Dr Siven Samoo (ex-directeur du Samu) : « La détresse respiratoire, c’est très, très sérieux et en deux minutes, elle peut être fatale! »

Parti à la retraite en mars dernier, après 15 années passées à la tête du Service d’Aide Médicale Urgente (Samu), le Dr Siven Samoo, réagit face à la resurgence du Covid-19 dans le pays. Il est d’avis qu’il faut mettre en place une cellule de crise réunissant les différents services, comme c’est le cas pour la gestion des catastrophes naturelles, pour une meilleure prise en charge des patients en difficulté. Il plaide pour la formation des jeunes médecins de la Domiciliary Monitoring Unit en médecine d’urgence et souhaite que le ministère de la Santé fasse appel aux spécialistes dans ce domaine partis à la retraite, de vrais Advisers et ils peuvent mettre leurs connaissances au service de la population dans cette situation de crise.

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Les infections au Covid-19 continuent d’augmenter dans le pays et des décès sont enregistrés chaque jour. Comment réagissez-vous face à cette situation ?
Je suis très triste de constater qu’il y a des morts chaque jour, en dépit de tous les efforts consentis. Il faut trouver la bonne approche pour gérer la situation. Je pense que si l’on écoute ceux qui ont de l’expérience dans la gestion de ce genre de situation, la population en sortirait gagnante. Il faut savoir mettre les différends de côté. Et aussi que ceux qui ne savent pas comment fonctionne le système évitent d’émettre des critiques gratuites. Tout le monde est en guerre contre le Covid-19. Nous voulons tous gagner cette guerre. Il y a des médicaments qui sont préconisés, il faut les utiliser.
Il faut un responsable au niveau de l’hôpital pour communiquer avec les parents. S’il y a un patient sous ventilation mécanique, ses proches sont très inquiets. Il faut les rassurer et leur donner confiance dans le service. Il faut aussi une grande vigilance de la population également. De même, on ne peut renvoyer un patient à la maison en lui disant de s’auto-isoler sans lui donner d’instructions sur ce qu’il doit faire en cas de telle ou telle situation.

Le Samu a aussi été la cible de critiques après des décès…
Il faut savoir que le Samu a démarré ses services à Maurice il y a 24 ans grâce à la coopération France/Maurice. J’en ai été le directeur pendant 15 ans. Au début, on se consacrait aux sorties dites primaires, c’est-à-dire répondre aux appels des citoyens qui avaient des urgences vitales. Le service a évolué au fil des années. Le Samu est aussi responsable aujourd’hui de l’évacuation sanitaire et du transfert néonatal. Cela pour dire qu’il y a quand même un parcours qui a été fait.
En 2015, grâce au partenariat entre le ministère de la Santé, le Mauritius Institute of Health et l’Université de Bordeaux (Réunion), nous avons commencé une formation en médecine d’urgence et de réanimation. En 2019, nous avons assuré la formation de 14 médecins spécialistes. Aujourd’hui, il y a 25 spécialistes en médecine d’urgence. Pour moi, le Samu est un service très structuré et peut grandement aider dans la gestion des urgences liées au Covid-19.
Tout est une question d’organisation. Si nous voulons aujourd’hui prendre les jeunes médecins de la Domiciliary Monitoring Unit (DMU) pour donner des instructions au Samu, nous sommes mal partis. Ces jeunes médecins ne sont pas formés en médecine d’urgence et ne connaissent peut-être pas tout le fonctionnement du système. Ce n’est pas de leur faute.
À mon avis, il faut des médecins d’expérience formés en médecine d’urgence. Car l’une des complications du Covid-19, c’est la détresse respiratoire aiguë. Cela demande beaucoup d’expérience pour gérer une telle situation.
Selon moi, il faut une restructuration du Samu pour la prise en charge du Covid-19. Il faut mettre en place une cellule spéciale réunissant les différentes unités dans une salle de contrôle commune, avec un médecin régulateur à la tête qui décidera quelle équipe envoyer sur le terrain pour les urgences. Ainsi, la DMU, le Samu et la Rapid Response Team (RRT) travailleraient ensemble, en concertation.
On pourrait en profiter pour former les médecins de la DMU sur le tas concernant la médecine d’urgence. Car les jeunes médecins peuvent être perdus lorsqu’ils se retrouvent devant un cas de détresse respiratoire. Et cela se passe très vite. Le patient peut faire un arrêt cardiaque.
On pourrait aussi mettre en place une équipe Samu Covid-19 qui serait dédiée spécialement aux urgences primaires et secondaires du Covid-19. Ainsi, s’il y a un accident grave ou si quelqu’un fait un infarctus, il y aura d’autres ambulances disponibles pour y répondre.

