Le Keats College de Chemin-Grenier a eu son premier lauréat en HSC Pro cette année. Clément Wong, son Manager, tout en saluant le travail exceptionnel de son équipe, ne voit pas cela comme la lumière au bout du tunnel pour autant. Selon lui, il est devenu très difficile de gérer un collège privé Grant-Aided. Et il se dit prêt à le fermer si l’occasion se présentait. Il déplore également l’indifférence des autorités devant l’excellente performance de ses élèves et de ses enseignants dans la filière HSC Pro.
Le Keats College a eu son premier lauréat cette année en HSC Pro. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
C’est une grande fierté. Le Keats College a toujours essayé d’innover, au profit des élèves. Nous avons été l’un des premiers à offrir Food and Nutrition dans le secondaire à Maurice. À un moment donné, nous avons permis aux garçons également d’opter pour cette matière. Nous avons aussi pris l’option du HSC Pro dès le départ.
Avoir un lauréat après 60 ans est un cadeau du ciel. Et même si la population a super-bien accueilli cette nouvelle et que nous avons eu des retours favorables de l’étranger, il n’y a rien eu du côté des autorités. Même pas un petit mot. Cela fait un peu triste. Cela me touche un peu. Je ne m’attends pas qu’on nous donne un prix, mais au moins qu’on reconnaisse que le travail que nous faisons, surtout mes enseignants. Nous avons eu une formidable équipe qui a travaillé très dur pour cela.
J’ai appris qu’il y avait même des enseignants qui ont travaillé jusqu’à deux heures du matin avec ces jeunes. Je me dis qu’il y a encore des gens qui se dévouent corps et âme dans cette profession.
J’ajouterai que cette consécration est arrivée au bon moment. D’abord, il y avait un élève qui voulait réussir, des parents qui ont fait ce qu’ils devaient pour le soutenir et j’ai eu l’équipe d’enseignants qu’il fallait pour produire ce résultat. Les conditions étaient réunies.
Pourquoi avez-vous cru dans le projet HSC Pro ?
Quand les autorités ont introduit le HSC Pro, il y a huit à neuf ans, nous nous sommes dit que c’était une innovation. C’est différent du Cursus standard. Cela donnait la possibilité aux élèves n’ayant pas nécessairement la fibre académique de réussir leur vie. Nous avons pris l’aventure à bras-le-corps et petit à petit, nous nous sommes rendu compte que c’était quelque chose qu’il manquait dans le paysage.
Année après année, nous nous rendons compte que ce mix de réalités professionnelles et académiques était une super-opportunité pour nos enfants. Depuis quelques années déjà, nous produisons de bons résultats dans ce domaine. Nous n’avons pu avoir un lauréat lors de la première édition où la bourse était octroyée pour le HSC Pro, mais mon équipe était confiante. Si les choses continuent dans le même sens, j’espère pouvoir en avoir un deuxième dans pas très longtemps.
C’est une très bonne chose d’offrir une diversité dans le type d’éducation. Nous avons trop mis l’accent sur l’aspect académique pendant toutes ces années. C’est encore le cas d’ailleurs. Il faut donner à nos jeunes l’opportunité de grandir et de s’exprimer autrement.
Il y a une perception que les élèves qui optent pour le HSC Pro sont plus faibles que les autres. Qu’en pensez-vous ?
C’est peut-être un problème culturel. D’abord, il y a des gens qui ne savent même pas ce qu’est le HSC Pro. Ils sont plus habitués aux SC et HSC classiques et sous-estiment le HSC Pro. La différence avec ce programme est qu’il permet aux jeunes de se préparer pour une vie professionnelle car ils ont des stages à faire. Nous ne pouvons nous attendre que tout le monde coure les 100m. Il y a d’autres compétences, d’autres capacités. D’après ce que j’ai compris, bientôt, d’autres filières s’ajouteront au HSC Pro. Je crois que ce sera bénéfique à tout le monde.
Vous êtes un des managers qui a contesté en Cour la nouvelle formule de Grant aux collèges privés. Pourquoi ?
Il faut savoir que notre contestation ne date pas d’aujourd’hui. J’ai rejoint le wagon depuis 2017, avec les membres de la MPSSU, nous avions déjà porté un cas en Cour. Malheureusement, cela n’a pas été en notre faveur.
Aujourd’hui, nous réalisons que le partenariat initial qu’il y avait eu entre le gouvernement et le secteur privé Grant-Aided est cassé. Quand nous regardons l’histoire, nous voyons qu’au départ il était question que le gouvernement assure la scolarité des enfants à la place des parents. Une année après, c’est passé à une allocation. Je crois que le mot Grant lui-même change toute la donne. Je crois que les managers de l’époque n’ont pas réalisé ce qui se passait et avec le temps, il y a eu perversion du système.
