- L’ambassadeur Koonjul : « Comment le Royaume-Uni peut-il encore prétendre moralement et légalement que l’archipel fait partie de son territoire ? »
Le Blue De Nimes, avec à son bord des membres de la délégation mauricienne, dirigée par le représentant permanent de Maurice aux Nations unies, Jagdish Koonjul, est déjà en route pour les eaux des Chagos. Le bateau, qui a quitté mardi les Seychelles devra prendre cinq jours pour rallier Blenheim Reef, un atoll situé dans l’archipel des Chagos. Des escales à Peros Banhos et aux îles Salomon sont également au programme de cette visite, a priori à vocation scientifique, en vue de préparer le travail de délimitation des frontières maritimes entre les Maldives et Maurice au Nord des Chagos.
À bord du navire, un ancien dragueur de mines britannique transformé en bateau de luxe, se trouvent Olivier Bancoult et quatre autres Chagossiens, des scientifiques mauriciens, le Pr Philippe Sands, QC, Lead Legal Adviser sur le dossier des Chagos pour Maurice, des journalistes de la BBC, du Guardian, du magazine Atlantic…
Le Pr Sands, commentant cette étape pour le Guardian, ne cache pas son étonnement et son émotion. « I’m amazed. I was hired in 2010 when I was on holiday and got a call from the mauritian Prime minister. He wanted to devise a legal strategy for the return of the Chagos Islands », se rappelle-t-il encore. « Si vous m’aviez dit, il y a 10 ans, que Maurice gagnerait trois jugements internationaux contre le Royaume-Uni, je n’aurais pas été trop optimiste. Si vous m’aviez dit que nous nous rendrions aux Chagos en 2022, j’aurais été stupéfait. Je le croirai quand nous mettrons les pieds sur le récif de Blenheim, les îles Salomon et Peros Banhos (dans les Chagos) », poursuit-il.
Le Guardian constate que le voyage se poursuit au milieu d’un affrontement diplomatique entre le Royaume-Uni et Maurice sur la souveraineté des îles de l’archipel. Et cela, en dépit d’une écrasante majorité à l’Assemblée générale de l’Onu en 2019 entérinant l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice en faveur de Maurice sur les Chagos.
L’objectif de cette mission sera de faire des relevés physiques et bathymétriques du récif de Blenheim, une des îles périphériques des Chagos, en vue de verser ces éléments dans le dossier lors d’une audience distincte devant le tribunal du droit international de la mer de l’Onu. Ces éléments devront permettre de déterminer le différend sur la démarcation des fonds marins entre Maurice et les Maldives, compte tenu du fait que tribunal a déjà statué de manière formelle que le Royaume-Uni ne peut prétendre à aucune revendication légitime dans la région.
« Nous sommes tellement excités de voyager à destination de notre lieu de naissance », affirme pour sa part Olivier Bancoult. « Lors des précédentes visites patrimoniales (supervisées par des responsables britanniques, Ndlr), nous avons toujours été escortés par des policiers britanniques ou des membres de l’armée. Cette fois, nous serons beaucoup plus libres. C’est la première visite organisée par le gouvernement mauricien », poursuit-il.
Olivier Bancoult affirme avoir en sa possession les extraits de naissance de sa mère, de son père et des membres de sa famille. « Je fêterai mes 58 ans le 15 février. J’ai quitté ma belle île, Peros Banhos, quand j’avais quatre ans. Nous vivions comme une grande famille. C’était le paradis. J’ai passé des décennies en exil », dit-il. « Je n’ai jamais renoncé à prendre des affaires juridiques parce que je crois que notre lutte est une cause juste. Mon rêve est de pouvoir m’installer dans mon lieu de naissance. Le plus vieux survivant parmi nos exilés est âgé aujourd’hui de 100 ans. »
Olivier Bancoult a déclaré qu’il soupçonnait que le traitement des Chagossiens équivalait à du racisme. « Le gouvernement britannique dit qu’il est en faveur des droits de l’homme, mais ils font une différence entre le traitement des habitants des îles Falkland, par exemple, et des Chagossiens », déclare-t-il, en se demandant : « Est-ce parce que nous sommes noirs ? Et que nous sommes d’origines africaines ? »
À l’origine, le voyage devait démarrer aux Maldives, qui ne sont qu’à 500 miles – un voyage d’une journée et demie, par opposition aux cinq jours requis des Seychelles. Philippe Sands explique : « Début décembre, Maurice a informé le Royaume-Uni qu’un déplacement était envisagé dans l’archipel des Chagos pour donner suite à une affaire devant le tribunal du droit international de la mer. Elle a demandé au Royaume-Uni de confirmer qu’elle n’entraverait pas la visite. »
« Le gouvernement mauricien a clairement indiqué que si cette information n’était pas reçue avant le 20 décembre, il engagerait de nouvelles procédures contre le Royaume-Uni. Ce qui fait que Londres allait transmettre une note disant que les autorités britanniques n’entraveraient pas cette mission dans les eaux des Chagos », fait-il encore comprendre.
Le Pr Sands indique également qu’initialement, les Maldives n’allaient entretenir aucune objection. Mais subséquemment, les Maldives devaient se raviser en exerçant un droit de veto sur la composition de la délégation et ont clairement indiqué que les journalistes ne seraient pas autorisés. « Nous pouvons supposer que le Royaume-Uni a joué un rôle en encourageant les Maldives à prendre des mesures pour limiter le nombre de participants », ajoute-t-il.
Philippe Sands pense que la résistance intransigeante du Royaume-Uni est en partie due au fait qu’il craint que la remise en question du British Indian Ocean Territory (BIOT) ne crée un précédent pour la perte des Malouines et de Gibraltar. « Mais il n’y a pas d’autre territoire britannique qui implique un cas de démembrement territorial avant l’indépendance », a-t-il déclaré.
Alors que le navire mettait cap sur les Chagos, l’ambassadeur Koonjul note : « Nos relations avec le Royaume-Uni sont toujours restées excellentes. Nous sommes d’accord pour ne pas être d’accord. Mais nous ne comprenons pas comment le Royaume-Uni peut encore prétendre moralement et légalement que l’archipel des Chagos fait partie de son territoire. »