A l’heure où les courants politiques ultranationalistes prennent de plus en plus d’ampleur à travers la planète – soutenus en cela par une imposante masse populaire, sur la base de projets aussi stéréotypés que fédérateurs que la protection des frontières, l’isolationnisme, la rhétorique antisystème, la priorité aux nationaux, etc. –, on en est en droit de se demander ce qu’il adviendra de notre monde lorsque, aux portes des pays les moins impactés par le réchauffement planétaire, viendront frapper dans un futur proche les réfugiés climatiques. Si quelques dizaines de milliers de migrants causent tant de remous aujourd’hui en Europe, imaginons en effet un instant ce qui se passera lorsque leur nombre avoisinera le… milliard. Un chiffre surévalué, pensez-vous ? De la science-fiction, dites-vous ? Pas du tout !
Que ce soit des causes directes du changement climatique, telle qu’une hausse insoutenable des températures, ou indirectes (sécheresses, inondations, incendies à répétition, multiplication en nombre et en intensité des phénomènes extrêmes), le fait est que la planète se réchauffe, et que de nombreuses régions du globe deviendront si inhospitalières qu’elles forceront inévitablement un jour des populations entières à plier bagage. C’est ainsi que, prenant en compte un ensemble de facteurs, les experts prédisent déjà que pas moins de 1,2 milliard de personnes quitteront leurs terres d’ici 25 ans à peine, soit à l’horizon 2050. Avec une grande question : où iront-elles ? La réponse est simple : là où elles trouveront des terres plus accueillantes, dans la mesure de leurs moyens.
Du fait de ces flux migratoires, et voués à exploser à plus ou moins brève échéance, certains brandissent déjà l’état de sécurisation, ou, dit autrement, la fermeture complète de leurs frontières. Mais cette politique protectionniste, et à laquelle adhère un nombre croissant de citoyens, ne tient cependant pas la route; rappelons encore que l’on parle ici de plus d’un milliard de personnes qui se presseront aux abords des États les plus prospères et les moins exposés aux aléas du climat (du moins dans un premier temps). De même que l’humanité sera maintes fois partie en guerre pour moins que cela au cours de son histoire. Aussi, comment empêcher un tel flux d’envahir d’autres pays ? C’est tout bonnement impossible.
Aussi, d’autres ont déjà pris le problème par l’autre bout en venant avec une proposition autrement plus humaine et entreprenante (sur le papier) : celle d’un « passeport climatique ». En l’occurrence, il s’agirait de faciliter, par le simple octroi d’un statut, le déplacement et l’accueil de populations rendues vulnérables par le réchauffement planétaire et autres catastrophes en découlant. L’idée, d’ailleurs, ne date pas d’hier. Ainsi, en 1922, de nombreux États avaient déjà accrédité la création du Passeport Nansen, à l’origine à l’intention des réfugiés de la Russie soviétique désirant fuir l’état de terreur instauré par le régime de leur pays ainsi que la famine. Certes, les causes ne sont pas aujourd’hui les mêmes, de même que les populations visées, mais le fondement du concept reste, lui, identique.
Toutefois, si l’idée semble séduisante, pour peu bien sûr que l’on fasse preuve d’un peu d’humanité, elle n’en reste pas moins qu’un miroir aux alouettes. Une telle initiative ne verra en effet probablement jamais le jour, ou du moins, quand bien même elle arriverait à franchir cette étape, elle ne serait que peu appliquée, chaque pays restant maître de son destin, et donc souverain de ses décisions. De plus, la montée en puissance de l’extrême droite, et même de certaines droites traditionnelles, enrayera définitivement cette mécanique humanitaire. Qui plus est, n’oublions pas que ce « passeport climatique » serait avant tout destiné aux populations les plus vulnérables, lesquelles sont aussi souvent les plus pauvres. Autant dire dans l’incapacité financière et technique de se déplacer sur de longues distances, les poussant davantage à trouver refuge au sein de leurs propres frontières ou dans les pays limitrophes.
Quoi qu’il en soit, la question de la migration reviendra sur le tapis au cours des deux décennies à venir. Et ce, quand bien même le monde déciderait enfin de s’engager plus fermement contre le changement climatique (car pour être payants, nos efforts auraient dû être entamés il y a 20 ou 25 ans déjà). Aussi ne nous reste-t-il plus qu’à espérer qu’à défaut d’avoir pris à bras-le-corps la question de nos émissions de gaz à effets de serre, nous prendrons à minima en considération celle des dégâts humains que l’on aura causés !
Michel Jourdan