Découverte d’un trésor, droit de propriété…


ALEXANDRE BARBÈS-POUGNET

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Le présent article n’est que la suite logique du précédent titré « Le Trésor des Buses », et dans lequel j’abordais certaines incohérences relatives à la présente « campagne archéologique » d’Albion, menée dans le but de retrouver le trésor du pirate Olivier Le Vasseur, dit « La Buse ».

Trouver un trésor…

La probabilité de trouver un trésor terrestre est aujourd’hui faible, pour ne pas dire très faible, et ce pour plusieurs raisons.

La première, d’abord, tient au contexte historique et à la réalité de la vie des pirates aux XVIIème et XVIIIème siècles. Les travaux d’archéologues de la piraterie et d’historiens ont en effet révélé que s’engager dans la piraterie s’accompagnait d’une réduction drastique de l’espérance de vie, passant à 2 ou 3 ans à compter du jour de l’engagement. Si la vie en mer présentait des dangers sanitaires certains, et notamment des risques de décès par maladies telles que le scorbut ou le typhus, les pirates risquaient aussi la mort par le sabre, ou encore par boulet de canon, par balle lors d’un abordage, ou simplement par noyade des suites d’une chute non remarquée ou provoquée lors des trajets. Cette faible espérance de vie avait pour conséquence chez le pirate l’adoption d’un mode de vie précaire et spontané, « au jour le jour ». En conséquence, toute prise partagée était ainsi aussitôt dépensée lors des arrêts dans les repères de forbans. L’absence d’accumulation de richesses laissait donc peu de place à la constitution d’un trésor…

La seconde, ensuite, tient à l’imaginaire collectif qui s’est construit à partir de l’image donnée de ce qui est constitutif d’un trésor de pirates, d’abord répandue par les œuvres littéraires telles que le roman de Robert Louis Stevenson, L’Ile au trésor, puis par les diverses œuvres cinématographiques que nous connaissons. Or, à côté des monnaies d’or et d’argent, des lingots et pierreries, il est important de comprendre qu’à cette époque, les épices, soieries, bois précieux, vaisselles de porcelaine et autres marchandises transportés d’Asie par voie maritime pour être revendus en Europe valaient leur pesant d’or. Ne parlions-nous pas à cette époque de « Route des Épices » ? Toutes marchandises de ce type, « réquisitionnées » par un équipage pirate, étaient revendues dans des lieux de contrebande tels que le lagon de l’île Sainte-Marie de Madagascar, à des navires marchands et négociants français, anglais, portugais ou hollandais. Les recettes de ces ventes étaient généralement partagées entre les membres d’équipage et dépensées sur place dans des tavernes et bordels.

La troisième, enfin, tient au fait que les chasseurs de trésor de notre Ère ont été précédés par plus de deux siècles de chasses aux trésors, la plupart ayant été menées par des personnages hauts en couleur et disposant de moyens financiers souvent quasi-illimités, permettant le financement tant de matériel que le recours aux services et aux savoirs de scientifiques, de techniciens tels que des arpenteurs, de radiesthésistes et d’intellectuels en tout genre. La chasse au trésor est chose sérieuse.

Qu’adviendrait-il toutefois si un trésor venait à être découvert ? Quels seraient les droits de son inventeur sur ce dernier ?

Le trésor en droit des biens

« Les décisions (de justice) sur les trésors sont aussi rares que les trésors eux-mêmes » (1). Cette formule, empruntée à son auteur, se veut tout à fait justifiée, notamment en raison de la précision avec laquelle le législateur a pu consacrer le régime juridique applicable aux trésors et, en conséquence, de la faible marge de manœuvre laissée aux juges pour son interprétation.

Le texte de référence en matière de trésor est l’article 716 du Code civil mauricien, qui dispose à son alinéa premier que « La propriété d’un trésor appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds : si le trésor est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, pour l’autre moitié au propriétaire du fonds. », puis à son alinéa second que « Le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur fruit du hasard ». Indissociables l’une de l’autre, ces dispositions procèdent pourtant à deux qualifications distinctes : d’abord, celle d’un trésor (a), puis, celle de sa propriété (b).

