Dans le contexte des assises de l’éducation : réflexions sur la question de l’école inclusive (I)

GILLIAN GENEVIÈVE

- Publicité -

On le découvre ces derniers mois, le chantier de la reconstruction dans le domaine de l’éducation est immense et les obstacles nombreux. Il faut le dire : le pays a hérité d’un système malade, conséquence d’une gestion calamiteuse par l’ancien régime. Il est nécessaire d’être lucide et d’oser se confronter au réel. Quitte à ce qu’on se fasse mal. Il s’agit ni plus ni moins d’un crime contre le pays, d’un crime contre nos enfants, un crime contre le présent et l’avenir de l’Ile Maurice.

On ne peut pas se permettre de tergiverser, d’être dans la récrimination; il s’agit, d’urgence, de regarder devant nous, de tout remettre à plat et de parvenir à des solutions.

Pour trouver la bonne stratégie, il faudra cependant être capable de procéder à la bonne analyse et de bien cerner la nature des problèmes. Malheureusement, ils sont nombreux et il est impossible, en quelques lignes, de tout résumer.

Mais, puisque le présent ministre de l’Éducation, l’honorable Mahend Gungapersad, semble avoir la volonté de travailler dans le sens d’une école inclusive, je vais tenter d’apporter quelques réflexions sur le sujet, et plus particulièrement sur les obstacles existants et qui pourraient ne pas permettre l’émergence de cette école ayant pour vocation de permettre à chacun de trouver sa place. Je vais me contenter ici d’énumérer quelques idées sur ce beau projet qu’est l’école inclusive.

On va cependant prendre les choses à l’envers et non pas énumérer les conditions qui permettraient son émergence mais, plutôt, afin de contribuer à la réflexion et à l’analyse, on va tenter de mieux identifier comment les conditions aussi bien politiques, culturelles et sociales qui prévalent, au-delà du discours, ne favorisent pas sa possibilité dans les faits. Cela, je l’espère, ouvrira des perspectives sur ce qu’il faudra faire pour baliser le chemin qui nous mènerait éventuellement à une école offrant sa juste place à chacun de nos enfants.

Etat des lieux

Je vais le dire d’emblée, je n’ai pas le réflexe corporatiste mais je ne peux pas m’empêcher de penser que le métier que j’exerce, celui d’enseignant, est peut-être un des plus importants sinon le plus important en cette période troublée que nous vivons.

Depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, de la Mésopotamie à la Chine, de Jérusalem à Venise, de Paris à Londres, de New York à Shanghai, les façons de transmettre les savoirs ont joué un rôle déterminant dans l’évolution des mœurs, dans l’évolution des cultures, des rapports de pouvoir, des idéologies et des religions.

L’enseignant et l’école façonnent le devenir existentiel de chaque enfant qui pénètre dans une salle de classe. L’enseignant et l’école façonnent le devenir social, économique et politique du pays en contribuant à produire un type d’humain, un type de citoyen appelé à prendre la relève des générations précédentes.

Participer à l’éveil d’un enfant, l’élever au sens étymologique, c’est-à-dire le porter plus haut, l’arracher à sa pure condition animale et l’amener à faire société, « à faire civilisation » par le biais de la connaissance et de la culture tout en restant en harmonie avec la nature et au service d’un monde bienveillant, voilà la mission hors normes et fondamentale de l’enseignant et de l’école.

Cela est d’autant plus important aujourd’hui dans un monde où les repères sont en train de devenir flous, dans un monde où la notion même de vérité est bafouée, dans un monde où les réseaux sociaux diffusent aussi bien certaines vérités que des fake news presque sans filtre, sans hiérarchisation, sans avertissement, et cela au nom de la liberté d’expression. Contribuant ainsi à malmener la possibilité même d’une pensée construite.

La situation s’aggrave et très peu de personnes ont réellement accès à une formation de qualité. Demain, si on n’y prend garde, l’humanité sombrera dans une nouvelle barbarie faite d’ignorance et de technologies mal maîtrisées. C’est déjà un peu le cas.

À Maurice, comme ailleurs, l’humain et son devenir, depuis un moment, malgré les discours, ne sont plus au cœur de la démarche de l’école. Elle est au service, trop souvent, de la logique économique. On ne cherche plus à façonner un être mais, au mieux, une pièce de rechange, un maillon de la chaîne de production, au pire, à formater un humain conditionné pour avoir comme seule grande perspective existentielle de consommer. Au nom d’un certain pragmatisme économique, au nom d’une vision idéologique du devenir humain, au nom du système. Et ce, au mépris des conséquences aussi bien pour la planète que pour l’humain.

Mais pour se donner bonne conscience, ici à Maurice comme ailleurs, on se raconte des histoires et on annonce une école holistique, une école à hauteur d’homme, une école inclusive où chaque enfant trouverait sa voie, se trouverait en tant qu’être et s’épanouirait dans sa singularité.

Bref, une école bien comme il faut, dictée par les normes de la bien-pensance et du politiquement correct. Tout cela, sur le papier, est formidable. Et à Maurice, depuis des décennies, nos différents ministres de l’éducation n’ont cessé de gloser sur la World Class Education que nos enfants obtenaient à la formidable école mauricienne accueillant et traitant tous les enfants mauriciens sur un pied d’égalité.

Ce qui est étrange, c’est que souvent, des proches de ces décideurs politiques ne fréquentaient pas l’école de la république. Ce qui est étrange, c’est que nous n’osons pas intégrer le classement Pisa afin qu’on puisse se confronter à une évaluation comparative de la performance réelle de l’école mauricienne.

