Attention à la Double-Digit Inflation qui guette les consommateurs
Shaktee Ramtohul : « We will be hit in the coming months »
Même si le ministère des Finances joue à fond la carte de l’optimisme – le ministre Renganaden Padayachy étant monté au front à ce sujet –, la situation économique risque fort de se dégrader dans les semaines et mois à venir, surtout avec les effets en cascade de la guerre en Ukraine. Et il n’est pas à écarter que le pays se trouve avec un taux d’inflation à deux chiffres. L’éventualité de Double-Digit Inflation donne froid dans le dos. C’est ce qu’explique l’économiste Bhavish Jugurnath, qui intervenait lors d’une conférence organisée par l’Accounting and Finance Society de l’Université de Maurice (UoM).
La hausse du coût du pétrole générera un effet domino sur l’économie. Si la tendance à la hausse des prix du baril continue, cela fera grimper inexorablement les coûts d’opération de toutes les entreprises du pays. « À 7,4%, l’inflation est déjà élevée, et avec la situation en Ukraine, les prix pétroliers augmenteront. Et comme nous sommes largement dépendants des importations, nous pourrions nous diriger vers une inflation à deux chiffres », met en garde l’économiste.
La situation économique risque donc de devenir compliquée dans les prochains mois, avec une potentielle flambée de l’inflation. Les prix vont continuer de grimper, entraînés par la hausse du prix du baril, mais aussi des denrées de base et des matières premières. D’ailleurs, MCB Focus soulignait récemment que l’inflation « deserve careful monitoring from a policy perspective ».
Le FMI est d’avis que la pression sur les prix persistera plus longtemps que prévu. « En outre, sur le plan domestique, il faut conjuguer avec la dépréciation de la roupie, qui se poursuit allègrement. » La monnaie locale s’est en effet dépréciée « de plus de 17% durant ces 18 derniers mois », a rappelé Bhavish Jugurnath.
« When debt goes out of hand… »
Shaktee Ramtohul, professeur en comptabilité/finance à la Middlesex University, abonde dans le même sens. Il dira ainsi tout de go que « we will be hit by inflation in the coming months », avant d’ajouter que « inflation rate directly related to what is happening with oil prices ». Vu la tendance haussière du cours du pétrole, il estime que la situation va également se corser avec les disruptions dans la chaîne d’approvisionnement : « Les opérateurs à qui j’ai parlé sont tous inquiets sur les tarifs du fret, et la roupie n’aide pas. Elle se déprécie et les prix en supermarché continuent d’augmenter. »
Il a également abordé la dette publique inquiétante à 89,5% du PIB, selon les chiffres du ministère des Finances. « When debt goes out of hand you know what are the repercussions nationwide… » dit-il à ce propos.
C’est dans un tel climat, avec la guerre en Ukraine en toile de fond, que Renganaden Padayachy est venu affirmer que « la confiance est là et que nous misons sur une croissance qui dépassera les 6,5% en 2022 », après les 6% de Statistics Mauritius. Des prévisions qui, encore une fois, sont loin de faire l’unanimité.
« Ce n’est pas réaliste, soutient Bhavish Jugurnath, surtout dans un contexte où le prix du pétrole prend l’ascenseur. Il rappelle que sous l’emprise du Covid-19, l’économie avait enregistré une croissance négative de 15% en 2020, suivie d’une faible croissance de 4% en 2021. Et s’agissant des prévisions de Statistics Mauritius pour cette année, il lâche simplement : « That remains to be seen ».
« You will become obsolete »
Bhavish Jugurnath a rappelé les principaux défis auxquels l’économie fait face, le Cash Flow des entreprises ayant été lourdement affecté. Autre problème à gérer : l’accès aux finances. Pour lui, le potentiel de développement se trouve notamment dans les services financiers « which would potentially be contributing more than 15% to GDP post-Covid ». Il devait souligner que « there is much growth potential in this sector » pour les diplômés des universités, et ce, d’autant que ce secteur – qui avait reculé de 14,7% en 2020 – devrait enregistrer une croissance de 6,7% cette année.
S’adressant aux étudiants de l’Université de Maurice sur les opportunités de carrière, il leur a vivement conseillé de se tourner vers l’intelligence artificielle et la robotique. « Il y a une révolution complète. On ne parle plus de digitalisation, mais d’intelligence artificielle, et cela concerne également les métiers de la finance et de la comptabilité », dit-il.
L’économiste fait comprendre : « si vous n’êtes pas familiers avec ces nouvelles technologies et la robotique, vous pouvez envisager déjà votre retraite, car vos compétences deviendront obsolètes. » Il rappelle ainsi comment pendant le Covid-19, au Rwanda, le personnel de santé avait utilisé des robots pour pouvoir s’approcher des patients et les traiter, évitant ainsi les risques de contamination, alors que les policiers étaient remplacés par des robots. « L’industrie 5.0 est là. Êtes-vous prêts à travailler avec des robots ? » se demande-t-il.
« Night time delivery »
Bhavish Jugurnath a également relaté son expérience dans un hôtel à Londres, où tout était entièrement numérisé, avec un Digital Concierge proposant aux clients un Complimentary iPad pendant la durée de leur séjour, avec des chambres complètement digitalisées, des capteurs, un lit massant et le tout contrôlé par iPad.
Il a expliqué que les comptables et les professionnels financiers doivent également s’adapter à ces changements et maîtriser la Non-Financial Data”, qui est prise en considération pour l’élaboration d’Integrated Reports pour les entreprises. Il a aussi évoqué l’importance des crypto-monnaies, arguant que la prochaine étape pour les comptables est de pouvoir être « a complete digital accountant using augmented reality ».
De son côté, Shaktee Ramtohul s’est appesanti sur la situation économique, précisant que « Maurice n’est pas une Manufacturing Economy », car le pays ne produit pas pour sa propre consommation, avec pour effet qu’il doit importer bien plus que ce qu’il exporte. « Cela a un effet direct sur nos réserves en devises et sur la valeur de la roupie », dit-il. Il a évoqué les leçons à tirer de la pandémie et l’importance du télétravail et du “flexi-time”, « which should be at the core of organisations », indiquant que « ce n’est pas possible de perdre 90 minutes dans la circulation pour se rendre à Port-Louis ».
Pour Shaktee Ramtohul, il faut exploiter les opportunités. « Massive areas of land remain available for agricultural development », reprend-il. Ce qui permettrait au pays d’assurer son autosuffisance alimentaire. Il faut également, continue-t-il, développer le “night time delivery” en vue de réduire la pollution et les embouteillages pendant la journée. En résumé, il plaide pour une économie 24/7.
Ce dernier donne pour conclure quelques exemples de domaines dans lesquels des compétences seront requises à l’avenir, citant notamment les Data Analytics, Data Communication”, l’intelligence artificielle, la robotique, la blockchain et la cybersécurité. Cette conférence de l’Accounting and Finance Society de l’UoM était placée sur le thème ReStart, ReNew, ReIntegrate – Opportunities for young graduates after coronavirus. Elle a également vu la participation de Meghan Doyle, de l’ICAEW.