La question des inégalités revient en force à l’agenda mondial, symbolisée par la formule « 1% vs. 99% ». Elle sera aussi à l’agenda à Maurice en 2018, soit l’année où nous célébrons les 50 ans de notre accession à l’indépendance. Et ce, dans un contexte de campagne électorale, commencée après la partielle au N° 18, en vue des prochaines législatives en 2019. Tous les principaux acteurs sont déjà à la manœuvre.
Repenser et réinventer
Une société humaine aspire à la satisfaction des besoins de base de tous ceux qui en font partie, et s’efforce de créer les conditions pour nourrir chez tous l’espoir d’un avenir meilleur. C’est à cela que sert le développement. La désespérance étant mortifère, il faut donc s’occuper et se préoccuper du tissu social.
La philosophie du développement et le modèle socio-économique en cours doivent être repensés ; ils doivent se réinventer pour être plus justes, humains et solidaires. C’est une aspiration grandissante au niveau mondial. Il en est de même ici à Maurice. Les inégalités se développent à Maurice avec la précarité et la pauvreté. L’évolution du coefficient de Gini –indicateur des inégalités – le montre. Dans ce débat on parle aussi de l’absence de données pour quantifier les actifs économiques et patrimoniaux (assets) et mesurer correctement les richesses et les inégalités, qui sont très fortes à Maurice avec la concentration des richesses (dont la richesse foncière). Les inégalités ont plusieurs déclinaisons – économique, sociale, culturelle, relationnelle, symbolique. La problématique des inégalités comporte plusieurs dimensions et volets qui devront être mis sur la table au moment venu.
Notre rêve sociétal ne peut être une société où « cohabitent » les ghettos des riches et les ghettos de pauvres. Notre société souffre de plusieurs déficits – de cœur, d’intelligence, de raison, de bon sens, d’éthique. Peut-on rêver à un débat fondé sur le dialogue vrai malgré nos différences et divergences? Dans le débat autour d’un développement sain et durable nourri d’un modèle socio-économique juste et solidaire, un sens aigu de responsabilité et d’honnêteté est nécessaire. À 50 ans, il est permis de s’attendre à de la maturité.
Écueils : confusion et populisme
N’entrons pas non plus dans le travers de confondre cycle de développement et cycle électoral, confusion qui a pendant plus de 25 ans bloqué la mise en œuvre de solutions. Parmi les autres écueils à éviter, une pseudo-compréhension et une analyse simpliste de la réalité nourrissant un populisme dangereux. Dans le contexte mauricien, l’ethno-populisme reste problématique. Ne tirons pas trop sur la corde, elle est sensible et comporte des risques réels. La démocratie, ce n’est pas la République des tribus !
L’humanité dont nous faisons partie vit un moment crucial son histoire. Comment sortir de l’entre-deux – théorisé par Antonio Gramsci – pour s’engager résolument sur la voie de l’avenir pour une vraie modernité ? Vivement que les principaux acteurs de développement en prennent pleinement conscience pour intégrer le sens, la portée et la nécessité vitale de lutter contre les inégalités dans leurs réflexions stratégiques.
Économie solidaire, l’environnement
global et la prospective
Dans la lutte contre les inégalités à Maurice, des pistes sont à explorer. Il existe des initiatives-projets qui donnent des résultats concrets et durables ; d’autres, plus embryonnaires, attendent un cadre catalyseur. D’autres pistes à réel potentiel demandent à être creusées. Voyons comment faire de la place à l’économie solidaire dans ses différentes déclinaisons. Des plates-formes citoyennes sont à multiplier, et des articulations sont à trouver entre elles. Inspirons-nous des expériences d’ailleurs. Nous ne pouvons pas être tout le temps en retard d’une révolution !
Avec une articulation concrète, on peut lutter de manière efficace contre la pauvreté et la précarité. Dans ce chantier complexe et délicat se pose et se posera la question fondamentale de l’évolution/transition/rupture d’un modèle à un autre. Il faut en discuter, en débattre.
