L’espoir fait vivre, dit-on. Sachant que celui-ci se fait de plus en plus rare, et plus particulièrement encore depuis une certaine Covid-19, peut-être serait-il temps de rationaliser cette espérance. Comment en effet rester optimiste au vu de ce que nous prédisent les scientifiques, que nous changions ou pas de cap d’ailleurs ? Notre propension à exploiter tout ce qui est exploitable, sans autre raison que d’augmenter nos profits et d’alimenter sans discontinuer notre système économique, se mesure déjà aujourd’hui en termes d’inflation de désastres et de disparités sociales. C’est un fait, en instaurant une relation homme/Terre comparable à celle qui liait autrefois dans un autre registre, mais dans ce même ordre, le maître et son esclave, nous aurons non seulement précipité l’humanité vers le gouffre, mais aurons par la même occasion entraîné dans notre folie le reste du vivant.
Encore une fois, les faits parlent d’eux-mêmes. Tandis que se multiplient les tergiversations et faux accords aux sommets climatiques, avec pour effet d’hypothéquer chaque année un peu plus leur raison d’être, l’exploitation des ressources fossiles se poursuit de manière exponentielle (exception faite du ralentissement lié au confinement planétaire, bien sûr), accentuant l’étouffement de notre mère nourricière. Une expansion tout aussi visible en ce qui concerne la consommation industrielle, laquelle réclame toujours plus de terres, d’usines, de champs, de pâturages, d’animaux d’abattage, de pesticides… et ce, pendant que nos mers se vident de leurs poissons (certains experts estiment qu’il n’y en aurait plus aucun d’ici 2050) et que les populations terrestres (animales et végétales) amorcent un déclin jamais vu dans l’histoire de la planète.
À ce sombre tableau, l’on pourrait ajouter un nombre incalculable d’items tout aussi dramatiques. À l’instar de notre dépendance aux technologies, elles aussi en expansion, ou encore des déchets électroniques que ce secteur engendre. Saviez-vous à ce propos que notre société industrielle en produisait 50 millions de tonnes par an, dont 5 millions seulement sont recyclées ? Probablement que non, car ce ne sont évidemment pas des chiffres dont nos industriels aiment se vanter. Mais sont-ils les seuls à blâmer ? Après tout, tout comme les consommateurs à qui ils s’adressent, autrement dit nous, ils ne sont que le fruit d’un système à la mécanique certes viciée, mais qui, pareille à une drogue, aura engendré un phénomène de dépendance. N’ayant aucun centre de désintox dédié au consumérisme, l’on ne réussira donc à se soustraire à cette addiction que lorsque l’abstinence deviendra obligatoire. En l’occurrence lorsque notre civilisation industrielle, dont les fondements sont de plus en plus insoutenables, s’autodétruira.
Au train où vont les choses, cette issue est inévitable, nous disent non seulement les experts et les chiffres sur lesquels ils s’appuient, mais aussi ce qu’il nous reste de bon sens. Sachant que malgré les avertissements, nous continuons de polluer, de détruire, de déforester, d’exterminer et de rejeter plus de gaz à effet de serre que jamais, comment en effet pourrait-il en être autrement ? Pour autant, devrions-nous nous en attrister ? Évidemment, ceux qui auront le plus profité de notre industrialisation verseront beaucoup de larmes, mais nous, simples citoyens, pourquoi devrions-nous éprouver de la peine ? Car après tout, avec l’érosion puis la disparition inéluctable de notre macrocosme capitaliste, la Nature pourra enfin reprendre ses droits. Du moins peut-on espérer que si le déclin de notre ère consumériste s’amorce rapidement, notre biosphère pourra se reconstituer, laissant enfin respirer le vivant, sous toutes ses formes. Dans son livre Une question de taille, Olivier Rey disait à ce propos : « La perspective de revenir à des modes de vie plus sobres, comparables à ceux qu’a connus l’humanité depuis ses origines et jusqu’à une date très récente, n’a rien d’effrayant. » Dès lors, ce que certains pourraient percevoir comme une rétrogradation de l’évolution humaine pourra enfin alimenter une forme de capitalisation pareille à celle qui aura prévalu durant la crise sanitaire : celle de la solidarité et de l’entraide communautaire ! Une voie que nous devrons de toute façon un jour emprunter, de gré ou de force.
Michel Jourdan