Cas de figure : j’ai 80 ans et je touche moins de dix mille roupies par mois. Dieu merci, j’arrive à économiser une partie de mes sous pour mes petits-enfants lorsqu’ils viennent me voir une fois par mois. Quand le 15 de chaque mois approche, je ressens une joie intense au fond de ce vieux cœur qui bat encore. Je les attends toujours avec impatience pour les cajoler, les tenir dans mes bras et leur raconter des histoires d’antan. À mon âge, je ne peux pas vraiment bouger. J’ai les pieds en compote presqu’en permanence et je souffre de douleurs ici et là.
Je vis seule ou presque, puisque ce n’est que pendant la journée que la garde-malade est à mes côtés. Mon époux ? Il est parti pour un monde meilleur, comme on dit, il y a dix ans. Je me demande pourquoi les hommes sont toujours si pressés de partir et de nous laisser veuves ! Y aurait-il meilleur ailleurs ? Nous avons passé presque cinq décennies ensemble et aujourd’hui, il me manque beaucoup. La vie n’est plus pareille sans lui. Bon, d’accord qu’il râlait beaucoup mais il était quand même là, à mes côtés, à veiller sur moi la nuit, à me couvrir lorsque je tremblais en ces longues nuits d’hiver. Mais aujourd’hui, je suis seule, esseulée même. Mes enfants travaillent dans de grandes compagnies. J’en suis fière. Le seul hic, c’est qu’ils n’ont pas vraiment de temps pour moi. Ce que mon cerveau comprend, mon cœur refuse de saisir. Je fais d’énormes efforts pour ne pas les enquiquiner, mais je n’y parviens pas, je n’y arrive plus. Je dois les appeler et même si c’est pour entendre : « Maman je suis busy ! Je te rappelle plus tard ! » Je raccroche alors et je m’endors sans jamais entendre la sonnerie de mon téléphone.
On dit qu’une vieille grand-mère trouve toujours les mots justes pour consoler les petits et les grands. Mais, moi, je n’ai personne qui voudrait bien m’écouter et, surtout, m’entendre. Je sais bien que je n’ai pas beaucoup de temps à vivre et le soir j’ai peur ; j’ai peur de le rencontrer lui, l’ange de la mort.
Bon assez pleurnicher pour aujourd’hui. Je continue ma journée en pensant à mon époux et au temps où, comme vous, je ne me préoccupais pas vraiment du sort des vieux.