Y a-t-il le personnel nécessaire pour cela ?
La première chose à faire, selon moi, serait de rappeler tous ces médecins formés en médecine d’urgence qui sont partis à la retraite. Il y en a trois qui sont partis l’année dernière et trois cette année. Ils peuvent être d’une grande aide de par leur expérience et leur connaissance du domaine.
Et puis, pourquoi avoir formé des médecins en médecine d’urgence sans mettre leurs connaissances à profit dans une situation d’urgence de cette envergure ? Imaginez : quelqu’un a été formé en 2016 et, en 2020, il part à la retraite. À quoi cela a-t-il servi ? Nous sommes en période de crise et il faut utiliser toutes les ressources disponibles. Ce sont eux les vrais Advisers.
Le service doit aussi fonctionner 24/24h. Il faut penser à augmenter le flot des ambulances également. Il faut renforcer l’effectif avec les médecins de la DMU. On ne peut demander à un jeune médecin d’aller voir les patients et d’appeler le Samu ou la RRT par la suite. Cela prend trop de temps.
Il faut aussi prendre en considération que plus les cas augmentent, plus cela se répercutera sur les urgences. C’est pour cela qu’en 2015, le ministère a fait appel au professeur Starzk et au professeur Xavier Coombes. Le premier s’occupe des relations internationales en ce qui concerne la formation en médecine d’urgence et le deuxième est chef de service à La Réunion. Ils ont assuré la formation des médecins pour prendre en charge l’Accident and Emergency Unit de chaque hôpital. Ils ont même soumis un rapport recommandant la mise sur pied d’un département de réanimation dans chaque hôpital au niveau des urgences. On l’a fait, mais cela ne fonctionne que jusqu’à 16h.
Or, avec l’augmentation des cas, la réanimation doit opérer sur une base de 24 heures. Il faut se préparer à toute éventualité. Imaginons qu’un patient se retrouve en détresse respiratoire et que ses proches l’emmènent à l’hôpital dans leur propre voiture. Qui va gérer cette détresse respiratoire ?
On a dépensé beaucoup de sous pour mettre cette unité de réanimation sur pied au niveau des urgences. Il y a tous les appareils nécessaires. Pourquoi ne pas les utiliser ? Là également, on pourrait faire la formation des médecins de la DMU. On pourrait leur apprendre comment faire une prise en charge respiratoire, par exemple. À mon avis, il faut commencer à se préparer à tout cela avec l’augmentation des cas de Covid dans le pays. Il vaut mieux prévoir. N’attendons pas que cela nous éclate à la figure.
Il y a deux types de spécialistes qui peuvent gérer de la détresse respiratoire : les urgentistes et les anesthésistes. Il faut sans doute élargir les moyens thérapeutiques dans la gestion du Covid. En France, il y a de grands professeurs qui sont venus apprendre la médecine d’urgence pour prêter main-forte au Samu face à l’épidémie.

L’absence d’un « preparedness plan » fait-elle défaut ?
Le Samu a un Preparedness Plan pour toutes les situations d’urgence depuis longtemps. La meilleure solution en ce moment, selon moi, est de mettre en place une cellule de crise, un peu comme il en existe pour gérer les catastrophes naturelles. On réunirait ainsi plusieurs services dans une même salle de contrôle, avec un médecin régulateur, idéalement le responsable du Samu, pour une action plus coordonnée et plus rapide. Comme on le fait pour les cyclones par exemple. Il faut aussi mettre les autres départements à contribution. Combien de pompiers, par exemple, ont été formés en premiers secours ? Il faudra aussi un leadership très fort à la tête de cette cellule.

Il paraît que le personnel, notamment à l’ENT, est au bord de l’épuisement avec la situation…
Je crois qu’il y a surtout beaucoup de découragement. Particulièrement parmi les jeunes médecins, qui sont la cible des critiques. C’est pour cela que je suggère une cellule de crise avec des personnes expérimentées pour la prise de décisions.
Beaucoup ne comprennent pas le fonctionnement du Samu. On ne peut s’asseoir dans un bureau et donner des directives. Dans l’urgence, on a besoin d’agir vite et bien. Si un médecin va voir un patient seulement avec un glucomètre et un saturomètre, il ne peut pas faire grand-chose. Il faut penser à renforcer le staff, en faisant appel notamment aux anciens.
La gestion intra-hospitalière doit aussi être prise en considération. Si les cas continuent d’augmenter, il faut pouvoir traiter au niveau de l’hôpital. L’autre aspect à prendre en considération est la communication avec les parents. Le personnel doit être formé pour cela.

Quel conseil donner justement aux parents ayant un proche dont la situation se détériore à la maison ?
Je leur conseillerai d’appeler le service approprié dès qu’ils commencent à ressentir la moindre gêne respiratoire. N’attendez pas que la situation se détériore ! Il y a d’autres complications graves du Covid, notamment d’ordre neurologique ou cardiologique.
Mais la détresse respiratoire, c’est très, très sérieux. En moins de deux minutes, on peut perdre la personne. Il faut donc être très vigilant. S’il y a des personnes ayant des comorbidités, je leur conseillerai d’acheter un oxymètre de pouls. Cela permet de connaître le niveau d’oxygène dans le sang. Il faut aussi faire très attention à ce qu’on appelle l’hypoxie joyeuse. C’est-à-dire que le patient manque d’oxygène sans le savoir. Il a l’impression que tout est OK, mais en fait, c’est l’exact contraire.

Et vous-même, êtes-vous disposé à reprendre du service si on fait appel à vous ?
Pour le moment, je suis bien établi dans le privé. S’il faut prêter main-forte aux collègues, on verra. Je crois que le plus important, c’est d’avoir des personnes d’expérience dans les prises de décisions et dans la gestion. Selon moi, la première chose à faire, c’est de mettre sur pied cette cellule de crise, dans la salle de régulation, si on veut s’en sortir.

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