Ne soyons pas naïfs : le débat sur la question du développement et des inégalités ne peut faire l’impasse sur l’environnement économique et sociétal global dans lequel opèrent notre économie et notre société. Et on en arrive à la compétitivité de nos entreprises, à l’efficacité de notre secteur public, au rapport qualité/prix de nos produits, services et prestations ; toute réflexion sur le développement pour l’avenir et le modèle socio-économique qui le portera se nourrit de la prospective. Par conséquent, il y a un besoin de recherche, de veille, de méthode, de rigueur, de sérieux car l’enjeu est grave. Il s’agit tout simplement du devenir de notre société, de notre pays et notre place dans le monde.
L’écologie, l’aménagement et le continent numérique
La réflexion-débat sur le développement exige qu’on prenne de la hauteur et qu’on gagne en profondeur pour intégrer l’économie verte et le continent numérique. L’écologie constitue un axe vital. Préservons et valorisons notre patrimoine naturel, notre principale et précieuse richesse. Il y a urgence sur certains fronts tant sur le littoral qu’à l’intérieur en raison des retombées concrètes et réelles du changement climatique. N’oublions pas l’important, voire le fondamental : l’aménagement du territoire qui constitue la clef de voûte de toute solution dans ce domaine. Le temps n’est pas au lip service ni aux incohérences. Le principe de précaution doit prévaloir !
L’autre champ de l’avenir, c’est le continent numérique avec certes ses menaces et dangers mais aussi avec ses opportunités et potentialités. Au-delà d’être un pilier de l’économie nationale, il y a de l’espace pour des initiatives touchant les jeunes et les femmes défavorisés. Pensons notamment aux applications qui peuvent contribuer à la lutte contre les inégalités à travers des plateformes numériques et autres pour le partage, des échanges et des possibles synergies. Solidarité réelle et virtuelle !
La pauvreté pas une fatalité
Sur la question de la pauvreté, l’humilité s’impose. Nous avons échoué collectivement et chacun, dans la position qui est la sienne, doit assumer sa part. Le temps des déclarations d’intention est dépassé.
Le fait brutal est que les résultats ne sont pas là, ni même l’amorce de résultats ! C’est dramatique et honteux. Et dire qu’il existe un état des lieux avec des axes identifiés pour mettre en œuvre un plan d’action global afin d’éradiquer la pauvreté absolue. Il faut trouver les articulations entre tous les acteurs concernés. Rs 12 milliards sur 10 ans, une armée d’une centaine d’entrepreneurs sociaux et une volonté politique et nationale en vue d’une mobilisation collective sont nécessaires. Donnons-nous les moyens de nos ambitions. Prenons bien la mesure de ce qui est en jeu si on continue de s’enfoncer et que ça finisse par s’enflammer. N’oublions jamais qu’il a ceux qui n’ont rien à perdre et ceux qui ont tout à perdre !
Il faut sérieusement penser à la création d’une institution dont le statut reste à déterminer pour la formation des entrepreneurs sociaux, pour les empower afin qu’à leur tour ils puissent autonomiser. La lutte contre la pauvreté a été gravement polluée par sa politisation à des fins partisanes. Comment « dépolitiser » cette lutte et trouver un modus operandi satisfaisant pour tous les acteurs afin de mettre le cœur à l’ouvrage reste un défi à relever. Ici comme dans bien d’autres chantiers de l’avenir, pour réussir il faut trouver des proper drivers et doers pour la mise en place et la mise en œuvre de plans arrêtés.
L’approche et la méthode adoptées pour conduire le changement sont primordiales. Dans ce tournant historique que nous devons négocier une philosophie du développement est primordiale. Une qui nous permettra de combler nos seulement les déficits économiques mais aussi ceux sociétaux – de cœur, de raison, d’intelligence, d’éthique et de bon sens. Il ne s’agit pas de diriger par décrets par une approche technocratique froide doublée d’une méthode autocratique. Il y a un besoin de mobilisation nationale. Et on ne mobilise pas par la contrainte. Il s’agit de convaincre plutôt que de vaincre. Mettons en place, avec une société civile forte, une démocratie citoyenne participative !
MALENN OODIAH