(a) Qualification d’un trésor

Comme le rappelle la Cour de cassation dans un arrêt du 5 juillet 2017 (2), un trésor se constitue de « toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété ». Le trésor est donc et avant tout une chose (meuble). Cette qualification est d’autant plus importante qu’en droit, la chose se distingue d’un bien en ce qu’elle n’est pas appropriée, à la différence du bien. En d’autres termes, s’il est toujours possible d’identifier le propriétaire du bien, la chose, elle, ne dispose d’aucun propriétaire identifiable. Mais découvrir une chose sans propriétaire identifiable ne suffit pas à la qualifier de trésor. Il faut en plus que la chose ait été cachée ou enfouie. Ce critère suppose donc qu’il y ait eu une volonté de son propriétaire initial de la dissimuler, la distinguant ainsi de l’objet égaré qui, si retrouvé ne pourrait nullement être qualifié de trésor. Il s’agit ici de l’élément matériel de la qualification.

En aparté, il me semble nécessaire de souligner un point souvent négligé. Ne pas identifier de propriétaire au jour de la découverte et prendre ainsi possession de la chose (du trésor) ne suppose pas pour son possesseur qu’il ne puisse se voir un jour opposer, par des personnes se prévalant de la qualité de propriétaires initiaux (ou héritiers du propriétaire initial), une action en revendication sur la chose. Bien qu’en droit des biens, « en termes de meuble possession vaut titre (de propriété) », encore faut-il que cette possession ait été de bonne foi. La possession de bonne foi suppose pour le possesseur qu’il ait eu une croyance pleine et entière, au moment de la prise de possession de la chose, de son acquisition des droits de propriété sur celle-ci. Or, et comme le souligne à bon droit la Cour de cassation dans un arrêt du 6 juin 2018 (3), « celui qui par hasard trouve un bien enfoui a nécessairement conscience de ne pas en être le propriétaire. Dès lors, il ne peut être considéré comme possesseur de bonne foi (…) ». L’inventeur du trésor ne pourrait alors se prévaloir de sa possession de bonne foi pour en conserver la propriété.

À côté de l’élément matériel se trouve l’élément moral de la qualification : n’est trésor qu’une chose cachée ou enfouie ayant été découverte par le pur effet du hasard. S’opposent alors à la « découverte par le pur effet du hasard » toute recherche intentionnelle (4) ou utilisation d’appareil tels que des détecteurs de métaux et autres technologies (5) dans le but de trouver une chose qui pourrait être qualifiée de trésor.

Une fois la chose découverte qualifiable de « trésor », se pose alors la question de sa propriété.

(b) Qualification de sa propriété

Deux règles sont posées en matière de propriété d’un trésor en vertu de l’article 716 du Code civil : d’abord, si le trésor est découvert sur le fonds propre de l’inventeur (celui qui est à l’origine de la découverte), ce dernier en devient alors l’unique propriétaire. Alternativement, si le trésor est découvert par l’inventeur sur le fonds d’autrui, il lui appartient pour moitié, l’autre moitié revenant au propriétaire du fonds. Pour ce dernier cas, alors que le législateur n’envisageait initialement et stricto sensu l’existence que d’un seul inventeur, la Cour de cassation innova en consacrant la notion de « co-inventeurs », dès lors qu’un trésor était mis au grand jour par plusieurs personnes (6).

La qualité d’inventeur n’est toutefois pas déterminée en fonction du seul fait d’avoir découvert un trésor, mais est aussi subordonnée à une découverte par le pur fruit du hasard. Il s’agit donc de récompenser une intervention décisive bien que purement chanceuse. C’est dans cet esprit que la Cour de cassation a pu préciser que « l’inventeur d’un trésor s’entend de celui qui, par le seul effet du hasard, met le trésor à découvert, serait-il au service d’une entreprise, dès lors que les travaux ayant conduit à la découverte n’ont pas été effectués à cette fin », excluant dès lors de la qualité d’inventeur toute personne ayant découvert un trésor des suites d’une recherche consciente, bien que le lieu exact de la cache du trésor n’était pas précisément connu.

Au vu de ce qui précède, nul besoin d’en dire davantage…

 

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