Sommes-nous foutus ? La question mérite d’être posée, car la réponse permettra de situer les responsabilités et d’identifier nos alternatives. Une certitude cependant : le réchauffement planétaire n’est plus juste en marche, mais gagne du terrain chaque jour un peu plus vite. En attestent les rapports réguliers de nos experts du climat sur les hausses graduelles des températures mondiales, région par région, avec la désormais immuable rhétorique consistant à annoncer que nous battons sans cesse de nouveaux records de chaleur. De fait, et s’il est encore nécessaire de le rappeler, le monde est aujourd’hui à la porte de l’impasse climatique.
Pourtant, cette information n’est pas relayée par n’importe qui, mais par des experts en la matière. Reste à savoir cependant quelle crédibilité on leur donne. Hormis bien entendu les climatosceptiques – qui, par nature, sont d’emblée inscrits dans une logique de contestation –, il est un fait évident que nous n’accordons plus le même crédit aujourd’hui à ces lanceurs d’alerte qu’aux premiers jours de la prise de conscience du danger. Oui, mais pourquoi ? Eh bien en grande partie parce que le message est si soutenu et répétitif qu’il en sera devenu banal, quasi relégué à la rubrique des faits divers. Qui plus est, le climat n’est pas un virus qui, à l’instar du Covid, devient rapidement, de manière visible et tangible, un danger imminent. Car oui, pensons-nous, avec le climat, on a encore le temps d’agir. Ce qui est une erreur fondamentale.
Face à cela, nous avons bien sûr une communauté d’experts grandissante, issus de différents milieux (bien souvent du secteur privé) et adoptant différentes approches de la question. Aussi, difficile pour beaucoup de s’y retrouver, car leurs conclusions – quoiqu’unanimes sur l’urgence d’agir rapidement pour inverser la vapeur en termes d’émissions carbone – ne sont pas en tout point identiques, notamment en ce qu’il s’agit des projections de hausses de températures et du délai qu’il nous reste avant d’atteindre le point de non-retour. Il ne faut dès lors pas s’étonner que le grand public s’y perde, avec pour finalité de ne plus savoir trop qui croire. Et d’oublier de facto que, quelle que soit l’étude, toutes rappellent pourtant que si nous n’agissons pas, nous courons droit dans le mur.
À ce scepticisme grandissant issu de cette pluralité d’analyses scientifiques, reste bien sûr celle du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont l’objectif est de synthétiser les études sur les effets du changement climatique dans des rapports faisant l’état des lieux à un instant T (à noter d’ailleurs à ce propos que ses experts se sont récemment réunis à Hangzhou, en Chine, et n’ont pas réussi à fixer un calendrier quant à la parution de leur prochain rapport). Toutefois, là encore leur crédibilité est mise en doute, apportant de l’eau au moulin aux détracteurs du changement climatique et de ceux y préférant le déni. Aussi le GIEC est-il souvent critiqué.
Parmi les idées reçues ayant un impact négatif sur le processus de décarbonisation de nos sociétés figure notamment le fait que le GIEC serait un « groupe fermé », ce qui est totalement faux. Tout autant d’ailleurs que le fait que les données sur le climat utilisées seraient erronées, car non, elles ne le sont pas, et sont même très diversifiées. Idem quant au fait que les rapports seraient truffés d’erreurs et que les sources ne seraient pas fiables. Là encore, croire cela est une hérésie absolue.
Non, le véritable problème du GIEC est qu’il est trop « politisé », quand bien même ses règles fondatrices lui interdisent toute recommandation politique. Et ce, pour la bonne raison que les résumés de ses rapports doivent recevoir, avant publication, l’approbation de représentants des gouvernements, qui en décortiquent chaque paragraphe mot par mot. À cela, leurs auteurs rappellent la transparence du processus menant à la rédaction de leurs documents, mais aussi que les rapports sont approuvés par les représentants de tous les pays membres, lesquels ont des intérêts « très différents » les uns des autres. Un argument qui, c’est vrai, semble tenir la route, si ce n’est qu’il occulte le fait que la plupart des États ont aussi d’importants intérêts économiques, le plus souvent incompatibles avec la question environnementale.
Alors qui croire ? Et d’ailleurs, doit-on croire nos experts du climat ? En fait, se poser ce genre de questions est quelque part plonger davantage dans le déni. Car quand bien même nos scientifiques se tromperaient que nous ne pourrions prendre le risque d’attendre pour en être sûr ! Dans le « climat » actuel, aucune erreur n’est permise, et jusqu’à preuve du contraire, le GIEC et les autres lanceurs d’alerte semblent bien plus qualifiés que nous sur la question.
Michel Jourdan