Coûts pour coûts

Ce n’est pas aux Mauriciens que l’on va apprendre à quel point le coût de la vie devient insoutenable. Chaque roupie, bien qui perdant chaque jour qui passe un peu plus de sa valeur, est aujourd’hui sciemment pesée, que ce soit à la boutique du coin, au supermarché ou au bazar. Cette perte progressive de notre pouvoir d’achat, certes, est en partie imputable à des facteurs exogènes, comme aiment à le rappeler nos dirigeants. Pour autant, il faut convenir dans le même temps que la responsabilité politique est tout autant engagée dans le processus, et ce, le plus souvent par manque de vision. Avec cette aberration désormais qu’il semble plus facile de s’engager dans de grands projets infrastructurels que dans une refonte de nos fondamentaux d’existence, telle que l’autosuffisance alimentaire. Comment, sinon, expliquer que des fly-overs continuent d’émerger alors que sévit sur le marché une pénurie d’œufs et de poulets, qui n’avaient pourtant jamais manqué jusqu’ici ?

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Au-delà de cette vision court-termiste (un mandat ne dure que cinq ans), il faut toutefois admettre que les altérations de notre machine économique ne sont pas toutes de nature locale. Si le système est grippé, c’est évidemment qu’il a par-delà la politique des causes plus profondes. Entre autres éléments perturbateurs, l’on pourrait évidemment citer la guerre en Ukraine, ou encore celle au Moyen-Orient, mais aussi les conséquences encore palpables à travers le monde de la pandémie de Covid, certaines économies peinant en effet encore à se relever. Sans compter des facteurs moins tangibles dans leur forme, mais dont l’impact peut s’avérer profond, comme des soulèvements populaires ou des élections, et dont les résultats influent directement sur les transactions internationales.

Cela dit, il ne s’agit ici que de la partie émergée de l’iceberg, car d’autres crises interfèrent également de manière plus sournoise, mais tout aussi significative, sur l’envolée des prix, à commencer par les catastrophes météo liées au dérèglement climatique. Si ce dernier phénomène n’est pas nouveau en soi, ses conséquences sur notre portefeuille, elles, le sont un peu plus. Il faut en effet savoir que les prix des produits alimentaires ont subi d’énormes variations en quelques années seulement. Ainsi, de 2022 à cette année, l’on aura assisté à une inflation mondiale record, avant que celle-ci baisse l’année suivante pour, finalement, reprendre son envol en 2024. Et ce, en raison de divers aléas climatiques, en grande partie.

À ce titre, les exemples ne manquent pas. En Europe, par exemple, les canicules de l’été 2022 ont eu des répercussions inattendues, avec un pic d’inflation de l’alimentation de 19%, contre 5% de moyenne annuelle (phénomène appelé « heatflation »). Dans le même temps, en région méditerranéenne, le prix de l’huile d’olive a explosé, là encore en raison de vagues de chaleurs et de sécheresses, rendant carrément arides certaines zones, d’ordinaire uniformément fertiles tout au long de l’année, et ce, pendant des périodes anormalement longues. Ou encore aux États-Unis, où l’ouragan Ian, qui a dévasté la Floride en septembre 2022, a durement impacté la production fruticole, notamment d’oranges.

Ce ne sont évidemment que quelques exemples, mais ils illustrent à eux seuls très bien la réalité physique de l’impact du changement climatique sur notre production alimentaire. Sachant que Maurice dépend essentiellement de l’importation, l’on comprend dès lors mieux à la fois pourquoi les prix ont si rapidement pris l’ascenseur, mais aussi l’importance d’instaurer une véritable politique visant à rehausser la production locale et à se rapprocher, au moins un peu, de l’autosuffisance. Car en fin de compte, dans un monde globalisé – nourri par un système économique qui, bien qu’à bout de souffle, continue de permettre toutes les perversions envers nos ressources et nos écosystèmes –, seul ce type d’initiative paraît à même de nous offrir un temps de répit.

On ne cesse de le répéter : le changement climatique est en marche, et rien que nous ne puissions faire aujourd’hui ne changera sa folle course pour les années et décennies à venir. Raison de plus, donc, de modifier notre rapport avec la planète et de revoir notre système d’échanges. Chaque Etat ayant comme responsabilité première de subvenir aux besoins élémentaires de sa population, on est donc en droit d’attendre de Maurice qu’elle en fasse tout autant. Sous peine, un jour, de voir notre île redevenir aussi déserte qu’elle ne l’était avant l’arrivée des Hollandais.

 

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