En effet, lorsqu’on a « la tête dans le guidon », on ne peut pas bien « voir » la situation parce qu’on est trop impliqué. De plus, le ministère étant maintenant un « service provider » où tout le monde est mobilisé en permanence par des affaires urgentes et complexes, il ne peut pas y avoir d’enquête sur un éventuel manquement. Car on ne peut pas enquêter sur soi-même. C’est ainsi qu’en 2003, le poste d’Ombudsperson for Children est apparu.
Avec la création de la Children’s Court et les responsabilités nouvelles confiées à la police pour la protection des enfants, il faut bien huiler la mécanique. Les enfants ne doivent pas être victimes de la bureaucratie, des lourdeurs administratives, des désaccords entre différents services, ni de l’inaction qui peut résulter de tout cela. Par le passé, des drames en ont résulté.
Dans l’absolu, il aurait fallu un poste administratif de haut niveau et un autre plus technique, comme c’est le cas dans la plupart des ministères. L’ONU insiste sur cette problématique depuis des années. Mais personne n’a encore eu le courage de remettre en question l’organisation même du ministère.
La nouvelle loi allonge la liste des professionnels qui sont tenus de signaler qu’un enfant avec lequel ils sont en contact est, a été ou pourrait être à risque. Mais comment s’assurer que chacun sait reconnaître les signes et les symptômes de la maltraitance, surtout quand elle n’est pas physique, ou que l’enfant la cache. Il faut une formation spéciale dans ce domaine. Les psychologues et les médecins devraient pouvoir aider à préparer des guidelines en collaboration avec ceux qui connaissent déjà ces comportements révélateurs.
Malgré l’importance de moderniser les lois, une telle préparation est absolument indispensable pour que chacun s’y retrouve. Mais surtout, il faut continuer parallèlement à prendre toutes les dispositions pour mieux armer les enfants contre les risques. Mieux vaut prévenir que guérir, c’est bien connu. Comme les enfants ne vont pas en classe actuellement, il faut profiter de leur disponibilité pour leur transmettre des messages et leur parler de leurs droits, des droits des autres, du respect et de la responsabilité. C’est également l’occasion de les mettre en garde contre les comportements suspects de certains adultes et contre les fléaux sociaux. Il faut mener une campagne dans tous les médias. Un effort national est nécessaire pour toucher les enfants et les parents.
Les lois seront les garde-fous, mais assurons-nous d’abord que nos enfants seront capables de faire face à toutes les situations aujourd’hui et demain.