Alors que le nouveau gouvernement se met graduellement en place, Le Mauricien a rencontré Arvin Boolell, qui a été leader de l’opposition jusqu’aux élections générales. Il observe que l’Alliance du Changement « est basée sur le respect mutuel, et non pas sur les intérêts des partis », ajoutant que l’ancien gouvernement « a fait beaucoup de tort » à la démocratie. « Ils ont empêché la démocratie parlementaire de fonctionner. Toutefois, ce n’est pas parce qu’il n’y aura que deux membres de l’opposition qu’elle ne fonctionnera pas. Les backbenchers feront leur travail avec beaucoup d’assiduité. Je sais que le Dr Ramgoolam les encouragera à le faire et à acculer les ministres en posant les questions comme il le faut », pense-t-il.
L’ampleur de la victoire de l’Alliance du Changement a dépassé les attentes. Est-ce aussi votre impression ?
Dès le début, j’avais dit que nous étions sur le sentier de la guerre et le chemin de la victoire. Il était palpable que nous étions sur une voie ascendante. Nous avons aligné de bons candidats. Ensuite, l’alliance symbolisait la crédibilité et la certitude. Lorsqu’on a élargi l’espace pour faire de la place pour nos amis de Resistans ek Alternativ, c’était surtout un signal que nous avons envoyé à ceux qui prônent l’économie verte, l’économie bleue et la justice sociale. C’était également un clin d’œil adressé aux jeunes.
Nous avons privilégié une campagne de proximité. Nous l’avons bien vu avec le Dr Ramgoolam, avec Paul Bérenger et au niveau de toutes les circonscriptions. Contrairement à 2014, l’Alliance du Changement était basée sur le respect mutuel entre les quatre formations qui en font partie, et pas sur les intérêts des partis, et ce, pour le bien-être de la nation mauricienne. Le Turning Point a été l’arrivée des Missie Moustass Leaks.
Peut-on dire que les partisans des diffйrents partis ont adhйrй au projet de l’Alliance du Changement ?
Il y a eu une adhésion populaire à l’Alliance du Changement. Le sentiment dégagé, c’est que les amis des partis extraparlementaires avaient le soutien indirect et direct des proches du régime. C’est ainsi que le message a été perçu par l’électorat indécis, qui s’est rallié à l’Alliance du Changement au fil des jours.
Pour beaucoup, il y a eu un retour aux sources des valeurs travaillistes et militantes. Je l’ai bien vu à Quatre-Bornes, où nous avons connu des débuts plutôt lents avec des éléments de doutes. Mais très vite, nous avons constaté que, contrairement à 2014, lorsque les relations entre les partisans des deux partis étaient plutôt crispées, cette fois, il y avait une symbiose.
De plus, les jeunes étaient acquis à notre cause, parce que les deux leaders, Ramgoolam et Bérenger, ont bien fait comprendre qu’ils voulaient construire une passerelle entre les jeunes et les moins jeunes, et qu’il y aurait une période de transition. Il n’a jamais été question de changer le système violemment.
La tentative du régime d’effectuer une mainmise sur l’outil principal de tous les Mauriciens, à savoir les réseaux sociaux, pour des raisons banales, inappropriées et injustes, a commis un tort considérable à nos adversaires, aussi bien à Maurice qu’au niveau international.
Voulez-vous parlez des Missie Moustass Leaks ?
Tout à fait. Les gens aiment avoir accès à l’information. Ils n’acceptaient pas la politique répressive pratiquée par l’ancien gouvernement, ni les Fake News et la Money Politics. Les rumeurs à l’effet que les autorités pouvaient enregistrer leurs conversations téléphoniques ont provoqué un réveil brutal. Ils ont réalisé qu’avec un régime autocrate, nous ne pouvions rien laisser au hasard. Les Missie Moustass Leaks ont démontré l’ingérence de Lakwizinn au sein de toutes les institutions. Heureusement, comme dit le dicton, il y a encore des juges à Berlin. J’avais été parmi les premiers à dénoncer la collusion entre l’arme politique de l’exécutif et le président de l’Assemblée nationale. Nous avons eu à mettre des Cases en Cour contre lui. Donc, l’ingérence de Lakwizinn dans les affaires de l’État et la corruption vécue a empiré les choses.
Qu’une personne comme Soodhun puisse se permettre de dire qu’il transfèrerait Rs 250 millions sur les comptes du Premier ministre sans indiquer la provenance de cet argent était de mauvais augure. Ce que nous avons entendu, et ce que nous avons vu, est incroyable. Le prétexte de Pravind Jugnauth pour parler d’intelligence artificielle n’a pas tenu la route.
