La Dr Pratima Sambajee, académicienne basée en Grande-Bretagne depuis 19 ans, est actuellement occupée à l’Université de Strathclyde (Ecosse) dans le domaine de l’emploi et du travail. Elle a commencé ses recherches sur le dynamisme existant sur le marché du travail dans le secteur de l’hôtellerie. En 2018, elle a obtenu un premier financement à travers le Scottish Funding Council pour des recherches sur la santé et le bien-être des travailleurs venant du Bangladesh à Maurice.
En 2019, elle a obtenu une autre enveloppe financlère pour étendre les recherches dans trois secteurs, soit le textile, la construction et l’agriculture. Elle travaille aussi avec l’Université de Maurice et la Confédération des travailleurs pour le secteur public et privé (CTSP) dans le cadre de ces deux projets. Dans l’entrevue qui suit, elle explique que certaines catégories de travailleurs en provenance du Bangladesh ne sont pas suffisamment protégées à Maurice.
Vous avez récemment rencontré le président de la CTSP, Reaz Chuttoo, pour évoquer la situation des travailleurs bangladeshis à Maurice. Dans quel but ?
Je suis à Maurice dans le cadre d’une initiative prise par le gouvernement britannique visant à effectuer des recherches sur les effets du Covid-19 dans les pays bénéficiaires de l’aide publique au développement (APD). Dans le cas de Maurice, l’université de Strathclyde et l’UoM ont reçu un fonds pour effectuer des recherches sur les effets des changements dans la Workers’ Rights Act 2019, à travers le Covid Bill, en mai 2020.
Cette recherche se concentre sur les travailleurs mauriciens et ceux en provenance du Bangladesh et qui travaillent dans les secteurs du tourisme et de l’hôtellerie, la fabrication d’exportation et l’informel. Ces secteurs ont été choisis car identifiés comme des secteurs comptant parmi les plus affectés par le Covid-19 à Maurice en 2020.
Le projet a débuté en août 2020 pour se terminer en février 2022. De mai à septembre 2021, nous avons entrepris un sondage et des entretiens avec des travailleurs mauriciens et bangladais sur leur qualité de vie et leur travail par rapport au Covid-19 et les changements dans les lois du travail.
Quel regard portez-vous sur les conditions de travail des ressortissants bangladais à Maurice ?
Concernant les travailleurs du Bangladesh, mes recherches, couvrant de 2018 à maintenant, démontrent un manque de sensibilité sur les conditions de vie de ces travailleurs et sur leurs besoins. Si on prend en considération l’aspect de la santé et du bien-être, il est évident que notre système de santé ne satisfait pas les besoins de ces travailleurs.
Nos recherches démontrent un manque de responsabilité et une tendance à nier la responsabilité par les parties prenantes. Par exemple, les employeurs ne fournissent pas assez d’assistance de santé à cette catégorie de travailleurs. En ce moment, quelques usines proposent les services d’un médecin sur les lieux de travail, tandis que d’autres n’ont qu’un First Aider . Or, ces travailleurs éprouvent souvent le besoin de consulter un médecin à l’hôpital, mais doivent alors être accompagnés d’une personne (souvent le Team Leader ) pour traduire ce que dit le travailleur étranger au médecin de l’hôpital.
Ce système est totalement inapproprié parce que premièrement, nous avons constaté que souvent, il n’y a qu’un Team Leader pour quelque 100 travailleurs. Donc, si plusieurs personnes tombent malades en même temps, il est impossible de gérer la situation à l’hôpital.
Deuxièmement, le Team Leader en question n’est le plus souvent pas accessible durant le week-end. Donc, le travailleur malade a le choix d’attendre jusqu’au retour au travail pour aller à l’hôpital ou consulter un médecin du privé. Dans ce dernier cas, souvent, la barrière du langage continue de constituer un handicap pour le travailleur devant expliquer son problème à un médecin. Ce problème est encore plus grave pour les femmes, qui ont besoin d’une interprète femme qui, souvent, n’est pas disponible.
Quid des conditions de travail à Maurice ?
Les résultats de notre recherche sur la qualité de vie et de travail de ces travailleurs démontrent que les ressortissants bangladais ne connaissent pas leurs droits au travail. Cela se voit dans les domaines de la rémunération, des congés, du logement ou encore de la nourriture. Ces gens souffrent beaucoup d’anxiété par rapport à leur sécurité d’emploi et du bien-être de leur famille au Bangladesh. Nous avons aussi constaté qu’ils décrivent l’état de leur logement comme étant « insuffisant ».
