Le Guide - Législatives 2024

Aruna Pulton (En Avant Moris) : « Des formations politiques qui ne peuvent qu’attirer des lèche-bottes »

Fervente défenseuse des droits de la femme, Aruna Pulton, vice-présidente du mouvement politique En Avant Moris, souhaite voir plus de femmes à l’Assemblée nationale. Et que celles qui sont compétentes s’engagent en politique sans se joindre aux partis traditionnels. Car, pour elle, les femmes ont leur droit absolu de participer au processus de prise de décisions et à l’élaboration de stratégies. Or, elle note une certaine médiocrité chez les femmes élues tout comme chez les hommes. Cette médiocrité, dit-elle, est causée par des formations politiques qui n’attirent qu’une certaine catégorie de personnes qui sont « en réalité, au service du leader ».

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Quel est votre sentiment lorsque vous voyez l’état de la femme mauricienne aujourd’hui ?

Un sentiment d’agacement. Lorsque vous regardez le réseau professionnel LinkedIn par exemple, vous avez une multitude de femmes qui ont des parcours professionnels formidables. Ce sont des femmes qui ont besoin de s’affirmer dans des entreprises souvent dominées par des hommes et elles y parviennent avec brio. Leurs entreprises réalisent de belles performances grâce à leurs compétences.

Je vois aussi les réalisations de nombreuses femmes entrepreneures qui lancent des initiatives dans des domaines de grande utilité sociale : le recyclage, l’économie circulaire, la permaculture, etc. Dans le domaine politique, je vois des partis traditionnels incapables d’attirer ces compétences féminines. Cette dichotomie m’interpelle.

Votre souhait est de voir plus de femmes au Parlement. Or, nous constatons que les femmes éprouvent davantage de difficultés à se faire élire. Où se situe le problème, selon vous ?

Et les hommes, eux, vous croyez que c’est facile pour eux ? Je ne considère pas la question sous l’angle du nombre, mais plutôt celui de la qualité des candidats que les partis présentent aux électeurs.

La participation de la femme en politique est faible à Maurice. Pourquoi n’êtes-vous pas d’accord sur la question de quota alors que les pays qui l’ont adopté ont pu augmenter la présence féminine au Parlement ? Le Rwanda devance Maurice sur le nombre de femmes au Parlement. Quelles sont les faiblesses qui sont toujours présentes et qui freinent la participation de la femme en politique ?

J’aime bien que vous me parliez du Rwanda. C’est un pays dont le développement économique et social est extraordinaire. C’est un pays qui ne veut pas revivre les mêmes conflits qui ont fait tant de morts et cela pour une raison majeure : les avantages et les privilèges pour un groupe ethnique au détriment des autres.

Donc, l’éducation participe à ce souci d’équilibre et les femmes issues du système éducatif se sentent investies d’une mission pour préserver la paix, car ce sont les femmes qui souffrent le plus de la guerre.

Les choses sont différentes à Maurice. Ce n’est pas le même contexte. Je ne pense pas qu’un quota de femmes puisse changer la donne pour la population mauricienne. Je sais que je ne vous tiens pas le discours à la mode, mais je préfère avoir un raisonnement sur une situation donnée que de reprendre ce qui se dit de manière générale. Le Cut’N’Paste sert à ceux qui n’arrivent pas à raisonner par eux-mêmes.

Quand je vois à l’Assemblée nationale des situations figées, où le gouvernement use, et abuse même du nombre pour faire passer ses projets de loi sans aucun égard pour les députés de l’opposition quand ceux-ci suggèrent des amendements, je me demande si ces gens-là comprennent ce qu’est un Parlement. Par définition, c’est un lieu où les élus parlementent pour essayer de rapprocher des points de vue afin de parvenir au mieux-être de la population.

L’Assemblée nationale n’est quand même pas un stade de foot, avec d’un côté les supporters de Pravind Jugnauth et de l’autre ceux des divers leaders des partis d’opposition ! Vous avez besoin d’un quota de femmes pour taper sur les tables après le discours de vos leaders ? Cette manière de fonctionner est au détriment de la population, elle est contraire au bien commun. Et je ne trouve là rien de bien honorable.

Croyez-vous que nous avons toujours du mal à faire confiance à la capacité des femmes ?

Je ne peux répondre à leur place. Chez En Avant Moris, l’engagement féminin ne connaît pas de limite. Je me réjouis que nous n’ayons pas de commissions ou d’ailes féminines qui sont, en fait, des voies de garage pour les femmes. Comment voulez-vous que les femmes les plus compétentes sur le plan professionnel s’engagent dans ces formations qui adoptent ces approches sexistes ?

