Sans aucun doute, le Covid-19 laissera de douloureuses traces, et ce d’abord en termes de victimes, bien entendu. Des milliers de morts qui auront été enterrés à la hâte aux quatre coins de la planète, souvent loin de leurs proches, confinés, qui n’auront de fait pu leur dire un dernier au re- voir. Mais aussi, et surtout, la pandémie laissera des stigmates psychologiques sans précédent, le monde n’ayant tout simplement pas été préparé à cette pandémie.
Les mesures draconiennes mises en place pour enrayer le plus rapidement possible la propagation du virus, à commencer par ce confinement imposé à près de 2,6 milliards de personnes à travers la planète, auront été diversement vécues, certains y voyant même là une atteinte drastique à l’un de nos droits les plus fondamentaux : celui du libre mouvement. Autant dire que la décision, sur notre sol, de forcer magasins, boulangeries et autres points de vente à baisser leurs volets pourrait, dans ce contexte, passer pour une de ces mesures extrêmes que l’on ne pensait encore voir que dans un État totalitaire.
Évidemment, il n’en est rien ! Ces restrictions sont en réa- lité en total accord avec le contrat passé entre tout gouverne- ment et son peuple, et par lequel le premier promet d’assurer la sécurité du second. Or, dans la conjoncture, cette protection se traduit simplement par le confinement, voie la plus évidente afin de se sortir au plus vite de cette situation sanitaire. Une fois cela compris, notre bon sens devrait nous per- mettre d’accepter plus facilement les mesures les plus radicales, y compris celle de la fermeture des magasins pendant plusieurs jours. Aux autres, nous pourrions rappeler que la démocratie ne garantit aucunement que toute liberté soit permise. Pour prendre une image parlante, pouvons-nous en effet imaginer un État où aucune limite de vitesse ne serait imposée sur les routes ?
Assurément non, car il est évident pour tout le monde que le pays qui n’appliquerait pas ces restrictions verrait obligatoirement augmenter le nombre de ses victimes. Voilà donc le cas d’une limitation des libertés que nous acceptons tous. Pourquoi cela serait-il donc différent dans l’actuelle crise ?
Cette acceptation est d’autant plus « facile » (relativement parlant) que l’on sait que cette forme de coronavirus a déjà provoqué des milliers de décès. La menace est donc bien vi- sible, même si « l’ennemi », lui, ne l’est pas, comme les dirigeants du monde aiment le rappeler. Mais que ferait-on si l’on n’en avait pas conscience ? Aurions-nous accepté que l’on touche à ces mêmes libertés, si fondamentales selon nous ?
Certainement pas, puisque l’on ignorerait l’existence même du Covid-19. Aussi une question se pose : pourquoi, alors que nous pouvons admettre l’instauration d’un état d’ur- gence sanitaire en vue de nous « sauver » du Covid-19, ne pouvons-nous en faire de même avec la cause climatique ? Hypothéquer de nouvelles libertés face aux menaces à venir nous paraît en effet tout simplement inenvisageable, du fait probablement que celles-ci nous apparaissent trop peu visibles, abstraites et lointaines.
C’est d’ailleurs cette abstraction qui rend les choses plus compliquées en la matière. Pour reprendre le cas de la pré- sente pandémie, l’on aura ainsi vu s’inviter les problématiques économiques au débat sanitaire, en attestent les changements de position de dirigeants tels que Donald Trump et Boris Johnson. Malgré tout, les États, dans leur grande majorité, n’auront pas hésité à consentir de douloureux sacrifices, quitte à accentuer leur dette publique et risquer une récession. Pourquoi, alors, ne sont-ils pas aussi prompts à réagir face au réchauffement climatique, si ce n’était juste- ment cette abstraction que constitue encore ce défi ?Ce qui est certain, c’est que la crise du Covid-19, quelles que soient les traces qu’elle aura laissées, finira par passer. Nos disparus, certes, ne nous seront jamais rendus, mais nous pouvons encore nous inquiéter du sort de ces centaines de millions de personnes risquant de mourir lors de la pro- chaine crise mondiale (climatique).
En ce sens, le coronavirus n’aura jamais été qu’une triste « répétition » avant la « représentation » finale. Une manière, somme toute, de nous mettre en garde et, ce faisant, de nous rappeler que cette toute-puissance dont nous nous croyons pourvus n’aura ja- mais été rien d’autre qu’une utopie, dont la fragilité n’est aujourd’hui plus à prouver.