La première question que l’on se pose est de savoir qui a la responsabilité de promouvoir un travail décent aux Bangladais de Maurice ? Si on se base sur le concept du travail, cela signifie qu’ils doivent avoir les mêmes conditions que les Mauriciens pour le même type de travail.
La deuxième question que l’on doit se poser est de savoir à quel degré les facilités à Maurice sont accessibles à ces travailleurs. En général, il y a plusieurs barrières d’inégalité et d’accès pour les Bangladais, ce qui peut symboliser une érosion de leurs droits à un travail décent et leur exclusion an niveau de la santé publique.
Maurice recrute de plus en plus de travailleurs étrangers. Pensez-vous que ce soit une bonne chose pour le pays ?
Il n’y a aucun mal à recruter de la main-d’œuvre étrangère. En outre, pour Maurice, une hausse de ce type de recrutement est évocatrice de plusieurs aspects de développement. En effet, quand un pays en voie de développement recrute une main-d’œuvre étrangère venant d’un pays moins développé, cela montre qu’il n’y a plus ce type de main-d’œuvre dans le pays.
Dans ce cas, Maurice a besoin de ces travailleurs pour satisfaire les demandes associées à ce type de travail. De fait, la décision de limiter ou pas la main-d’œuvre étrangère doit être posée de temps en temps, en prenant en considération plusieurs aspects économiques. Il ne faut en effet pas oublier que les travailleurs étrangers sont des immigrants économiques. Ils sont ici pour travailler et contribuer économiquement à leur famille et à leur pays. Donc, Maurice doit recruter par rapport à l’existence de cette demande liée à ce type de main-d’œuvre.
Si certaines industries se développent et que les Mauriciens n’ont pas le savoir-faire requis pour travailler, il est donc normal qu’on ait recours aux travailleurs étrangers. La décision de limiter ou pas leur nombre doit se faire sur la base d’une analyse transparente et régulière des secteurs actifs du pays.
Les lois en vigueur du pays protègent-elles suffisamment les travailleurs étrangers ?
Selon les lois en vigueur à Maurice, les travailleurs mauriciens et étrangers doivent être traités de la même manière. C’est peut-être le cas pour les travailleurs hautement qualifiés, mais pas dans les autres cas.
Ces lois ne peuvent pas protéger les travailleurs étrangers peu qualifiés si ces derniers ne connaissent pas ces lois et si ces mêmes lois sont appliquées différemment selon que les travailleurs sont étrangers ou mauriciens. Donc, la loi existante ne protège pas les travailleurs étrangers peu qualifies de manière suffisante.
Pourquoi les employeurs font-ils appel aux travailleurs bangladais ?
Les Bangladais ont pris d’assaut le secteur textile car ils sont historiquement liés à cette industrie dans leur pays natal. Donc, beaucoup d’entre eux ont de l’expérience dans le domaine, en plus d’être rapides. De plus, en général, les Bangladais sont dociles et s’adaptent assez facilement à une société multiculturelle comme la nôtre.
Quel était le but de votre visite à la CTSP ?
La CTSP est un de mes principaux partenaires à Maurice en ce qui concerne les recherches sur les travailleurs bangladais. C’est la seule organisation que je connaisse qui s’intéresse à ces travailleurs et qui a intégré une Migrant Unit dans ses services. Cela prouve que la CTSP a reconnu que la main-d’œuvre à Maurice change et qu’il faut que la protection des travailleurs gagne d’autres types de travailleurs.
Pensez-vous qu’il existe un trafic humain à Maurice ?
Nos recherches de 2018-2019 indiquent qu’il y a plusieurs abus au niveau du recrutement des travailleurs bangladais en provenance d’agents recruteurs. Plusieurs actions frauduleuses se pratiquent au Bangladesh. Ces pratiques débutent donc avant l’arrivée de ces travailleurs à Maurice. Ce qui ne diminue cependant en aucune façon la responsabilité de Maurice par rapport à ces pratiques. Des sanctions doivent être imposées sur les employeurs mauriciens acceptant ces pratiques liées au trafic humain.
Votre prochaine étude sur les travailleurs étrangers à Maurice sera basée sur quel thème ?
Pendant ces trois dernières années, il était très difficile de trouver des étrangères travaillant à Maurice. Mon projet est d’inclure plus de femmes dans ces études pour plus de transparence sur les expériences vécues par les deux sexes à Maurice. Cela devrait inclure des méthodes totalement différentes, qui demanderont l’aide de plusieurs organisations mauriciennes.
Votre souhait pour 2022 ?
Que tout le monde soit en bonne santé et que les protections contre le Covid-19 soient accessibles à tous. Mais aussi que la solidarité se renforce dans notre pays.