Un demi-siècle de cela, le cargo Nordvaer achevait l’une des plus viles missions dans l’océan Indien. Le 2 mai et le 13 juin 1973, ce bateau abandonnait sur le quai à Port-Louis les derniers des déracinés de l’archipel des Chagos.
Bien avant, soit plus de huit ans déjà , les colons anglais avaient scellé le sort des Chagossiens avec cette fiction historique de BIOT à la sortie de la conférence constitutionnelle de Lancaster House de 1965 pour l’indépendance de Maurice. Ces Chagossiens, exilés de force d’une partie du territoire, qui n’était pas encore la République de Maurice, avaient été accueillis, si on peut le dire ainsi, dans l’indifférence la plus totale.
Parce que quand on dit accueil, on dit chaleur humaine. Certes, dans leurs témoignages, Maudéa Saminaden et Harris Elysé, parmi les derniers survivants de cette traversée en mer, dans des conditions comme au temps révolu de l’esclavage, remettront en perspective le drame qu’ont vécu les Ilois – comme on les appelait alors. Et surtout mettre notre conscience d’homme mal à l’aise face à cette souffrance occultée initialement.
Mais au fil de ces 50 dernières années, des Mauriciens de tous les horizons ont pris conscience de l’injustice intolérable, du cordon coupé avec son île natale, infligée en toute froideur par les puissants du monde aux Chagossiens d’origine et à leurs descendants.
Des taudis dans les faubourgs de la capitale, encore épargnés alors du fléau de la drogue, des familles de Chagossiens ont su garder la tête hors de l’eau contre vents et marées.
Ces quelques strophes mises en musique par le groupe Cassiya donnent le ton de la nostalgie tenace, soit
Enn gran tonton ti rakonte kouma ti zoli laba
Non pa ti konplike, dimounn ti viv normal
(…)
Non pa ti mank nanye laba
Zot paradi finn vande
(…)
Get zoli ti zil perdi…
Malgré tout, la communauté des Chagossiens, sans jamais baisser la tête, a fait preuve d’une conviction inébranlable de lutte. Même si des fois, cette démarche s’apparentait au défi légendaire de David contre Goliath.
Un symbole de cette force de conviction se dégage à merveille dans cette photo de presse, montrant Charlézia Alexis, sans défense sur La Chaussée, tirée par les bras de chaque côté par de costauds éléments de la Riot Unit, avec à l’arrière-plan des nuées envahissantes de gaz lacrymogène.
C’était au plus fort du désespoir des Chagossiens, subissant l’effronterie de Londres et face à l’incapacité de l’Hôtel du Gouvernement d’alors de faire écho à ce cri de misère, signé les Chagos.
Revendications, manifestations et grèves de la faim ont eu pour effet de consolider des liens de solidarité à toute épreuve autour des Chagossiens.
La leçon historique est que le combat des Chagossiens pour retourner dans leur archipel natal est également mais surtout celui des Mauriciens, dans leur ensemble. Oui. Le leitmotiv derrière l’Advisory Opinion du 25 février 2019 de la Cour Internationale de Justice de La Haye, donnant gain de cause aux revendications de la République de Maurice aux dépens du Royaume-Uni, demeure que la condition Sine Qua Non pour compléter le processus de décolonisation se résume à l’exercice de la souveraineté sur l’intégrité territoriale.
La position intransigeante de Maurice face à Londres et Washington, forgée par feu sir Anerood Jugnauth, avait aussi rallié un soutien politique et diplomatique sans égal sur le plan international, avec en tête de liste l’Union Africaine.
Mais depuis les déclarations communes du 3 novembre dernier à l’Assemblée nationale et à la Chambre des Communes, Port-Louis opte pour des échanges et consultations sous le sceau du secret avec la vague promesse d’un accord sur fond de droit international dans les meilleurs délais.
Six mois après, c’est toujours « Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir! » Londres continue à défendre son BIOT en dépit du fait qu’au nom de ce même droit international, l’ONU classe l’archipel des Chagos en tant que territoire de la République de Maurice.
Port-Louis souligne que le dernier jugement de la Special Chamber de l’ITLOS est « of great significance as it constitutes a further recognition of Mauritius as the only state that has sovereignty over the Chagos Archipelago, including Diego Garcia »
.Et alors ces deux Orders-in-Council, émis le 10 juin 2004 par feue la reine Elizabeth II, et mis à exécution promptement par le Premier ministre britannique d’alors, le travailliste Tony Blair, interdisant tout Resettlement des Chagossiens dans l’archipel, est toujours en vigueur.
À moins que le nouveau roi Charles III ne décide de les abroger car les travaillistes lorgnent déjà le No 10 Downing Street comme en 1965 et en 2004…