Il y a donc eu un ras-le-bol. Aujourd’hui, tout le monde est vulnérable, et pas uniquement ceux qui sont au bas de l’échelle ou dans des situations difficiles. J’ai vu beaucoup de gens dire non aux cadeaux électoralistes parce qu’ils avaient déjà pris leur décision. Lorsqu’on s’attaque à un symbole comme la Vierge Marie, on ne blesse pas uniquement les chrétiens, mais toutes les religions et toutes les communautés. Comme le dit si bien Rama Sithanen, lorsque les enfants ont fait un examen, quelle que soit leur religion, ils vont allumer une bougie devant la statue de la Vierge, considérée comme une maman.
En réalité, il y a un droit à l’excès, mais lorsque cet excès devient excédentaire, les Mauriciens réagissent avec force. C’est pour cela qu’ils ont sanctionné le régime de Jugnauth, qui est un régime véreux. Je me demande s’ils n’ont pas commis un crime contre la politique, l’économie et le social dans le pays.
Je crains fort que lorsque le Financial Secretary fera un état des lieux, il constatera que le pays est au bord du précipice et qu’il y a des trous noirs dans les comptes du gouvernement. Ceux qui sont coupables de ces crimes ne pourront pas être épargnés. L’Alliance du Changement se considère comme un locataire de la Government House, et pas comme le propriétaire de l’État. Il y aura donc à rendre des comptes au grand public.
Quelles sont les leзons que vous tirez de ces élections ?
En premier lieu, il faut qu’il y ait de la bonne gouvernance et de la transparence publique. La ligne de démarcation entre le gouvernement et les institutions démocratiques doit être claire et nette. Le Parlement doit rester le temple de la démocratie, et ne peut être utilisé comme une arme politique de l’exécutif. Ce dernier doit jouer son rôle comme il faut.
Les Mauriciens ont dit haut et fort que l’accès à l’information est un droit acquis. Nous n’avons pas le droit de le bafouer. C’est à nous de venir avec une Freedom of Information Act et une Police and Criminal Evidence Act afin de mettre un terme à ces arrestations arbitraires. Toutes les actions policières doivent être basées sur les preuves.
La lutte contre le fléau de la drogue doit par ailleurs s’accentuer. Nous ne pouvons pas avoir une économie parallèle. La proximité qui existe entre les barons de la drogue et les dirigeants du pouvoir doit être sectionnée. Ce sont autant de leçons à tirer, surtout qu’il y a beaucoup de nouveaux élus. L’électorat a envoyé un signal clair. Il faut qu’il y ait une politique de Righteousness.
Quant à la situation économique, à écouter les économistes que je connais au ministère des Finances, on m’a dit que l’ancien ministre Padayachy ne s’était jamais plié aux conseils qu’on lui donnait à la lumière de la situation économique. L’économiste Sushil Khushiram a décrit les déclarations de l’ancien ministre comme un tissu de mensonges. Heureusement que nous avons maintenant un gouvernement responsable qui assainira la situation. Car si nous maintenons la situation telle qu’elle est, nous risquons d’obtenir un avertissement de Moody’s en termes de Credit Rating.
De plus, avec la dépréciation qui continue, notre roupie risque de devenir une Junk Currency, mettant en péril les investissements étrangers directs. En 2014, le dollar était à Rs 30. En 2019, il est passé à Rs 37, et aujourd’hui, il frôle les Rs 48. La Banque de Maurice aurait dû intervenir d’urgence. Je crains que nous ne soyons pas loin d’un état d’urgence économique. C’est inquiétant et j’accuse l’ancien Premier ministre et l’ancien ministre des Finances.
Il ne faut pas oublier que vous avez des promesses électorales а respecter…
Bien sûr que nous respecterons et honorerons les promesses et nos paroles. Cela ne nous empêchera pas de faire un état des lieux. Il ne faut pas oublier que nous aurons une politique étalée sur cinq ans. Nous aurons à agir de façon responsable afin d’assurer les gains à long terme. Les rêves vendus par l’ancien gouvernement étaient faux et archifaux.
Si j’écoute ce qu’à dit Jonathan Powell, envoyé spécial de Keir Starmer, Premier ministre britannique, Pravind Jugnauth a supplié pour avoir un Political Agreement. Nous ne connaissons pas encore le contenu du traité qui doit être conclu entre nous et qui doit être débattu au Parlement britannique. Et ne voilà-t-il pas que le nouveau président des Etats-Unis veut remettre en question l’accord conclu et demande au Pentagone de rechercher des avis légaux pour voir si l’accord politique peut être changé. Bien sûr, nous ne partageons pas son avis, parce qu’il a eu un engagement de la communauté internationale et la résolution adoptée à l’Assemblée générale des Nations unies. Je me demande ce que nous aurions eu comme location. Les Britanniques affirment qu’ils contrôleront la pêche illicite et non réglementée, ainsi que la lutte contre la piraterie. Il semble que le gros du montant restera avec ce pays.
