Cet habitant de Trois-Boutiques faisait partie d’une association, ayant décroché le Jackpot du Loto avec ses collègues, mais l’un d’eux avait empoché tous les gains
La Cour suprême ordonne que les Rs 24,9 M du jackpot de Rs 27,5 M soient partagées entre les 6 associés affectés à l’aéroport
Un soulagement. C’est ainsi que la famille Gopy, de Trois-Boutiques, qualifie le dénouement de cette affaire, qui aura duré plus de dix ans. En décembre 2010, Arjoon, le père de famille, agent de sécurité de la compagnie Brinks, basé à l’aéroport, découvre que les numéros gagnants du Loto sont ceux qu’il avait inscrits sur le bulletin que son superviseur était chargé de valider pour leur association de 17 personnes. Sauf que ce dernier a empoché seul le jackpot de Rs 27,5 millions dans le dos de ses collègues, prétextant avoir joué les numéros de ses propres fonds. Toutefois, après une longue bataille légale, la Cour vient de donner raison à Arjoon Gopy.
Dans le village de Trois-Boutiques, dans le Sud de l’île, l’histoire d’Arjoon Gopy est connue de tous. Certains ont sympathisé avec lui, d’autres se sont montrés sceptiques, d’autres encore ont même émis des doutes sur la véracité de ses propos. Mais l’homme, aujourd’hui âgé de 65 ans, n’a jamais baissé les bras. « J’avais inscrit ces numéros de mes propres mains et je savais de quoi je parlais. C’est pour cela que je n’ai pas hésité à aller de l’avant. Je remercie tous ceux qui ont cru en moi. Toute ma famille qui m’a soutenu, ainsi que mes hommes de loi. J’ai une pensée spéciale pour Me Yousuf Mohamed, qui nous a quittés récemment. C’est l’une de ses dernières grandes victoires au prétoire »
Entouré de ses proches, Arjoon Gopy se remémore encore de cet événement qui a marqué sa vie. Le 18 décembre 2010, comme pour chaque tirage du Loto, ses collègues et lui cotisent pour jouer en association. Les numéros gagnants pour ce tirage sont alors les 5, 7, 19, 24, 26 et 38. Le ticket a été validé chez Chan Kin Pool & Co, à Port-Louis, et le jackpot s’élève à Rs 27,5 millions. Ce n’est que deux jours plus tard, en se rendant au travail, qu’Arjoon Gopy prend connaissance des numéros gagnants. L’absence du superviseur, qui était chargé de valider les tickets, intrigue cependant l’agent de sécurité et ses collègues. Ils apprendront plus tard que celui-ci a touché le jackpot dans leur dos et a démissionné. Débute alors une longue bataille légale pour cet habitant de Trois-Boutiques.
La famille Gopy prend d’abord contact avec Ritesh Ramful, député de sa circonscription. Par la suite, un panel constitué de Mes Yousuf Mohamed, Senior Counsel, et Manoj Seebun, est constitué pour loger une plainte en Cour. En 2011, le plaignant obtient le gel de Rs 20 millionsd sur les comptes du superviseur à la MCB et à la MPCB. Rs 7,5 millions avaient déjà été utilisées ou transférées ailleurs. « Pendant ces derniers dix ans, j’ai été très stressé. Je suis tombé malade, j’ai été admis à l’hôpital. Ce n’était pas évident. J’étais très triste de ce qui nous était arrivé. Surtout que je ne pouvais profiter des numéros inscrits de mes propres mains », dira-t-il.