Aujourd’hui, gérer un collège Grant-Aided est plus un fardeau, alors qu’au départ, c’était une vocation, une possibilité de faire quelque chose de bien pour la société. À ce jour, au lieu que mes collègues et moi, nous travaillons pour innover, améliorer la qualité et donner plus d’opportunités à ces enfants mis sous notre responsabilité, nous nous retrouvons à nous creuser les méninges, du matin à soir, pour survivre, pour donner un minimum à ces enfants et à notre personnel.
Peut-être qu’il y aura des gens qui diront qu’encore une fois, nous venins parler de sous. L’éducation a un budget de Rs 21 milliards, très peu de cet argent arrive aux collèges privés Grant-Aided. Aujourd’hui, cela se ressent partout. S’il y avait autant d’argent que nous le croyions , nous ne serions pas venus nous plaindre pour rien. Nous n’aurions pas mis des cas en Cour. Nous ne nous sentirions pas oppressés.
Toujours est-il qu’il y a un montant qui vous est attribué pour l’Annual Rental Value, soit pour l’utilisation de vos infrastructures…
Je vais essayer de vous expliquer cela le plus simplement possible. Sur papier, il y a un montant qui est prévu pour le bâtiment, un Package pour le Manager. Ensuite, il y a un montant pour les dépenses courantes. Le salaire des employés est versé directement et c’est défini par le PRB.
Le montant du loyer qui est payé est déterminé après une évaluation de notre bâtiment et de notre terrain, par les autorités concernées. Nous n’avons aucune idée comment le calcul a été fait. Souvent, le montant qui nous est attribué ne correspond pas avec celui de nos évaluateurs.
Le montant qui est supposément alloué au Manager, qui tourne autour de Rs 46 000, est calculé selon la population du collège. Cela inclut le transport, le téléphone, la CSG, etc. Ce qui fait que de nos jours j’ai une bonne partie de mon personnel, couvert par le PRB, qui est mieux rémunéré que moi.
Concernant l’allocation pour les opérations du collège, la Private Secondary Education Authority nous verse de l’argent en avance, pour trois mois. C’est cela la Variable Grant. Après avoir fait mes dépenses pour ces trois mois, je soumets ma liste à la PSEA. C’est là que les ennuis commencent, parce qu’on viendra me dire que tel item ne passe pas, tel item ne passe pas et ainsi de suite.
Allons dire que j’ai fait des dépenses à hauteur de Rs 50 000. L’autorité me dit qu’elle ne reconnaît que Rs 20 000 de dépenses, puisque les dépenses pour les Rs 30 000 restantes ne sont pas reconnues. Cela voudra dire que je dois rembourser ces Rs 30 000 de ma poche. Ce qui va se passer dans ce cas, c’est que quand je recevrai de l’argent pour le prochain trimestre, l’autorité va déduire Rs 30 000 de la somme que j’étais supposé recevoir. Je me retrouve avec Rs 30 000 en moins dans mon budget pour les dépenses courantes du collège.
Malheureusement, l’histoire peut se répéter le trimestre suivant et ainsi de suite. Au final, je me retrouve avec zéro sou. Ce qui va se passer maintenant, nous allons déduire dans l’Annual Rental Value. Cet argent n’est pas l’argent du Manager. C’est l’argent du propriétaire du bâtiment. Dans mon cas, c’est ma famille. Nous allons aussi déduire dans le Managerial Grant.
Pour faire face à la situation, nous devons puiser dans nos réserves. Mais avec le temps, les réserves s’épuisent aussi. J’ai entendu dire que le Rodrigues College ne va pas pouvoir tenir très longtemps. Je suis exactement dans le même cas. Je tiens par un fil. Je ne sais pas trop pour combien de temps encore.
La ministre a dit récemment à l’Assemblée que l’Annual Rental Value va directement dans la poche des managers et que la PSEA ne touche pas à cet argent. Qu’en est-il exactement ?
L’exemple que je viens de citer donne clairement un aperçu de ce que la situation est réellement. On dit que ça va dans la poche des Managers, mais ce n’est pas le cas. C’est de l’Annual Rental Value (ARV) et de la Block Grant pour le Manager qu’on va déduire en premier. Sur papier, il y a des chiffres certes, mais cela ne se traduit pas sur le compte en banque.
Quand les autorités ont augmenté l’ARV, qui est aujourd’hui, de Rs 350 000 à Rs 750 000 par mois, dépendant des collèges, il a été décidé qu’il y a beaucoup d’item qui ne seront plus couverts. Par exemple, la maintenance est exclue aujourd’hui. L’ARV couvre le bâtiment et les facilités mises à disposition. Je me retrouve à régulièrement devoir trouver des sous pour les Day-to-Day Repairs and Maintenance.
