Le retour des Chagossiens qui le souhaitent dans l’archipel figure parmi les points fondamentaux sur lesquels aucun compromis n’est envisagé dans le cadre des discussions entre Maurice et le Royaume-Uni. C’est ce qu’a indiqué samedi le Premier ministre, Pravind Jugnauth, dans son discours prononcé à l’occasion de la cérémonie de commémoration organisée par le Chagos Welfare Fund, à Baie-du-Tombeau. Cette cérémonie, à laquelle ont participé le vice-président de la république, Eddy Boissézon, l’ancien président Cassam Uteem, des ministres, de même qu’une forte délégation réunionnaise, a aussi été marquée par les témoignages de trois déportés, soit Maudéa Saminaden et Haris Elysé, et du capitaine du Nordvaer Rowly Saminaden, intervenant dans une vidéo enregistrée aux Seychelles.
Le ton de la cérémonie a été donné par Suzelle Baptiste, qui a parlé de jour historique marquant l’exil forcé des Chagossiens de leurs îles natales. Dans son témoignage, Maudéa Saminaden se souvient de l’embarquement des derniers Chagossiens à bord du Nordvaer.
Le navire avait attendu la tombée de la nuit pour mettre le cap vers Maurice. « Lorsque nous étions réveillés, nous étions déjà en mer », raconte-t-elle. Elle se rappelle que contrairement aux promesses qui leur avaient été faites aux Chagos, rien n’avait été préparé pour les accueillir à Maurice. Elle a dénoncé l’exiguïté des parcelles de terre mises à leur disposition à Baie-du-Tombeau, à savoir 20 toises par famille.
Haris Elysé a abordé la période difficile vécue par les Chagossiens durant les mois ayant précédé leur déportation. Ils avaient ainsi été privés de ravitaillement, au point qu’il manquait aussi de riz, de thé et d’autres aliments essentiels. Pour lui, ceux qui ont connu les « atrocités » que les Britanniques leur ont fait subir ne peuvent accepter la nationalité britannique.
Olivier Bancoult, lui, se félicite que « 50 ans après la déportation des Chagossiens, avec l’aide du Premier ministre et de toute son équipe, nous nous préparons à rentrer fiers » aux Chagos. « Nou pou bizin rant lor Sagos san eskort britannik, san ki bizin BIOT stamp nou kart. » Il songe déjà à la célébration qui sera organisée pour marquer le retour des Chagossiens dans l’archipel.
« La déportation est une douleur qui ne peut être décrite. Pensez-vous que c’est avec plaisir qu’on voyage dans la cale d’un bateau après une évacuation de force de nos terres natales, et tout cela sans nous consulter ? » se demande-t-il. En pointant du doigt la politique britannique, l’accusant de “Divide and Rule” avec la nationalité britannique accordée aux jeunes « afin qu’ils oublient ».
« Notre lutte est importante. Peu importe l’endroit où on est né; on ne peut oublier ses racines. Nous disons que la réparation est importante pour la création des infrastructures et pour compenser la souffrance endurée. Nous disons qu’il n’est pas possible que les enfants se sentent bien alors que les natifs continuent de souffrir », affirme-t-il. Olivier Bancoult a aussi remercié les Réunionnais pour leur soutien, et a surtout rendu hommage aux femmes, « sans lesquelles il n’y aurait pas eu de lutte ».
Garder en mémoire
Pravind Jugnauth est également revenu sur l’importance de garder en mémoire ce qui s’est passé il y a 50 ans. « Il ne faut pas que l’histoire oublie ces moments atroces que vous avez vécus. Un hommage doit être rendu à nos compatriotes qui habitaient l’archipel jusqu’à ce que les Britanniques les en expulsent de force ».
« Nous réalisons dans quelles conditions ils ont été éjectés des Chagos. Dans des conditions inhumaines. Ils ont été embarqués dans la cale d’un bateau réservé pour le transport d’animaux. Voilà comment les Britanniques ont traité les Chagossiens », s’insurge-t-il. Il a mis l’accent sur le fait que le déracinement, qui avait commencé en 1967, s’est poursuivi jusqu’en 1973.