Pour créer de la richesse, il nous faudra consolider davantage les secteurs existants et développer d’autres secteurs productifs, ainsi que le secteur des services, et ce, en misant sur la matière grise des Mauriciens. L’Inde et la Chine l’ont fait, alors que nous avons basé notre développement sur une politique mensongère.
L’absence d’une opposition forte ne se fera-t-elle pas ressentir ?
L’ancien gouvernement a fait beaucoup de tort à la démocratie. Il a empêché la démocratie parlementaire de fonctionner. Ce n’est pas parce qu’il n’y aura que deux membres de l’opposition qu’elle ne fonctionnera pas. Les parlementaires feront leur travail avec beaucoup d’assiduité. Je sais que le Dr Ramgoolam les encouragera à le faire et à acculer les ministres en posant les interpellations parlementaires comme il faut.
Vous avez travaillé avec plusieurs gouvernements… Que retenez-vous de cette expérience ?
J’ai servi dans le gouvernement PTr-MMM en 1995. Nous avions abattu un travail considérable pour réformer l’industrie sucrière avec la fin du Protocole Sucre. J’étais présent dans le gouvernement de 2005 et de 2010. Aujourd’hui, me voilà dans le gouvernement du Ptr-MMM-ND-REA. Il y a un vœu de l’électorat en vue de la consolidation de cette alliance. Il y a eu une délivrance.
Now we have to deliver. Nous avons une obligation d’honorer nos engagements. Nous avons une responsabilité devant l’histoire. Il nous faut répondre à l’attente de cet électorat qui a placé sa confiance en nous. Nous n’avons pas le droit à l’erreur; nous sommes leurs mandataires.
Comment est-ce que vous vous positionnez dans ce gouvernement ?
Avec mon expérience, j’ai toujours été à la hauteur des attentes. De 1987 à ce jour, j’ai eu une ascendance politique en toute légitimité. J’ai été ministre et leader de l’opposition. Je comprends que nous sommes une nation plurielle et qu’il faut faire de la place pour tout le monde. Je ne suis pas demandeur.
La classe politique reconnaît la place qui doit me revenir. Je ne suis pas une personne qui revendique mes droits à travers le soutien dont je dispose. J’ai toujours été respectueux. Bien entendu, je m’attends à ce que ce respect soit reconnu.
Nous n’avons pas de choix. Comme je vous dis nous sommes mandataires de cet électorat et nous n’avons pas le droit à l’erreur ou à l’échec. Il ne faut pas se tromper. Il y a des solutions douloureuses et difficiles qui seront prises. Il nous faudra expliquer à l’électorat la raison d’être de ces décisions. L’objectif principal est d’assurer le bien-être de tous les Mauriciens. Prenons le cas de l’éducation. Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir une éducation « one size fits all ». Nous ne pouvons pas de continuer de perdre nos ressources humaines. Que ce soit pour les examens du PSAC ou pour les autres expériences, nous ne pouvons nous permettre de baisser le niveau afin d’obtenir un nombre plus important de Passes. Chaque enfant a un potentiel et il faut pouvoir l’exploiter. Ce n’est pas parce que je suis charpentier que je ne peux pas ajouter de la valeur dans ce que je fais ou parce que je suis pécheur que je ne peux pas valoriser mon travail. Il nous faut promouvoir aussi le métier d’artiste. Nous ne pouvons pas mettre des visières en valorisant uniquement la partie académique.
Il faut élargir cet espace et donner de la dignité à tous les Mauriciens. Nous devons travailler avec la société civile et toutes les organisations au sein desquelles les jeunes sont très actifs. Nous ne pouvons pas abandonner les personnes victimes des circonstances de la drogue. Il faudra un combat sans relâche contre le trafic de drogue. Nous avons de grands défis à relever, notamment concernant le vieillissement de la population. C’est la raison pour laquelle il faudra avoir un ministère du Plan qui accepte de s’engager dans des constructive discussions. Sinon nous resterons liés à un système qui n’a pas produit les résultats voulus.
Avez-vous une préférence pour un ministre, ou laissez-vous le Premier ministre décider ?
C’est le privilège du Premier ministre. Nous ferons tout pour être à la hauteur des responsabilités qui nous seront confiées. Maintenant que nous avons ouvert le portail, il y a des boulevards devant nous. Nous devrons donner le meilleur de nous-même pour faire en sorte que les Early Harvests deviennent un Bumper Crop.
Les observateurs de la SADC insistent pour qu’il y ait plus de femmes dans la vie politique ?
Nous avons la loi des administrations régionales pour avoir une représentation équitable des femmes. Je dois souligner que dans le cadre de l’organisation des élections, les femmes ont joué un rôle de premier plan. Il y a des barrières qu’il faut éliminer. Il y a encore du travail à faire. Mais il ne faut pas que ce soit en termes de proportionnalité, mais que ce soit une démarche naturelle.