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Des humains et des chiffres

Aux grands défis auxquels l’humanité a aujourd’hui à faire face s’ajoute la question de la migration climatique, qui interpelle de plus en plus autant qu’elle divise. Entre les sécheresses, les inondations et la hausse graduelle du niveau de la mer, des peuples entiers risquent en effet de se retrouver rapidement poussés à devoir abandonner leurs terres pour des régions moins hostiles. Certains parlent de 500 millions, voire d’un milliard, de réfugiés climatiques d’ici la fin du siècle si nous maintenons notre trajectoire, entendez par là sans que nous n’infléchissions la courbe de nos émissions de gaz à effets de serre. D’autres, eux, préfèrent revoir ces prédictions à la baisse, et même très largement, sous-entendant que le changement climatique, finalement, n’aura pas l’incidence que l’on croit sur les flux migratoires.

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C’est en tout cas ce que soutenaient encore il y a quelques mois à peine les experts du dernier congrès annuel de l’Association américaine pour l’avancement des sciences, tenu à Washington. Pour eux, aucun doute : les prévisions, même les moins alarmistes, sont « très exagérées ». Pour étayer leurs propos, ces derniers disent ainsi avoir épluché les statistiques démographiques sur une longue période (de 1975 à 2015), prenant l’Afrique subsaharienne comme point de départ. Avec un constat sans appel : malgré la multiplication d’épisodes catastrophiques, en termes de sécheresses et d’inondations notamment, peu ou pas de mouvements de populations. D’où leur affirmation à l’effet que les migrants climatiques seront bien moins nombreux que l’on le croit. Avec un effet rassurant pour les nations ayant fait de la question migratoire l’une de leurs principales préoccupations.

Malheureusement, ce raisonnement est biaisé, et ce, pour plusieurs raisons. La première est d’abord liée à la zone ciblée, particulièrement pauvre et éprouvée par un climat qui, bien avant d’ailleurs que l’on apperçoive les premiers signes du changement climatique, était déjà pour le moins peu favorable. En d’autres termes, ses populations ont acquis, depuis des générations – et par la force des choses –, des facultés d’adaptation climatique que d’autres n’auront pas forcément. Ensuite vient la question des moyens migratoires. Nombre des populations ciblées par l’étude comptent en effet parmi les plus pauvres du monde, et n’ont donc tout simplement pas la possibilité de se déplacer, car émigrer coûte cher. Très cher.

Ce faisant, en évacuant de l’équation ces données pourtant essentielles, l’on en arrive au constat que les futurs flux migratoires seront bien moins massifs qu’annoncés. Ce qui constitue, dans le « meilleur » des cas, un désintéressement flagrant de ce qui arrivera dans les décennies à venir à ces peuples, empêchés par la force des choses de trouver asile ailleurs, et, dans le pire, un déni total de ce que prédisent nombre d’autres experts, et qui ont pris le problème dans un sens plus large, et donc plus proche de la réalité. Tant il paraît évident que la région de l’Afrique saharienne ne reflète en rien l’ensemble des enjeux mondiaux.

Pour rappel d’ailleurs, nous étions revenus récemment dans ces mêmes colonnes sur une autre étude, laquelle notait que le continent européen, avec des températures moyennes de +2,2 °C par rapport à l’ère préindustrielle sur ces cinq dernières années, se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde. Or, il s’agit aussi d’un des continents les plus riches du globe. Et donc de populations qui auront davantage les moyens de se déplacer si la situation devenait trop tendue, pour ne pas dire extrême. Aussi comprend-on pourquoi l’étude américaine aura préféré se concentrer sur l’Afrique subsaharienne.

Quoi qu’il en soit, que l’on penche pour l’une ou l’autre hypothèse, le fait demeure que le changement climatique influera grandement, dans les prochaines années, un nombre conséquent d’humains à travers le monde. Y compris dans des régions se pensant aujourd’hui à l’abri, car peu impactées par les phénomènes extrêmes. Au final, qu’importe qu’il s’agisse d’un million de personnes ou d’un milliard, nous ne pouvons éthiquement minimiser cette future urgence humanitaire en la réduisant à l’état de simple statistique. Chaque vie compte. Et est même d’autant plus précieuse que nous aurons été prévenus du danger.

 

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