Je vous donne un exemple : nous avons fait des travaux dans les toilettes. Dès le lendemain, cela a été endommagé. Nous réparons à nouveau et c’est la même chose. Peut-être que personne ne se rend compte de la quantité de dégâts qu’il y a dans un collège et des réparations qu’il faut faire.
Un autre exemple, notre Waterproofing a été endommagé lors du passage d’un cyclone. Comme j’avais une assurance – à mes frais – pour le bâtiment, j’ai fait une réclamation. J’ai eu la surprise d’entendre dire que sur les Rs 940 000, j’aurai un remboursement éventuel de Rs 40 000 seulement. Et de cette somme il fallait enlever Rs 25 000 d’excess. Avec Rs 15 000 qu’est-ce que je peux faire ? En gros, j’ai payé l’assurance pour rien. Actuellement, le bâtiment fuit.
Un collège privé Grant-Aided, qui se retrouve en difficulté a-t-il le droit de fermer ?
Il faut prendre en considération que nous avons des employés. Certes, ce n’est pas moi qui fais leur salaire, mais ils sont sous ma responsabilité. Tout est régi par le PRB. De l’autre côté, c’est la PSEA qui décide de leurs heures de travail et ainsi de suite. Au final, ma seule responsabilité est de les recruter, avec l’aval de la PSEA. Pour tout le reste, ce sont les autorités qui décident.
Je dois demander la permission pour tout. Mon interrogation est qu’est-ce qui va se passer si je décide de fermer. J’ai entendu le directeur de la PSEA dire à la radio que si un collège privé Grant-Aided ferme, il va prendre en charge le personnel, mais je ne sais sous quelles conditions.
En gros, vous êtes un peu obligé de poursuivre dans les conditions actuelles ?
Je suis obligé…, je ne sais plus. Si demain, j’ai le choix, je prendrai la décision de fermer très rapidement.
Y a-t-il des répercussions pour avoir contesté la formule de Grant en Cour ?
Ce n’est même pas le fait d’avoir porté l’affaire en Cour qui cause des répercussions. Elles sont là depuis un bout de temps. Des collègues m’ont dit qu’ils ont reçu la visite des officiers de la Mauritius Revenue Authority récemment. Certes, les autorités insistent sur la bonne gouvernance, mais les collèges Grant-Aided ont toujours eu l’obligation d’avoir des comptes audités. Ce qui m’intrigue, c’est que ces collèges visités sont des collèges contestataires.
Par le passé, je me suis fait taper sur les doigts quand j’avais remis en question les directives de l’autorité. Par exemple, à un moment, la PSEA avait demandé de lui envoyer la liste des élèves qui allaient prendre part au National Certificate of Education, pour remettre au MITD. J’ai fait savoir au directeur qu’il y avait un problème de Data Protection et je me suis fait taper sur les doigts.
Récemment, j’ai même été avisé qu’il y aura des déductions sur mon allocation parce que je n’ai pas déclaré de Redundant. Ce qui est plus regrettable c’est qu’aujourd’hui, l’autorité vous envoie des circulaires et vous devez vous y plier. Par moments, vous n’y comprenez rien. Ce que j’attends de l’autorité, c’est qu’elle soit à l’écoute et ouverte au dialogue. Je ne demande pas la lune. Quand je vois qu’il y a un problème et que nous allons dans la mauvaise direction, je dois pouvoir le dire. Mais ce n’est pas le cas. Quand vous écrivez une lettre pour attirer l’attention sur certaines choses, il n’y a pas de retour. Il n’y a aucun dialogue avec l’autorité. Nous aurions dû pouvoir travailler ensemble.
C’est quoi le remboursement pour les Redundants ?
J’ai été surpris il y a quelque temps de recevoir une lettre de la PSEA, me disant que vu que je n’avais pas soumis la liste de Redundants pour l’année, on allait déduire l’argent qu’on a payé aux enseignants de mon allocation. Les Redundants sont des enseignants qui n’ont pas de Time Table. Avec le déclin de la population estudiantine, nous pouvons nous retrouver parfois, avec des enseignants en surnombre. Ce que nous faisions, nous mettions deux enseignants dans une classe par moments, pour un meilleur encadrement. C’était bien pour tout le monde.
