Le coup d’envoi des activités marquant la commémoration du 190e anniversaire de l’abolition de l’esclavage et du tricentenaire du Code Noir a été donné, jeudi, au Centre Nelson Mandela pour la culture africaine (NMCA), à La-Tour-Koenig, avec le lancement de l’album « Grand Noir Jean-Baptiste Lislet-Geoffroy », sous la signature de notre compatriote Didier Sooben qui vit à l’île de la Réunion. Dans une rencontre avec Le Mauricien, il souligne que la genèse du projet remonte à 2022 et s’inscrit dans le cadre de la célébration des 50 ans du Lycée Lislet Geoffroy à l’île sœur. Il met ainsi « en lumière le premier personnage noir, connu comme un sang-mêlé à l’époque, libre et savant » qui servirait, aujourd’hui, de « modèle aux jeunes des îles sœurs et de la région ».
« Grand Noir », est un album bilingue anglais-français, comprenant une cinquantaine de pages dont la moitié est illustrée. Il présente « le premier sang-mêlé savant, fruit de l’amour entre un blanc et une noire, qui a vu le jour à l’île de la Réunion mais qui a travaillé et est mort à l’île Maurice ». Pour Didier Sooben, « le Code Noir a servi à lier les deux îles dès ce premier siècle du peuplement car M. Geoffroy, un ingénieur blanc et Niama, une négresse, princesse de la Guinée, furent contraints de fuir l’île de France pour se rendre à l’ile Bourbon pour mieux vivre leur amour ».
Le projet se décline en deux volets. Outre l’album imprimé, avec les couvertures cartonnées, le lecteur est invité à scanner le QR code créé par l’auteur, et qui se trouve sur la première de couverture, pour se rendre sur la version numérique, disponible sur internet pour une expérience « de réalité augmentée ». Il offre ainsi deux capsules de 3 minutes 10 chacune à l’utilisateur qui découvre de manière « interactive », l’histoire de ce géographe noir. Cette démarche a, pour objectif, d’inscrire ce projet dans l’ère du temps – des jeunes sont toujours accrochés à leurs téléphones portables ou leurs tablettes, observe-t-il –, et d’éveiller davantage la curiosité des lecteurs.
Outil pédagogique
Évoquant le titre de l’ouvrage, il souligne qu’ « à La Réunion, Grand Noir fait référence à quelqu’un qui a fait quelque chose de grand ou d’exceptionnel » contrairement à sa connotation péjorative mauricienne qui renvoie à quelqu’un imbu de sa personne. Pour lui, « grand noir », au même titre que « grand blanc » à la Réunion, est « un terme universel ».
C’est à l’occasion de la célébration des cinquante ans du Lycée Lislet Geoffroy, à Saint-Denis, avec la mise en place d’un comité de collaborateurs que l’idée de créer un livre sur « cet homme libre » lui est venue. Face aux jeunes qui ont souvent tendance à se décourager devant les études, il a choisi de mettre en lumière un personnage noir. « L’ouvrage est un outil pédagogique qui peut être exploité en cours », soutient-il : « Qu’importe la situation dans laquelle on se trouve, avec un objectif, on peut s’en sortir ».
L’auteur met en avant par ailleurs : « Nous avons toujours tendance à regarder ailleurs. Or, nous avons là devant nous un modèle qui est bien de chez nous. Et, c’est sans doute ce métissage qui a contribué à en faire un savant. C’est un sujet qui est toujours d’actualité. Quand on parle de cette période, on voit qu’elle s’inscrit dans la continuité. Lisley-Geoffroy a fait bouger les choses ici, à Maurice. Il a cartographié une vingtaine d’îles et de territoires dont l’île Maurice en ayant comme seuls outils le compas et l’équerre », affirme M. Sooben.
Recherche
Pour lui, Jean-Baptiste Lislet Geoffroy a aussi été un lien entre La France et l’Angleterre qui a, par la suite, pris possession de l’île de France. « C’est lui qui a été choisi pour remettre toutes les clés aux Anglais et pour poursuivre le travail car il connaissait tous les dossiers de l’époque », d’où d’ailleurs le choix de faire un album bilingue anglais-français. « C’est un hommage qui lui est rendu », dit-il. Jean-Baptiste Lislet Geoffroy a aussi été le premier noir admis à l’Académie des Sciences de Paris, fait-il ressortir. Ainsi, M. Sooben souhaite relever l’importance de l’éducation dans la vie d’un être : « Elle nous donne la liberté. C’est cela qui nous rend égal dans notre dignité ».
Didier Sooben revient sur le début du projet. Avec le soutien de son parrain, Mario Serviable, géographe-urbaniste, qui « lui a ouvert toutes les portes », affirme-t-il, il commence à s’intéresser à l’homme et entame ses recherches. D’abord, auprès du Blue Penny Museum, au Caudan, ensuite auprès de la loge maçonnique La Triple Espérance, puisque, précise-t-il, « Lisley Geoffroy était maçon » et aux Archives départementales de La Réunion (ADR). « J’ai collecté toutes les réponses possibles dans un premier temps avant de me rendre aux ADR ». Les recherches ont été longues et une fois les informations recueillies, l’auteur qui est également illustrateur est allé vite avec le texte et les illustrations. Il a ensuite planché sur une version numérique.
Didier Sooben est né et a fait toute sa scolarité jusqu’au Higher School Certificate (HSC), à Maurice avant de mettre le cap sur Toulouse, où il complète cinq années d’études en histoire et théologie. En 2008, il décide ensuite de s’installer à l’île de la Réunion, où il met ses compétences au service du pays et de la région océan Indien. Didier Sooben a plusieurs cordes à son arc. Outre l’enseignement, il est aussi engagé dans l’entrepreneuriat et le travail social. Parmi ses différentes responsabilités, il est un observateur de marché dans toute la région ; avec la collaboration de spécialistes du domaine médical, il accompagne des personnes atteintes de lourdes pathologies et qui ont besoin de traitements. Didier Sooben est aussi entrepreneur, écrivain et dessinateur.
Le Morne
Par ailleurs, vendredi, soit au lendemain du lancement de son album, l’auteur, accompagné de quelques amis réunionnais, a fait l’ascension de la montagne du Morne, dont tout le site a été classé patrimoine mondial de l’UNESCO pour sa valeur universelle exceptionnelle de marronnage et de résistance à l’esclavage. Il y a déposé des exemplaires de l’album en mémoire à ceux qui y ont connu l’esclavage et comme symbole « de liberté et de résilience ».
L’auteur lance ainsi un appel à la jeune génération, notamment ceux qui portent encore en eux les séquelles de l’histoire, « de ne pas rester dans cet état. Ce sont leurs grands-parents qui ont vécu cela. Je leur demande de s’appuyer sur des choses positives, de trouver l’inspiration pour aller de l’avant ». Un des modèles à suivre est Jean-Baptiste Lisley Geoffroy. D’après M. Sooben, avec « l’éducation, l’instruction, la détermination et l’audace, on peut avancer ».
« Grand Noir Jean-Baptiste Lislet-Geoffroy » est son premier album édité avec le soutien financier du Conseil départemental de la Réunion. Un millier d’exemplaires a été imprimé, dont la moitié sera écoulée à Maurice et l’autre moitié à La Réunion. À Maurice, l’album est disponible à Kotpiale, à Rose-Hill.