Nous sommes en 2022 et nos partis traditionnels traitent leurs membres comme des adolescents qui doivent être scolarisés séparément, des collèges de garçons ici et des collèges pour les filles là-bas. Cela vous dit l’âge mental de nos dirigeants politiques. Les femmes capables ne sont pas celles qui vont approuver et cautionner un leadership aussi abject. Vous me parlez de la capacité des femmes, je vais vous dire ceci : chez nous, on croit même dans la capacité des hommes à considérer les questions relevant de la parité hommes-femmes !

Lors de votre participation au symposium de Gender Links, vous avez parlé des femmes qui font des bêtises et d’autres qui sont médiocres. Ne croyez-vous pas que de telles critiques pourraient causer de l’hésitation chez les femmes à entrer en politique ?

Mon constat de la médiocrité n’est pas valable que pour les femmes. Chez nos élus, les hommes sont tout aussi médiocres, à commencer par les leaders eux-mêmes ! Nous avons des formations politiques qui ne peuvent qu’attirer des lèche-bottes et des chatwas. Quand ces gens-là parlent de servir le pays, vous constatez qu’ils sont, en réalité, au service du leader. C’est cela la médiocrité. Et vous avez des leaders médiocres, quand ils se complaisent dans cette médiocrité.

En tant que membre du mouvement En Avant Moris, comment faites-vous pour faire entendre votre voix ?

Quand un argument est valide, chez nous, il est adopté. Chez En Avant Moris, les arguments viennent enrichir nos réflexions. Nous avons la chance de ne pas avoir de combats de petits ou de grands chefs, des rapports de force inutiles qui vont faire que des arguments sont rejetés même si le raisonnement est valide. Si votre raisonnement est valide, si vous pouvez faire la démonstration que ce que vous dites repose sur des faits, il n’y a aucune raison de faire des difficultés.

Vous dites que nous n’avons pas des femmes Role Model au Parlement comme c’était le cas dans le passé. Qu’est-ce qui vous pousse à dire cela ?

Le premier exemple qui me vient en tête, c’est Shirin Aumeeruddy-Cziffra. Peut-être parce qu’elle a été efficace à la mairie de ma ville. Mais cette avocate a aussi été une ministre qui a fait avancer des dossiers, savait se faire écouter autant par Paul Bérenger que par Anerood Jugnauth. Ce qui n’est pas une mince affaire à mon avis.

Vous imaginez Shirin en paillasson ? Chantant la gloire de son leader à chaque intervention et votant contre ses valeurs pour faire plaisir au maître ? Vous l’imaginez en train de tenir des propos racistes, maugréer des jurons au Parlement, ou pire, faire la sourde oreille aux Stakeholders, prendre des décisions qui vont à l’encontre de l’intérêt ou de l’avenir de nos enfants ? Regardez la situation actuelle de l’éducation à Maurice !

Quels sont les changements que vous voudriez pour que Maurice soit un exemple au monde s’agissant de la participation des femmes en politique ?

D’abord, je ne pense pas que nous devrions continuer avec cette espèce d’obsession d’être un exemple pour le monde. C’est un slogan de Paul Bérenger qui est devenu une fixation. Je préfère des approches efficaces plutôt que de passer pour des prétentieux. Je vous disais plus tôt que je ne crois pas dans le copié-collé, je pense que nous devons avoir la volonté de considérer notre propre situation et de dégager des solutions qui correspondent à nos réalités.

Mais j’ai une proposition concrète pour obtenir du changement : je demande aux femmes compétentes de s’engager en politique, mais de ne pas se joindre aux partis traditionnels, et surtout de ne pas se laisser cantonner dans les ailes ou les commissions où on discute bann zafer madam !

Les leaders de ces partis ont besoin d’être acculés pour changer les choses. Ils ont besoin de comprendre que les femmes doivent devenir partie prenante dans la prise de décisions. Elles doivent participer à l’élaboration de stratégies et elles doivent avoir leur place au sein du comité directeur du parti.

Alors, je viens dénoncer ces misogynes. Et je les confronte ouvertement puisque j’invite toutes les femmes capables à les ignorer. La bataille contre la médiocrité, c’est comme ça qu’on va la remporter. Mesdames, engagez-vous mais pas avec n’importe qui !

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