Des paradoxes qui fâchent

La COP28, placée sous la présidence dubaïote, s’est refermée ce 13 décembre sur un constat mi-figue mi-raisin, certains ayant la certitude d’avoir vécu une réunion historique, tandis que d’autres, au contraire, estiment que celle-ci est loin d’avoir tenu toutes ses promesses. Certes, si l’on joue sur les mots – et les accords passés sous les COP auront toujours été très généreux sur ce point (tout autant que sur leur ambiguïté) –, on peut en effet affirmer que la COP28 aura été « historique », à commencer par le fait que le texte final mentionne pour la première fois une transition « hors des énergies fossiles ». Terme qui, il faut l’avouer, s’il aura jusque-là été implicitement admis, n’aura jamais été couché noir sur blanc. Mais est-ce vraiment suffisant ?

- Publicité -

Bien sûr, pas moins de 200 pays auront accepté l’accord, mais est-ce à ce point suffisamment extraordinaire que pour le qualifier d’historique ? Car il faut admettre – et c’est bien là l’un des principaux points des détracteurs de cette COP – que le fait que le texte ne fixe aucune limite (notamment en ce qui concerne un quota de réduction), en plus de n’être aucunement contraignant, laissant aux États seuls la responsabilité de leur plan de sortie du fossile, n’engage finalement qu’à peu de chose. D’autant que, sous la pression des pays producteurs de pétrole et de l’Opep, la transition ne devrait être effective que d’ici… 2050. Soit dans plus de 25 ans. Le temps donc d’épuiser en grande partie nos stocks mondiaux d’énergie fossile, et de faire sonner un peu plus les tiroirs-caisses.

Et le paradoxe de cette COP28 ne s’arrête pas là. Ainsi, l’on pourra s’étonner (ou non) d’apprendre qu’alors que les pays signataires appellent à une élimination progressive du charbon, jamais la planète n’en aura autant consommé que cette année, avec pas moins de 8,53 milliards de tonnes en termes de demande, ce qui constitue là encore un record historique. Dans le détail, l’Agence internationale de l’énergie annonce que l’appétit pour les roches carbonées par rapport à 2022 aura bondi de 220 millions de tonnes (+4,9%) en Chine, de 98 millions de tonnes (+8%) en Inde et de 23 millions de tonnes en Indonésie (+11%). Des taux astronomiques qui ne peuvent aucunement être compensés par les ralentissements constatés en Europe et aux États-Unis.

La conclusion de cette réunion du climat, heureuse ou malheureuse – selon le point de vue que l’on adopte –, n’aura cependant pas été une réelle surprise, sachant (une fois encore) que le pays hôte était aussi l’un de ceux ayant le plus à perdre à voir émerger un accord trop rigoureux en matière de réduction d’émissions carbone. Un choix contestable, et d’ailleurs largement contesté. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà que l’on apprend que la présidence de la prochaine COP sera confiée à l’Azerbaïdjan, autre pays accro aux énergies fossiles (qui comptent pour 50% de son PIB, 50% de ses recettes budgétaires et 90% de ses recettes d’exportation). A ce stade, il ne faudrait pas s’étonner de voir un jour – après le Brésil, en 2025 – la conférence prendre ses quartiers à Vienne, en Autriche, au siège même de l’Opep.

La COP28 n’aura donc pas réussi à opérer un véritable changement de trajectoire; à peine aura-t-elle réussi à arrondir les angles. Plus encore, la confiance du public s’effritera davantage, mettant à mal l’image de ce sommet grandiloquent. Quant aux défenseurs du climat, pas besoin de dire le niveau de leur déception. Autant dire que la question de la pertinence d’une telle réunion n’aura été aussi pesante… et pressante. Cependant, même si l’horloge climatique continue de « tourner pendant que nous tournons en rond », il faut reconnaître que, pour l’heure, seules les COP permettent de mettre cette question d’importance internationale sur une même plateforme, internationale également. Et c’est là l’un des rares points positifs pouvant justifier leur existence.

Ceci étant compris, il est cependant rédhibitoire de croire que les COP constituent les seuls leviers d’action en matière climatique, tant les forums de discussions sont légion (G7, G20, BRICS Plus, les pays de l’Asie-Pacifique, l’Union européenne, etc.). À ce titre, peut-être serait-il temps de songer à instituer une entité internationale qui, pareille à un comité des sages, permettrait de dégager des solutions innovantes en termes de vision sociétale. Une vision qui se trouverait enfin débarrassée de cette sempiternelle question du profit, qui plonge chaque jour un peu plus la planète vers ses extrêmes.

Michel Jourdan

- Publicité -
EN CONTINU ↻

l'édition du jour