Aujourd’hui déconfinés, quand cesserons-nous d’être des « cons finis » ? En espérant que vous nous pardonnerez ce calembour facile, la question mérite en tout cas d’être posée. Après plus de deux mois de « repos » forcé, et un peu plus encore dans certains pays (sans compter ceux qui s’y seront replongés en raison d’une résurgence de la pandémie), nous ne pourrons en effet pas dire que nous n’avons pas eu le temps de réfléchir, ne serait-ce qu’un instant, aux conséquences de la Covid-19 sur nos vies et sur la manière dont nous pourrions capitaliser sur ces nouvelles donnes en tant que moteur d’une société réformatrice. N’est-il pas temps de reclasser nos priorités, tout comme nous avons été contraints de le faire durant le confinement ? Bref, de repenser notre société sur un modèle autrement plus résilient que celui qui nous aura conduits à pareille situation.
Il s’agit évidemment d’une fausse question. Comme nous l’avons plusieurs fois souligné, ce que nous pensons encore être une situation inédite n’est pas tout à fait le fruit du hasard, et donc pas totalement issu d’une conjoncture événementielle. Cela fait presque un demi-siècle en effet que les experts nous le disent sur tous les tons : à force de tirer sur la corde, elle finit toujours par casser. Le problème, c’est que l’on aura pris ces avertissements pour des discours stériles lancés à l’emporte-pièce par des experts qui, au fond, n’y connaissaient rien. Après tout, comme on le dit souvent, « tant que ça roule… ». Enfin, jusqu’à ce que ça ne roule plus, justement.
Bien sûr, l’on sait tous que la pandémie de Covid-19 ne durera pas éternellement, ou du moins que le virus, malgré le fait – comme le prévient l’OMS – qu’il pourrait ne jamais réellement disparaître, devrait un jour être « maîtrisé », que l’on pourra s’en prévenir par un vaccin et, même, s’en soigner. La question est donc de savoir ce que l’on fera « après », soit lorsqu’aura disparu cette distanciation sociale que nous impose aujourd’hui encore le contexte. Aurons-nous entre-temps repris nos activités habituelles, avec la même énergie et le même enthousiasme ? Épousé à nouveau ce même schéma libéral qui aura précipité la pandémie ? Continuerons-nous de jouir des ressources de notre planète sans nous soucier davantage qu’hier des risques systémiques que l’on nous promet pourtant dans un avenir pas trop lointain ? Bref, la Covid marquera-t-elle son temps comme un tournant dans l’évolution de l’humanité ou ne restera-t-elle qu’une anecdote de l’histoire ?
Plus que jamais, nous avons l’impérative nécessité, et même le devoir, de réformer notre système libéral, celui-là même dont les lois sont toujours principalement dictées par le secteur énergétique. Nous ne pouvons raisonnablement penser que le climat, par exemple, attendra que nous en ayons fini avec le tout-carbone pour nous imposer ses hausses létales de température. Et de toute manière, que ferons-nous lorsque l’or noir viendra à manquer ? Lorsque les usines cesseront de produire, et le transport de biens et de personnes sera à l’arrêt, par manque de carburant ? Que deviendrons-nous, si ce n’est d’éternels confinés ?
Dans un monde idéal, les étudiants en économie oublieraient leurs cours et les Nobel rangeraient leur prix, tandis que les directeurs d’entreprise, eux, s’inscriraient dans une autre logique que celle de l’expansion et du profit continu ! Autrement dit, nous aurions à désapprendre tout ce que l’on nous aura appris pour en revenir à l’essence même de l’économie, et dont l’étymologie renvoie à « l’administration de la maison ». Aussi, comme la maison brûle, pourquoi attendre qu’il n’en reste que des cendres ?
Là où ces questions trouvent toute leur pertinence, c’est dans notre potentiel à revisiter notre manière de voir, y compris en ce qui concerne l’économie mondiale. En ce sens, la Covid-19 aura servi en quelque sorte de révélateur. Quand bien même nous n’aurons pas tous été logés à la même enseigne, au plus fort de la pandémie comme après le confinement, puisque dépendants du diktat de nos instances décisionnelles, nous savons tous en effet que, lorsque survient un événement inattendu, l’être humain a une incroyable capacité de réaction, à la fois rapide et – malgré quelques couacs regrettables – somme toute relativement efficace. Dès lors, pourquoi ne pas envisager d’anticiper les futurs désastres ? Que risquons-nous ? Au pire, si cela ne nous évite pas le pire, cela permettra au moins de réhabiliter un temps notre présumée intelligence.
Michel Jourdan