Dire/écrire chez Maunick : Apologie de la parole poétique


Danielle Tranquille

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Né le 23 septembre 1921 dans le district de Flacq, Joseph Marc Davy Maunick s’est forgé la plume d’un poète, essayiste, critique tout en étant animateur d’émission radiophonique, directeur de revue littéraire, homme de théâtre. Son parcours flamboyant a inscrit son ile dans la littérature tout autant que son ile se soit inscrite en lui. Cet homme je l’ai connu. C’était l’ami de mon père et je le revois encore assis chez nous à parler comme si les mots ne s’arrêtaient jamais, comme s’ils s’enchevêtraient dans un dire/écrire constant et j’étais là à écouter. Je savais que je ne comprenais pas tout ce qui était dit mais que les mots m’effleuraient pour me raconter une histoire, celle d’un poète.

Edouard Maunick, le poète s’en est allé un 10 avril 2021, emportant avec lui le bruit des mots qui palabraient son africanité, chantaient son indianité pour mieux crier la parole de son île à l’échelle de l’humanité.

Quand on avance en territoire maunickien, l’on est toujours pris, mais surtout surpris par la coulée de mots ‘cadencés’ pour mieux dire sa créolité, jamais totalement appréhendée, jamais soumise, mais toujours vécue debout comme il le disait à Césaire, pour convier au discours universel, l’ile matricielle.

Maunick, pour ceux qui le connaissaient, est avant tout un souffle, une voix, un dire.  On se souvient encore de cette journée où il est arrivé avec dix minutes de retard en cadençant un ‘pti’ séga tout en savourant ‘enn sorbe’. L’image dépeint tout l’homme et le poète qu’il était. Insaisissable, surprenant jusqu’à la provocation, jamais à l’heure mais toujours à l’avant-garde.

Pourquoi dire, pourquoi cet incessant flot de mots depuis la parution de son premier recueil en 1954, Ces oiseaux du sang ? Et quelque soixante ans plus tard, en quatrième de couverture de sa dernière anthologie, Manière de dire non à la mort, Maunick pouvait encore clamer l’urgence des mots comme les seuls à pouvoir le montrer du doigt, les seuls à pouvoir le définir, à pouvoir lui faire dire non à la mort car « la parole est plus forte que l’écrit ».

Quand on lit, relit Maunick on est vite pris dans cet enchaînement de mots d’hier, qui se conjuguent au fil du temps. Lire Maunick dans l’introduction de son Anthologie Personnelle parue en 1988, c’est aussi retrouver ces liens indéfectibles que ses mots souvent ‘inventés’ lui permettent de réclamer, « ce besoin de parler, à la fois notre vice et notre vertu » de cette identité forcement multiple « davantage à entendre dans notre parler créole, qu’à lire, exprimée à travers des alphabets pourtant fascinants. Plus peuple que races, nous additionnons nos fidélités à l’Orient, à l’Occident et à l’Afrique, pour fonder une symbiose, certes difficile, mais seule capable de nourrir notre quotidien plus sûrement que le plat de riz, la rougaille de poisson salé ou la fricassée de lentilles rouges. Nos aïeux venaient tous de quelque part ; nous avons pour mission de continuer leur exil dans un lieu devenu pays natal ».

Exil, le mot est donné car cette ‘île en lui coulée métal/ cette île en lui poussée racine’, cette île matricielle, ‘son aire de vigie’, il la quitte très jeune un matin d’automne, un matin d’octobre et il embarque pour Paris pour ne plus connaître que l’exil mais non pas l’exil forcé, mais cette autre face de l’exil qui devient errance volontaire, errance recherchée, vécue comme une plénitude, comme un besoin d’expression pour exister :

Je suis de la mer

J’ai longtemps prié sur le perron des vagues hautes

Cette île là-bas qu’il ne finit pas de dire et cet ici qui n’est jamais que temporaire, dans ce dialogue qui s’installe entre les terres qu’il visite,  car il sillonne mers et terres, des Mascareignes aux Antilles, de l’Afrique à l’Europe, de l’Amérique du Nord au Sud , ces terres qu’il découvre par besoin de voyage ou pour raisons professionnelles, Maunick, ce poète du Ward 4 de Port-Louis, île Maurice, ne finit pas de nous rappeler que l’envers de l’île c’est l’exil, que dans une étrange danse entre l’ici et l’ailleurs, l’île et l’exil se côtoient, se rencontrent, se complètent pour mieux se fuir. Ex-il comme pour dire qu’il faut être hors de l’île, partir, rompre les amarres, prendre le large. Le poète le pressent et le dit dans sa poésie qui devient livre ouvert sur l’errance qui en retour devient souffle poétique.