En 2022, je sors donc mon Time Table avec deux enseignants par classe, mais la PSEA me dit non, il faut une personne par classe. On m’a mis la pression pour avoir la liste des Redundants et moi, j’avais imposé comme condition qu’ils soient redéployés rapidement. Pendant plus d’une année, j’ai attendu. Il n’y a rien eu, concernant leur redéploiement. Et puis, subitement cette année, on vient me dire que je n’ai pas déclaré de Redundant et qu’on va déduire de mon grant à cause de cela.
Comment peut-on avoir des Redundants alors qu’on parle de manque d’enseignants, actuellement ?
Quand il y avait le Prevoc, il y avait des enseignants qui ont été recrutés pour travailler dans cette filière. Avec la réforme, ces enseignants ont été transférés dans le Mainstream. D’autre part, la population estudiantine est en baisse. Je me suis retrouvé avec des enseignants en plus, même s’il y avait eu des départs à la retraite. Quand j’ai entendu dire que j’avais des collègues qui manquaient d’enseignants, je pensais que l’autorité étant au courant où il y a des enseignants en surnombre et qu’elle allait procéder à une réorganisation, mais rien n’a été fait.
Il faut aussi se demander pourquoi il y a un manque d’enseignants. C’est que souvent, quand nos enseignants ont obtenu leur PGCE, ils sont recrutés par les collèges d’État. Un collège d’État offre sans doute plus de sécurité et je comprends cela. Le temps de recruter d’autres enseignants, surtout avec l’obligation de PGCE, maintenant, on n’arrive pas toujours à remplir les cases vides. Les enseignants en surnombre ne sont pas nécessairement ceux qu’il nous manque par rapport aux matières.
Les collèges privés se plaignent souvent de manque d’élèves également. Pourquoi ?
J’ai entendu le directeur de la PSEA dire à la radio, que les autorités remplissent 50% des classes et que c’est au Management de remplir les 50% restants. Bien joli à dire, mais quand les enfants terminent le PSAC, où sont-ils envoyés ? Le MES travaille sur une liste, pour les collèges privés, qui sort une semaine après les résultats du PSAC. Quand je regarde la liste, il n’y a peut-être que 20% des élèves qui viennent. Il n’y a aucun moyen de les contacter.
Qui plus est, nous disons que c’est au Management de trouver le reste. Où je vais trouver des élèves, quand le MES a déjà attribué un collège à chaque candidat ? D’autre part, il y a des parents qui sont venus me dire qu’ils avaient demandé mon collège, mais qu’ils ne l’ont pas eu. Donc, quand on dit qu’on me donne 50% et que je dois trouver 50%, la donne est faussée.
Il y a une perception que les Managers sont en train de chercher plus d’argent. Comment réagissez-vous à cela ?
Si nous voulons donner un bon environnement et une bonne éducation à nos élèves, bien sûr que nous avons besoin d’argent. Qui de nos jours peut dire qu’il n’a pas besoin d’argent ? Ma plus grande satisfaction est qu’au moins, mes employés sont en mesure d’avoir un salaire. Je ne peux pas me permettre d’aller leur demander comment ils dépensent leur argent, parce que c’est de la Tax Payers’ Money. Mais pourquoi on le fait que pour nous ? De plus, presque tout est Tax Payers’ Money dans ce pays.
Allez plutôt voir les gaspillages dans plusieurs secteurs opérant avec les fonds publics. Quand on parle des managers, on fait comme si nous sommes en train de mentir à la population. Mon papa a investi dans ce collège il y a 60 ans. Aujourd’hui, je suis de la deuxième génération à reprendre le flambeau. Cela fait 20 ans environ que j’assume cette responsabilité.
Parfois, il y a des gens qui disent : ah, tel Manager, il roule tel véhicule. Mais est-ce que je n’ai pas le droit, d’avoir un véhicule, après avoir fait des efforts, après que ma famille a fait des efforts pour construire ce collège ? J’ai un employé qui venait travailler à bicyclette et aujourd’hui, il vient en voiture. Je l’ai félicité pour cela. Est-ce que cela veut dire qu’il a mal acquis cette voiture ? Il a fait des efforts. Mais si c’est un Manager on va dire que c’est mal acquis.
Maintenant, si on a la preuve qu’un manager a abusé des fonds publics, mais qu’on le rapporte aux instances concernées. Et non pas qu’on vienne mettre tout le monde dans le même panier.
Peut-on dire que ce n’est plus serein de gérer un collège aujourd’hui ?
Je dirai que c’est une autoflagellation. Il y a des gens qui me demandent pourquoi je continue à faire ce que je fais. Mais il faut aussi prendre en considération que nous avons pris un engagement auprès des parents pour l’éducation de leurs enfants et que nous devons respecter cet engagement. C’est une croix que nous portons, mais je ne sais jusqu’où nous pourrons tenir.