Avec la Révolution industrielle, l’humanité aura accédé à la voie royale la menant à une prospérité au-delà de toute attente. Comment en effet aurions-nous alors pu imaginer, disons vers 1770, quel serait le visage du monde près de 250 ans plus tard ? Pour autant, au fil des décennies, des techniques et des technologies, nous aurons atteint un niveau de développement exceptionnel. Tellement exceptionnel d’ailleurs qu’il aura entraîné de nouveaux désastres, tout autant exceptionnels. Climatiques, bien sûr, mais aussi en termes de pollution, de déforestation, de massacre du vivant…
De nouveaux défis se seront présentés, de nouvelles crises et de nouveaux virus apparus ! Avec une certitude : le monde ne serait jamais plus comme « avant ».
Dans le sillage de cette Révolution, nos économies se seront globalisées, puis mondialisées. Les indices du bonheur auront changé, passant de la réalité physique (ce qui faisait le bonheur d’hier) au virtuel (le bonheur d’aujourd’hui). À l’instar de la croissance, dont notre bonheur, du moins en sommes-nous convaincus, dépend irrémédiablement. Et il faut reconnaître que c’est en grande partie vrai, tant il aura fallu de croissance pour mettre en place et maintenir vivants les services publics – comme l’accès à l’eau, à l’électricité, aux soins… –, construire une sécurité sociale, ou encore mettre à notre portée autant de produits de consommation « courante », en provenance des quatre coins du globe. Tout cela aura permis de construire la société d’aujourd’hui, avec tous les bienfaits que l’on lui connaît.
Mais la médaille a un revers, et de taille. La croissance non seulement ne peut être continuellement maintenue au même niveau, puisque dépendant de ressources pour la plupart épuisables et d’un nombre incalculable d’autres facteurs – pour beaucoup virtuels eux aussi –, mais elle aura aussi poussé l’humanité dans ses ultimes retranchements. Sans croissance, en effet, point de changement climatique. Pas plus que de disparitions d’espèces animales et végétales, excepté celles décidées par Dame Nature. Pas de pollution, pas de pandémie. Des « pas » à n’en plus finir, tant la liste des problèmes anthropiques est longue.
Mais alors, la solution, demanderez-vous ? La décroissance ? En fait, non; nous n’en sommes hélas plus là. Car la décroissance imposerait que l’on fasse marche arrière au même rythme que la croissance, autrement dit lentement, « trèèèès lentement ». Autant dire que si nous avions décidé de choisir cette option, il aurait fallu le faire depuis bien longtemps déjà. Or, aujourd’hui, nous n’en avons tout simplement plus le temps.
Restent deux possibilités, lesquelles se rejoignent d’ailleurs sur certains points, et que l’on pourrait résumer à « reconstruire l’appareil du bonheur ». Pour peu bien entendu que l’on s’entende sur la définition du mot « bonheur », cela va sans dire, puisqu’étant à des encablures de notre conception actuelle, qui présuppose qu’il soit associé au confort de nos sociétés matérialistes. Et la première de ces options est l’alter-croissance. Puisque nous ne pouvons plus parler non plus « d’écologie industrielle », concept né au début du siècle, l’idée est ici d’assurer un certain développement en opérant une révision totale de notre modèle. Nos activités se retrouveraient ainsi transformées en « productions positives », tous secteurs confondus. En parallèle, l’on pourrait créer de nouvelles activités, centrées sur l’humain, et, cela va sans dire, non génératrices de nuisances. Pour faire simple, avec l’alter-croissance, la matière première la plus recherchée ne serait plus le pétrole, l’or ou les métaux rares, mais plutôt la connaissance.
L’autre solution, elle, requiert encore plus d’imagination, car elle implique un changement total de paradigme, soit un retour sans concession aux fondamentaux. Un peu comme l’alter-croissance, donc, mais un degré de « rigidité » au-dessus. Notamment par le biais du développement de communautés d’entraides, de microsociétés entièrement autonomes. Bien sûr, aux deux possibilités évoquées viendront peut-être, et même probablement, se greffer d’autres chemins, d’autres voies qu’il nous reste encore à trouver, à explorer. Encore faudrait-il pour cela accepter de les chercher avant que nous ne nous mangions le mur ! Mais ça, c’est une autre histoire.