Dire, sans cesse ce besoin de dire, comme dans un long dialogue pris et repris alors que les recueils se profilent et disent l’île, l’exil, la femme-neige, la femme-terre, le séga’ hérité du voyage’, l’homme, son destin, ses rêves, ses combats pour un monde plus juste, contre l’apartheid, contre le crime d’innocence quand l’enfance est tuée, pour une épiphanie nouvelle où Jésus serait l’eau, toutes les eaux de la terre conjuguées en un alléluia ! mais encore et surtout le credo d’un homme, d’un poète métis :

J’ai autant de vivre dans ma mort

Que j’ai de jardins dans les veines

Sang rouge d’Occident

Sang rouge d’Orient

Sang rouge d’Afrique

sang rouge du Sang :

Dénoncer la traite, dénoncer l’esclavage, dénoncer cette condition de sous-homme qui en découle, se proclamer nègre de préférence pour être de tous les combats pour une justice retrouvée, contre toutes les exclusions, contre toutes les formes d’esclavage mais aussi et surtout ressusciter en tant que Métis :

je suis au monde pour ne jamais

plus peser du poids d’avoir mal d’être de sang mêlé

métis veut dire lumière métèque veut dire bonjour :

dans la lumière donc je vous salue… (Fusillez-moi)

L’écriture met à nu des mots qui se reflètent les uns les autres, se renvoient les uns aux autres dans un jeu de présence-absence mais qui s’agencent de façon nouvelle et se déplacent vers une fin écrite, certes déjà, mais qui résonne d’une voix nouvelle. Dire la parole, l’écrire aussi pour mieux la dire !

Question d’architecture, la parole devient la pierre d’angle d’une structure poétique qui n’a pour seul but comme souligné avec force dans les majuscules du dernier vers du premier chant de Seul le poème

la parole restera ma vraie légende/celle que l’écriture accapare pour survivre(..)parole ma certitude (i) à grands coups de mots nus/me civiliser par l’instinct/aboyer dans le dialogue(..)d’un poids d’île vous couvrir le corps un soir de pluie/relire la liberté de mes images extra-natales : NE JAMAIS MOURIR
EN POESIE.

Qu’est-ce donc que l’acte poétique quand Maunick écrit « je ne peux pas tricher en poésie ? Pourrait-on chercher la réponse à une telle question dans son Testament d’un errant.

Si meurt le poème/comment contredire l’oubli. (p.72)

Si meurt le poème/je nierai tous les exils. (p.74)

Si meurt le poème/meurent les mots de la tribu. (p.76)

Si meurt le poème/j’habiterai le cyclone. (p.78)

Si meurt le poème/la mise au ban sera totale. (p.82)

Si meurt le poème viendra le Nègre plus ultra. (p.84)

Si meurt le poème/comment conjurer Gorée ? (p.86)

Si meurt le poème/je brûlerai tous mes livres. (p.88)

Mais le poème peut-il mourir ?

Dans un processus d’éclatement, de délimitations textuelles et de jeux de miroir, la poésie maunickienne fonde, engendre sa propre signifiance dans une logique séquentielle propre aux exigences de son dire/écrire. Ainsi en toute liberté et jonglant avec tous les possibles, le poète peut continuer par-delà le temps ce dialogue longtemps commencé, habilement établi comme dans un seul long poème. Il porte ainsi aux nues la parole poétique comme seule conjugaison possible du verbe dans un temps où les mots se vident de leur sens.

Est-ce là un défi de plus que Maunick aura lancé à lui-même d’abord et à nous ensuite dans un monde trop engoncé dans un apriorisme bon enfant ou tout simplement bon marché, dans des certitudes trop souvent vides de sens, dans des ismes qui se collectionnent comme d’autres collectionneraient des perles. Mais aussi pour ne jamais oublier cette voix qui se dit sans cesse avant de s’inscrire, de s’écrire, et qui célèbre le divers pour faire fi de tout passé et fonder une voie autre, un partage sans cesse renouvelé d’une parole échangée dans un présent illimité :

La parole restera ma seule vraie légende.

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