Dix longues années d’attente
De plus, Arjoon Gopy s’est retrouvé à un moment donné seul dans son combat. Le superviseur ayant brandi la menace de poursuites contre ceux qui lui jetaient le blâme, ses autres collègues avaient pris peur. Mais avec le soutien de sa famille, Arjoon a décidé d’aller de l’avant. Mais même là, ce n’était pas toujours évident. Son fils cadet Ritesh explique : « Des gens m’ont demandé si mon père disait la vérité. S’il était sûr que ce sont les numéros qu’il avait notés… À un moment donné, moi-même j’ai eu des doutes, et j’ai demandé à mon père s’il était certain de ce qu’il avançait. »
Raison pour laquelle, après le jugement, Ritesh Gopy déclare : « au-delà de l’argent, cette victoire est celle de la vérité. Beaucoup de personnes avaient des doutes sur la sincérité de mon père. Aujourd’hui, la Cour a rétabli son intégrité. C’est beaucoup plus important pour nous que l’argent. »
Justement, au cours de la semaine dernière, Arjoon Gopy a enfin pu toucher sa part du jackpot, soit environ Rs 1,9 million. Il en est de même pour ses collègues, dont certains avaient deux parts. Il concède cependant que l’affaire a pris un peu de temps en Cour, mais se dit satisfait des retombées. Le paradoxe a voulu qu’au moment même où les 16 agents de sécurité – certains étaient employés par Brinks, d’autres par la Mauritius Duty Free Paradise et la Mauritius Revenue Authority – touchent enfin leur gain, le superviseur, lui, soit décédé. Raison pour laquelle la famille Gopy ne veut pas en dire davantage sur lui, préférant savourer sa victoire. « Que son âme repose en paix ! » disent-ils.
Quant à savoir ce qu’Arjoon Gopy veut maintenant faire de son argent, il dira en toute humilité : « Ena inpe lapriyer pou fer avan, pou remersie Bondie. Apre nou gete. » Parmi ses projets figure un voyage à l’étranger avec son épouse, même s’il ne connaît pas encore la destination. Il en discutera avec sa femme, Dharmaotee, qui ne manque pas de rappeler, tout sourire : « Bolom ena enn devwar pou amenn mwa promne… » Elle confie elle aussi comment ces dix dernières années auront été difficiles, mais que la famille n’a jamais baissé les bras.
Sa belle-fille, Athisha, ajoute : « une trahison n’est pas facile à vivre. Nous remercions tous ceux qui nous ont soutenus pendant toutes ces années. Le rêve de la famille, aujourd’hui, c’est que papa puisse prendre sa retraite plus tôt et se reposer. » En effet, à 65 ans, Arjoon Gopy est toujours agent de sécurité.
Lorsqu’on lui demande s’il aurait conservé son job s’il avait remporté le jackpot dix ans plus tôt, il répond sans hésitation par l’affirmative: « oui. J’aurais continué à travailler.» Son fils, Ritesh, renchérit : « notre souhait est que notre papa puisse enfin profiter de sa retraite. À son âge, il n’a pas de grands projets avec son argent, car il n’a pas de maison à construire, ni de dettes à rembourser ou d’enfants à envoyer à l’étranger pour des études. Nous lui avons dit de profiter de son argent sans se soucier de nous. C’est son dû. »
Ritesh concède qu’avec l’âge, souvent, viennent des complications de santé. « Il faudra donc prévoir pour tout cela. Il veut faire un voyage, nous lui souhaitons de faire le voyage de ses rêves avec maman. » Il souhaite également bon courage aux collègues de son père et espère qu’ils pourront profiter pleinement de leur argent. « Moi, ma plus grande satisfaction, c’est que l’île Maurice entière sache aujourd’hui que mon père n’avait pas menti. Il n’avait pas tenté d’avoir une part d’un jackpot qu’il ne méritait pas. Je suis fier de mon papa. »
Rishi, le fils aîné, partage l’avis de son cadet. Il remercie tous ceux qui ont aidé à faire éclater la vérité. Le couple Gopy a également un autre fils, qui travaille sur des bateaux de croisière, et une fille. Arjoon Gopy est particulièrement redevable envers son neveu, le sergent Satish Runglall, qui l’a accompagné dans toutes ses démarches.
À l’aube de la retraite, Arjoon Gopy se sent enfin libre. Au-delà de l’importante somme d’argent qui vient d’être versée sur son compte, il a la conscience tranquille et son intégrité intacte…