Maya de Salle, anthropologue, a une subtilité de conteuse pour restituer l’histoire du port. Pendant une heure et demie, à bord d’un catamaran, elle convie les amoureux de l’histoire à replonger, pour les 25 ans d’existence du Labourdonnais Waterfront Hotel, dans la mémoire d’un passé lointain, mais connecté au présent. Balade au fil de l’histoire du port.
Alors qu’on voguait, la balade se voulait berceuse et a permis à trois femmes, Nadia Chorfi, Nadine Boiron et Raphaële Noël, des parfaites inconnues au départ, de découvrir qu’il y avait un lien d’enfance les connectant à leurs parents. Entre elles, l’alchimie des retrouvailles s’est opérée face à un arrêt sur image devant le ballet des grues avec toutes les lumières étincelantes sur tout l’ensemble de l’équipage.
Une heure et demie de balade en mer avec pour toile de fond le coucher du soleil qui apaise et la brise sur le visage et dans les cheveux. Maya de Salle, fondatrice de My Moris, convie les amoureux de l’histoire à une exploration du port où, en trois siècles, tout a changé. La balade est inédite et offre une véritable immersion au cœur de ce port imaginé par Mahé de La Bourdonnais au début du 18e siècle. Maya déploie une carte datant de 1735, dessinée et signée par Mahé de La Bourdonnais, et qui montre bien l’ossature de la première structure de ce port d’escale et de ravitaillement pour les navires sur la route des Indes.
Comme un poète qui décrit ses émotions, avec sa voix douce, Maya dessine les contours de chaque escale, faisant chaque passager se mettre dans la peau des habitants de l’époque. De ce port dont sont fiers les Port-Louisiens. « Il faut imaginer quand La Bourdonnais arrive ici, il n’y a que du bois, un grand marécage au niveau du jardin de la Compagnie. Dans l’île, il y a à peu près 800 habitants. Et, sur Port-Louis, 500 mètres carrés de bâtisses. Mahé de La Bourdonnais va faire tripler le chiffre des habitants en moins de cinq ans en faisant venir des colons, des esclaves, des artisans. On verra alors poindre les premières structures qu’il va construire », dira-t-elle.
Le catamaran longe Trou-Fanfaron et ses bateaux de pêche, la Place d’Armes… Le guide explique que tout au long de cette Place d’Armes, il y avait une fortification. Une sorte de loge qui abritait tous les bâtiments administratifs de la compagnie des Indes, du bureau de l’Intendance, l’hôtel du gouvernement. Maya poursuit ses explications. Elle évoque l’hôpital Labourdonnais, rénové aujourd’hui pour y abriter le musée de l’Esclavage. Alors qu’à l’arrière du grenier, on pouvait y discerner une petite structure, le moulin, qui servait à moudre le grain pour ravitailler les navires et les habitants de la colonie.
Jean Dominique de Caudan, le saunier qui a vu grand
La brise porte la voix de Maya comme une agréable berceuse, elle sait faire valser ses mots au gré des clapotis des vagues. Encouragée par les passagers, Maya fera mention de ce petit îlot, appelé Le Caudan, qui était à l’emplacement de l’hôtel Labourdonnais où la mer se projetait plus vers l’arrière, du côté de Port-Louis au 18e siècle, et du côté du port.
Nadine Boiron, une passagère à bord, demande la provenance du mot Caudan. Christophe Noël, un autre passager, lui donnera la réplique : « Inauguré le 25 novembre 1996, le Caudan Waterfront, plus connu comme Caudan, fut le premier (et donc le plus vieux) centre commercial de Maurice. Situé dans la capitale de Port-Louis, il tient son nom de l’explorateur français, Jean Dominique de Caudan, venu à l’ancienne Isle de France de son Languedoc. Saunier de métier, il créa une saline près d’une anse au Sud-Ouest de Port-Louis, en 1726. Cet espace est connu actuellement comme le jardin Robert Edward Hart, situé sur la route d’entrée au Caudan Waterfront. » Nadine Boiron lancera : « Merci monsieur de m’avoir éclairé les lanternes ! » Et ce dernier de répliquer : « Merci à Google. »
Joyeux aparté. À bord, on ressent la convivialité et la joie de vivre qui émane de tout un chacun, et cet échange d’idées qui aboutira à d’heureuses retrouvailles. Nadine Boiron et la mère de Raphaële Noël – soit l’épouse de Christophe Noël, celui qui vient d’expliquer le nom du Caudan, – étaient des amies d’enfance. Nadine raconte avoir vécu à Madagascar, et aujourd’hui elle habite Maurice avec son époux. Elle ne revient pas de ce moment : « Il a fallu une balade dans le port pour me reconnecter à mes racines d’enfance. »
Elle n’était pas au bout de ses surprises, car une autre passagère au même prénom, Nadine Chorfi, marocaine d’origine, a de la famille qui fait aussi partie du cercle d’enfance de Nadine Boiron. « On ne se rend pas compte combien Maurice est un vrai brassage culturel. » Entre des éclats de rires, des retrouvailles scellées par un selfie, la balade reprend avec plus d’entrain.
