Notre mode de production pose problème dans le contexte de l’urgence climatique ? Dans ce cas, pas de souci. Il suffit de récupérer nos biens de consommation courante usagés et de les envoyer dans des chaînes de recyclage, et le tour est joué ! Tel est en tout cas l’un des argumentaires les plus entendus du moment en tant que réponse à la crise environnementale. Avantage du concept : il nous permet de lutter contre le réchauffement climatique sans avoir à changer d’un iota notre système, si ce n’est quelques changements dans nos chaînes de fabrication. Bref, des investissements, certes, mais en rien comparables à ce qu’il en coûterait s’il fallait toucher à notre vénérée croissance ! C’est’y pas formidable ça ?
Oui, sauf que bon, ne nous leurrons pas, tout cela n’est bien évidemment qu’une douce musique que l’on aime s’entendre fredonner… parce que « ça fait du bien aux oreilles » ! Car en réalité, aussi séduisante puisse être l’idée, l’économie circulaire n’est pas aussi vertueuse qu’il n’y paraît. Vendu par les adeptes de la croissance verte, au même titre que la transition énergétique, le concept est même d’un certain point de vue contre-productif, tenant compte du moins de l’objectif affiché de réduire notre facture énergétique en termes d’extraction et de traitement. Pourquoi et comment ? C’est ce que nous allons voir.
Primo, le slogan « zéro déchet » n’est qu’une vaste mascarade, et même, disons-le franchement, une escroquerie de niveau international, sachant que la plupart des matériaux, du fait de leurs caractéristiques physiques, ne sont indéfiniment recyclables. Ainsi, tout produit contenant des matériaux recyclés en fin de vie finira obligatoirement aux ordures. De même, pour être efficace, il faudrait une participation active des consommateurs, qui restent encore difficiles à convaincre, qui plus est à l’échelle mondiale.
Autre problématique : les sociétés les plus développées, et donc les plus énergivores, sont aussi des sociétés d’accumulation. Par conséquent, elles ne peuvent intégrer un modèle d’économie circulaire, puisque passant plus de temps à engranger qu’à rejeter dans le circuit du recyclable. Quant à l’exploitation de nos ressources, elles se poursuivront dans tous les cas, et même si un impact est mesuré, celui-ci ne pourrait être suffisamment significatif. Il a ainsi été démontré que le recyclage, même inscrit dans un système « parfait », ne sert à rien tant que le taux de croissance (de nos consommations) dépasse annuellement 1%. Plafond qui est allègrement franchi, faut-il le signaler.
L’économie circulaire est donc un miroir aux alouettes. Certes, elle aurait pu marcher, mais pour être porteur d’espoir en matière environnementale, le concept aurait dû être mondialement institutionnalisé il y a déjà bien longtemps. Au mieux il y a 50 ans, lors de la publication du rapport Meadows, et au pire fin des années 90’. Plus de deux décennies plus tard, nous n’en avons plus le temps, car l’urgence climatique réclame des actions tout aussi urgentes.
Pour résumer, c’est plus une question de « mauvais timing » que de mauvaise idée en soi. Il en est d’ailleurs de même avec la notion de transition énergétique et qui, dans un monde dominé à 80% par les énergies fossiles, prendra elle aussi beaucoup trop de temps pour avoir une réelle incidence sur nos émissions carbone. En l’état, il s’agit donc là aussi d’une chimère, car intervenant trop tard. Le souci, c’est que la transition énergétique et l’économie circulaire constituent la base même de la politique de croissance verte, que l’on nous vend à tour de bras comme étant la panacée à la crise climatique. Or, il n’en est rien. Loin de là !
D’ailleurs, l’on peut légitimement se poser la question : pourquoi vouloir à tout prix conserver le système même qui est a la base de tous nos malheurs ? Au lieu de cela, pourquoi ne pas investir notre énergie et le peu de temps qu’il nous reste à chercher une alternative à la croissance, concept insoutenable sur le long terme et qui aura de tout temps davantage profité à une minorité de nantis qu’à la masse silencieuse ? L’être humain a tant de fois prouvé sa capacité à créer qu’il serait irrationnel de croire que nous ne pourrions trouver un système sociétal plus fiable et plus respectueux de notre planète si nous nous en donnions les moyens. Le plus dur consistant à convaincre ceux qui continuent de profiter le plus de la situation.
Michel Jourdan