Les obstacles

Ainsi, il faudrait, déjà, une société inclusive, où tout le monde trouverait sa juste place et pourrait s’épanouir dans un rôle professionnel et social qui correspond à la singularité, au talent de chaque individu constituant la population. Mais on échoue déjà, dès cette première condition.

Le Mauricien, trop souvent, ne trouve pas sa juste place. La faute à une vision extrêmement étriquée de la notion même de réussite sociale, professionnelle, voire existentielle. Ainsi, nous connaissons tous les fantasmes des parents mauriciens.  Ceux qui symbolisent la réussite sont le médecin, l’avocat, l’ingénieur, l’expert-comptable ou le financier et éventuellement le Lecturer. Tout le reste…au mieux un demi-échec, au pire un échec tout court.

Cette vision largement partagée dans notre pays biaise d’entrée l’orientation donnée dans l’école mauricienne. Tout en haut de la pyramide quelques lauréats qui iront entreprendre des études de droit, de médecine ou d’ingénierie et tout au bas de la pyramide des milliers d’enfants qui vont intérioriser l’idée même d’être des échecs et qui feront des métiers qu’ils croient réservés aux rebuts de la société qu’ils sont: maçon, plombier, boulanger, peintre en bâtiment. Il importe peu qu’ils puissent être bien payés. Zot inn fail PSAC, zot pann al akademi, ils ont dû arrêter l’école après la Form V. Ils porteront donc à jamais le sceau de l’infamie tatoué sur leurs fronts.

Le miroir d’une société injuste

On parle d’inclusivité, mais l’école mauricienne actuelle est à l’image de la société mauricienne. Construite sur l’idée que la réussite se résumerait donc à très peu de métiers et à un niveau de performance dans des filières bien précises.

Nous nous retrouvons ainsi avec aussi bien des maçons peu fiers de leur métier que des médecins mal dans leur peau, ayant certes réussi académiquement et professionnellement, mais qui au fond auraient peut-être rêvé, au plus profond d’eux-mêmes d’être, pourquoi pas, pâtissier (croyez-moi, j’en connais pas mal d’exemples). Mais la famille ne l’aurait pas permis, la société ne l’aurait pas permis et l’école, miroir de cette même société, ne l’aurait pas permis.

Il est faux de dire que toutes les filières sont valorisées dans nos écoles. On sait bien qui on encourage à aller dans les classes de dessin, qui on encourage à aller en science. Et sur quel ton, souvent condescendant, on s’adresse aux enfants qui par malheur galèrent dans les matières stars censées les emmener sur le chemin de la gloire sociale.

Et c’est ainsi qu’en 25 ans de carrière j’ai vu des centaines de parents exiger que leurs enfants étudient la comptabilité ou la physique dans la perspective de les voir un jour au volant d’une Porsche quand ils seront devenus médecins ou experts-comptables.

Nous sommes en tant que société, par nos fantasmes et nos exigences, coupables de rendre la possibilité d’une école inclusive caduque dès le départ. L’enfant qui entre dans l’école mauricienne est piégé dès son entrée. Derrière le discours politiquement correct se cache une machine destinée à le broyer pour, au mieux, le mettre sur le droit chemin des attentes étriquées d’une société souvent bornée ou, au pire, de le condamner à se voir comme un bon à rien parce qu’il ne correspond pas à nos canons de réussite.

Les dés sont pipés dès l’entrée à la maternelle où on organisera des simulacres de Graduation Ceremony parce que c’est mignon. Mais cela fait écho à des objectifs en fin de parcours académique encodés dans l’imaginaire collectif mauricien qui contribuent depuis des générations à laisser croire à des enfants qu’ils sont inaptes. Le discours est intériorisé et écrira tout le chemin à venir.

Non-valorisation des métiers et discours égalitaristes

Une véritable école inclusive passerait donc par un changement culturel et sociétal mais également par une valorisation de tous les métiers manuels comme non manuels. Afin que tout le monde y trouve son compte et la place qui correspond aussi bien à ses talents innés, à son histoire personnelle qu’à ce qu’il est en capacité d’acquérir en cours de route.

Notre école, au fond, tout en disant accueillir tout le monde, refuse le droit à la différence en disant justement, au nom du politiquement correct, que tout le monde a la possibilité de réussir académiquement en allant jusqu’au bout de la HSC pour ensuite continuer des études supérieures dans les universités. Quitte pour cela, à baisser les critères d’entrée pour admettre tout le monde. On piège ainsi des milliers de jeunes qui se sentent forcés de parcourir ce chemin, n’osant pas mettre en avant peut-être leur désir qu’ils pensent non légitime de devenir jardinier paysagiste ou ébéniste ou musicien ou pêcheur. Oui, je suis pour qu’on crée les conditions pour que chaque enfant mauricien puisse avoir la même chance de réussir. Mais dire que la réussite académique, telle qu’on la conçoit à Maurice est à la portée de tous, c’est refuser à beaucoup le droit d’être différent.

Il y a toujours, certes, la possibilité de l’acquis mais nous ne pouvons pas nier non plus certains déterminismes. Le bon sens nous demande de regarder le réel tel qu’il est. Mais en étant prisonnier du politiquement correct ou d’une idéologie égalitariste qui, au fond, bafoue le droit à la différence, on enferme nos enfants dans un parcours pour lequel ils ne sont pas nécessairement faits. Mais chut ! Il n’est pas correct de le dire. Le chemin de l’enfer est ainsi pavé de bonnes intentions…

A SUIVRE


- Publicité -
EN CONTINU ↻
éditions numériques