Il y a 50 ans exactement, le rapport Meadows, commandité par le Club de Rome, faisait le point sur l’impact de l’activité humaine sur la planète, avec un constat effrayant : poursuivre dans la voie de la surconsommation et de l’épuisement de nos ressources naturelles nous mènera droit dans le mur. Avec pour conséquence une dégradation dramatique de nos conditions de vie, jusqu’à la possible extinction de notre civilisation.
Mais le fameux rapport, dont les projections chiffrées n’ont pu être depuis contredites, allait plus loin en introduisant le concept de « limites planétaires ». Lequel concept aura été repris en 2009 par des chercheurs on ne peut plus décidés à chiffrer ces « seuils » à ne pas dépasser, sous peine de compromettre directement notre écosystème.
Ces limites sont au nombre de neuf, et concernent : 1) le changement climatique ; 2) l’intégrité de la biosphère ; 3) les perturbations des cycles biochimiques de l’azote et du phosphore ; 4) les modifications de l’occupation des sols ; 5) l’introduction de nouvelles entités dans l’environnement ; 6) l’utilisation d’eau douce ; 7) la diminution de la couche d’ozone ; 8) l’acidification des océans; et 9) la concentration des aérosols atmosphériques. Avec, jusqu’à encore très récemment, une certitude : quatre d’entre elles avaient déjà été franchies en 2021. Du moins jusqu’à ce que des chercheurs du Stockholm Resilience Center de Suède annonce en janvier dernier qu’une 5e limite venait d’être franchie, celle de la pollution chimique. Et qu’une autre, la 6e donc, vienne d’être « découverte », relative cette fois au cycle de l’eau douce.
Cette annonce, résultat d’une étude entreprise par l’Institut international de l’eau de Stockholm, pourrait surprendre si elle n’était pas appuyée par un terrible constat : un quart du monde n’a aujourd’hui plus accès à l’eau potable. Et les pays dits développés ne sont pas épargnés, en atteste la période anormale de sécheresse que connaît actuellement la France, mais aussi d’autres pays européens. Pour autant, il convient d’expliquer que ce « basculement » en zone rouge tient à l’introduction d’un nouveau concept, celui « d’eau verte ». Pour faire simple, disons que l’eau bleue est liée aux précipitations, et que l’homme prélève dans des réservoirs (naturels ou non), tandis que « l’eau verte », elle, concerne l’évaporation et l’humidité des sols (l’eau disponible pour les plantes).
« L’eau est le sang de la biosphère, dont nos activités modifient profondément le cycle. Cela affecte maintenant la santé de la planète entière », expliquait ainsi Lan Wang-Erlandsson, auteur principal de l’étude. Avec un constat : le risque d’effondrement de nos écosystèmes est on ne peut plus réel. Oui, mais concrètement, cela signifie quoi ? Eh bien, par exemple, que même si l’on arrêtait aujourd’hui la déforestation de l’Amazonie, ce cycle est déjà tellement perturbé que des régions entières de notre « poumon vert » risquent très rapidement de finir par se transformer en… savane africaine !
Les seules limites qu’il nous reste à franchir, mais avec lesquelles nous flirtons malgré tout dangereusement, sont celles relatives à la couche d’ozone stratosphérique et de l’acidification des océans. Et peut-être celle des aérosols atmosphériques, qui n’a pu être encore pour l’heure quantifiée à l’échelle de la planète. En d’autres termes, nous sommes arrivés à un niveau de surenchère industriel tel qu’aujourd’hui, nous nous retrouvons aux portes d’un point de basculement général et qui, une fois franchi, précipitera le monde entier dans une ère de désolation totale. Avec pour conséquence immédiate un effondrement de nos civilisations.
Tout cela, bien sûr, n’augure rien de bon pour la planète, et encore moins pour les espèces qu’elle abrite. Le « miracle » de l’apparition de la vie aura alors perdu tout son sens, la Terre pouvant en effet s’engager à tout instant sur le chemin menant à l’enfer vénusien. Sans possibilité de retour. Pour autant, il nous reste un espoir, le dernier peut-être : celui d’un changement radical et immédiat de paradigme sociétal, et qui reléguerait aux oubliettes la croissance et l’exploitation à outrance. Le problème, c’est que si la planète est prête à recevoir cette bouffée d’oxygène salvatrice, l’homme, lui, semble à peine en être conscient.