La raison principale de cette excision est que les Britanniques et les Américains avaient un plan pour construire une base militaire à Diego Garcia, qui avait été identifiée comme la meilleure place stratégique. « Ce fut le début d’un épisode bouleversant et bien triste dans l’histoire de notre pays et du monde », a-t-il dit, en notant que les Chagossiens considéraient leur archipel comme un paradis, mais que, finalement, leur vie s’est transformée en enfer.
« Je pose la question : qu’est-ce qui se serait passé si les Britanniques étaient à la place des Chagossiens et s’ils avaient été les victimes ? Comment auraient-ils réagi ? C’est la pire épreuve à laquelle les gens peuvent être confrontés dans l’histoire de l’humanité. Ils ont été jetés sur les quais de Port-Louis sans tenir compte de la manière dont ils allaient vivre ni de comment ils allaient subvenir à leurs besoins. Nous ne pouvons jamais oublier la façon dont nos colonisateurs ont traité nos frères et sœurs chagossiens », soutient-il. À l’instar de Human Right Watch, le Premier ministre considère que le déracinement des Chagos est un crime contre l’humanité.
Il a aussi rendu hommage à feu sir Anerood Jugnauth, qui a poursuivi la lutte malgré les menaces reçues de la part des Britanniques et des Américains, dit-il. Il a aussi rappelé le jugement exécutoire rendu par la Chambre spéciale du Tribunal des droits de la mer le 28 avril dernier. « Nous avons eu un jugement historique de la Chambre spéciale. Le tribunal a défini de manière “Binding” les délimitations de notre territoire, qui comprend les Chagos, avec les Maldives », a-t-il dit.
Sortie contre le Etats-Unis
L’intervention du Premier ministre a aussi été ponctuée par une sortie en règle contre les Etats-Unis, qui ont publié un rapport sur Maurice car « ils se croient obligés de venir voir ce qui se passe à Maurice en ce qui concerne les droits humains », dit-il. « Ils nous ont critiqués. Mais lorsque les Anglais ont déraciné les Chagossiens des Chagos, qu’ont-ils fait ? Est-ce qu’ils ne regardent que d’un seul côté ? Qu’est-ce qu’ils ont à dire à ce sujet ? Je trouve choquant qu’ils se présentent comme le shérif du monde, mais qu’ils n’appliquent leurs principes que d’un côté. Non seulement ils ont oublié ce principe, mais ils soutiennent un pays ayant commis une violation des droits de l’homme et a déraciné les Chagossiens de leur territoire », s’insurge-t-il.
Le Premier ministre a expliqué que le plan de réhabilitation est une priorité de gouvernement, « qui déploie tous les efforts possibles pour compléter le combat » et arriver à exercer son droit de souveraineté sur l’archipel des Chagos. Il fait ressortir que le plan de réhabilitation des Chagos est une priorité du gouvernement. « Nous avons annoncé qu’il y aurait un autre voyage à l’avenir. Ce voyage nous permettra de faire une évaluation des structures qui seront mises en place. Nous ferons cela pour que le rêve des Chagossiens de retourner sur leurs terres se concrétise », rassure-t-il.
Il a par ailleurs affirmé que le gouvernement a la volonté et la détermination d’aller de l’avant, et qu’il ne fera « pas de compromis » sur les points fondamentaux lors des négociations bilatérales avec les Britanniques. Ces points fondamentaux comprennent le retour des Chagossiens qui le souhaitent dans leurs îles natales.
Il a également remercié les Mauriciens et les étrangers qui soutiennent Maurice dans la lutte de Maurice pour exercer sa souveraineté. Il a aussi remercié les Réunionnais qui ont soumis le nom du Groupe Réfugiés Chagos comme candidat au Prix Nobel de la Paix, et Human Right Watch, qui a proposé la nomination du GRC pour le Right Livelihood Award de 2023.