Maya reprend ses explications : « On n’a plus de trace de cette fortification de la loge. Donc, rapidement, ce port va devenir un lieu important pour la colonie et un port central de l’océan Indien qui va attirer des commerçants du 19ème siècle. »
Réminiscences du passé
Au gré des vagues, la balade se poursuit, conviant tout un chacun à des réminiscences du passé. On s’imprègne de ce port où se reflète l’histoire du peuplement de l’île et de cette diversité culturelle mauricienne. Le catamaran permet cette flânerie audacieuse sur un parcours où les bâtiments historiques côtoient les constructions plus récentes.
Au passage de la rivière Lataniers, certains reprennent en chœur la berceuse Mo pase la rivier Tanier. Au point des Mascareignes, le déchargement de thons s’offre à ciel ouvert devant nos yeux ébahis. « C’est ici que ces bateaux de pêche prennent des poissons pour les acheminer dans un plus gros navire de pêche qui viennent se décharger dans une cale réfrigérée. »
Avec ses fortifications, Port-Louis sera connu pendant un certain temps comme Port Napoléon avant de retrouver son appellation. On revient sur les fortifications, et Maya relate : « sous l’occupation des Anglais, la redoute La Bourdonnais deviendra Fort George. Le Fort Blanc, Fort William. Entre les deux forts à l’entrée du port, il y avait une chaîne de 1 900 mètres que l’on tendait pour fermer le port en cas d’attaque. »
On découvre la maison Blyth des années 1900, connu comme IBL aujourd’hui. Tout l’étage a été refait, mais on peut encore voir la fondation, en notant la différence entre les pierres anciennes et récentes et l’arrière des pierres de couleur plus foncée qu’on peut apercevoir sur l’allée des parapluies du Caudan. Il y a aussi de vieilles portes sur lesquelles l’année 1856 est inscrite, date de la fondation du bâtiment. Un autre pan de l’histoire se dévoile alors qu’on se dirige vers un chenal, l’île aux Tonneliers et Les Salines, un emplacement de choix sur cette route des épices dont l’activité a décuplé avec la venue du sucre. Entre l’île aux Tonneliers et la côte, il y avait la chaussée construite par le gouverneur de Tromelin.
On ne peut manquer la partie historique du moulin de 1736, des anciens entrepôts de sucre des United Docks, le récit de la grève des dockers menée dans les années 70. Le Bulk Sugar Terminal où le sucre était disposé en vrac. « Dans les 1960, tous les dockers transportaient le sucre sur leur dos. Ils gravissaient péniblement des marches pour transporter des ballots de sucre de 80 kg dans des navires au large. Après la Seconde Guerre Mondiale et la mécanisation en Europe, ce sont les vracs qui ont été privilégiés. Le sucre mauricien devient trop cher, on est trop lent pour embarquer les navires, il y a donc une modernisation au niveau de l’embarquement. Et dans les années 80, on va mettre un grand bâtiment à disposition pour le vrac », fait ressortir Maya de Salle.
Ménardeau et son street art en trompe-l’œil
Maya parle de la douane maritime, des complexes datant de 1830, de l’histoire de ces matelots pêcheurs accostant dans le port. Il y a aussi le fameux grenier de 1930, avec sa façade de briques en rouge. « C’est le premier bâtiment en béton armé de l’île, conçu dans les années 1930 et fabriqué avec de la terre rouge, issue de la région de Terre-Rouge. Au premier étage, dudit grenier, seront entreposés des ballots de riz, des grains, des denrées alimentaires importés et stockés de manière sécurisée avec un système anti-rats, car Maurice était connue pour être l’île aux rats à l’époque. »
Maya poursuit son récit en évoquant la Seconde Guerre Mondiale. Maurice craignait alors une attaque des sous-marins japonais. «Un peintre de la marine française, Maurice Ménardeau, va peindre une fresque en trompe-l’œil pour protéger les vivres stockés et pour que le bâtiment de stockage ne soit pas bombardé. Ménardeau est à l’origine du premier street art de Maurice. »
Il y aura aussi cette vive émotion à fleur de peau au Quai C, où la souffrance des Chagossiens déportés de leur archipel a marqué bien des esprits. On est à l’Aapravasi Ghat, site patrimoine mondial de l’Unesco, soit le dépôt des immigrants qui accueillait tous les travailleurs engagés à l’abolition de l’esclavage. « 60% des Mauriciens ont eu des ancêtres qui sont arrivés par ces 16 marches, très symboliques. Ces immigrants ont été enregistrés et envoyés dans des domaines sucriers. Soit un demi-million de travailleurs engagés en 70 ans », indique Maya.
Si comme nous vous avez aussi l’envie de plonger dans cet univers poétique d’une balade dans le port, deux jours vous sont proposés, le mercredi et le samedi, de 17h30 à 19h. Les tarifs sont de Rs 1 000 enfants et Rs 1 500 adultes. Les réservations doivent être faites auprès du Labourdonnais Waterfront Hotel.
Port-Louis est une ville en pleine effervescence où la mémoire du passé est toujours omniprésente et où se dessinent également les contours du futur. La traversée proposée fera date dans les mémoires de tous ceux qui ont eu la chance, lors des 25 ans d’existence du Labourdonnais Waterfront Hotel de s’octroyer ce privilège d’une balade au fil de l’histoire du port, contée par Maya de Salle. L’histoire s’en souviendra…l