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Alexandrine Belle-Étoile : « C’est fou à quel point la culture créole est riche et magnifique »

L’enfant de Saint-Paul s’est envolée pour la Nouvelle-Orléans, aux Etats-Unis, pour participer à Miss Univers 2023. Lors d'un entretien avec Le-Mauricien, réalisé à son retour, Alexandrine Belle-Étoile raconte les semaines intenses précédant le prestigieux concours, lors duquel elle a mis en lumière le quadricolore Propos recueillis par : Joël Achille.

Un engagement certain pour son île découle de ses paroles en faveur du respect de tous. Avec une considération particulière pour la nouvelle génération et les femmes qu’elle accompagne.

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Comment allez-vous depuis la fin du concours et votre retour dans l’île ?

Je ne vais pas mentir : je suis extrêmement épuisée. Je suis partie aux Etats-Unis le 17 décembre et nous avons eu des séances de préparation jusqu’au 4 janvier, jour de la compétition, qui s’est terminée le 14.

Depuis mon arrivée aux Etats-Unis, cela a été la finalisation d’une préparation vraiment intense. Il y a eu des Catwalk Trainings, des interviews, le peaufinage de la garde-robe et du Make-Up, etc. Il n’y avait pas de temps pour le repos. Et pour la compétition, je me suis donnée à fond.

Avant de revenir plus en détail sur l’expérience que vous avez vécue, pouvez-vous nous en dire davantage sur vous. D’où êtes-vous originaire à Maurice ?

Je viens de Saint-Paul, où la famille de mon père a toujours vécu. Donk bann Belle-Étoile depi Saint-Paul. Je suis originaire d’une famille très modeste mais j’ai grandi avec des valeurs très riches, que je ne manque pas de partager autour de moi. J’ai une sœur et un frère, des jumeaux, qui sont dix ans plus âgés que moi.

Ma sœur vit en France et je ne l’avais pas vue depuis quatre ans. Elle est venue à Maurice en décembre, et j’ai pu la voir trois jours avant mon départ. Cela m’a fait un pincement au cœur de la laisser, surtout qu’elle était accompagnée de mon neveu de deux ans, que j’ai vu pour la première fois. C’était un peu difficile de passer les fêtes loin de la famille et hors du pays.

Où vous trouviez-vous durant les fêtes ?

Pour la Noël, j’étais à New York, dans le Queens, avec une famille philippine. Il y avait une soirée karaoké, de la nourriture philippine. Ce mix de goûts entre les cuisines asiatique et européenne est bien marqué dans ma mémoire.

De plus, j’ai réalisé que nous partagions les mêmes valeurs qu’eux ; ils ont un peu le même humour qu’à Maurice. Pour le Nouvel An, j’étais à Los Angeles, pas loin de Disney. Avant cela, j’avais passé quelques jours à Washington. Ensuite je me suis rendue à New York et à Los Angeles pour finaliser la présentation.

Elle était bien cette expérience aux USA ?

C’était excellent. The America Dream, comme on dit. Tout est grand et immense. La nourriture… les prix, quand on compare à la roupie mauricienne.

C’est comme dans les films. Les endroits tels Time Square, Broadway, Wall Street, Beverly Hills, Hollywood, Santa Monica… J’ai eu la chance de voir beaucoup de choses.

Racontez-nous comment s’est passé le concours Miss Univers 2023…

Le concours a été très Challenging mentalement et physiquement, car il était de très haut niveau. Il y avait 84 candidates, dont certaines sont très connues dans leurs pays respectifs. Elles sont quasiment des stars : elles se déplacent avec des gardes du corps, ont des fans… C’est grandiose comparé à Maurice.

Donc, les critères du concours étaient beaucoup plus élevés. Il a fallu savoir se démarquer des autres et montrer que, malgré que nous venions d’un petit pays, je suis quand même là, et j’ai la même opportunité que ces autres candidates d’être à Miss Univers.

J’ai eu la chance également de participer à des Photoshoots auprès des plus grands sponsors de Miss Univers, Portia and Scarlett et Jojo Bragais. J’ai en outre fait la couverture de Vogue Philippines pour lui. Cette expérience est une grande satisfaction, même si je ne suis pas classée parmi le Top 16, contrairement aux prédictions des experts en concours de beauté.

Je suis heureuse d’avoir pu rendre les Mauriciens fiers et d’avoir pu changer quelque peu la vision des concours de beauté à Maurice, tout en encourageant les autres femmes et jeunes filles. Il y a du potentiel dans le mannequinat; il faut juste savoir ce que l’on veut et comment lancer ses projets à travers cela.

Comment se passaient vos journées de préparation avant le concours ?

Il faut savoir qu’entre les Etats-Unis et Maurice, il y a entre 10 et 12h de décalage horaire. Je n’ai jamais réussi à me remettre du Jet-Lag, parce que dès que je suis arrivée, nous avons enchaîné avec les préparations. Dans une journée, il y a un seul coaching : soit celui de l’interview, du catwalk ou vestimentaire. C’est-à-dire savoir quoi porter à quel moment. La préparation a été assurée par l’équipe de Miss Univers Maurice, mais en Amérique. Il y a le comité Miss Maurice dans l’île et le comité Miss Maurice aux Etats-Unis.

Nous avons pu suivre votre parcours chez Miss Univers à travers les réseaux sociaux. Mais à la veille du concours, votre compte Instagram a été piraté. Comment avez-vous vécu ce moment ?

Mon Dieu, quel moment de panique ! Nous étions en train de dîner très tard ce jour-là en raison des préparatifs. Je me pose à table et je voulais poster une photo de ce qu’on me servait. Et là, je m’aperçois que je suis déconnectée et que je ne parviens plus à me connecter !

Mon adresse e-mail et mon numéro de téléphone avaient été changés, et je n’avais plus accès à mon compte Instagram. C’était la panique. Je ne pouvais même plus manger. Je pensais à Miss Univers, mais aussi à mon sponsor et mon travail. Car je gagne en partie ma vie grâce à Instagram. Du coup j’ai eu peur. J’ai harcelé Instagram et hier (mercredi, NdlR), j’ai enfin retrouvé mon compte.

Je peux comprendre que les jeunes quittent Maurice parce qu’ailleurs, nous sommes mieux rémunérés et nous pouvons être nous-mêmes à 100%. Nous ne sommes pas contrôlés tout le temps.

Nous avons également pu voir comment les créoles participant aux concours partageaient leur langue. Que retenez-vous de ces échanges avec les autres femmes des îles ?

Que le monde est petit, tout simplement. Qu’il n’y a pas de barrières entre les langues et que la culture créole est incroyablement riche. Peu importe où nous sommes dans le monde, nous arrivons à nous reconnaître et nous avons ce sentiment d’appartenance. Nous étions cinq, avec Miss Haïti, Miss France – qui est originaire de Martinique –, Miss Seychelles et Miss Sainte-Lucie. Même si ce n’est pas le même créole, nous avons pu communiquer et nous comprendre. Ce qui est extraordinaire. C’est fou à quel point la culture créole est riche et magnifique.

Vous avez défilé avec une cape peinte par vos soins. Quelle a été votre inspiration ? Ne vous êtes-vous pas dit que vous preniez un risque ainsi ?

Ah non, au contraire ! Je suis artiste-peintre, et c’était le moment idéal de montrer mon talent et celui de la femme mauricienne. J’avais l’option de réaliser cela avec d’autres artistes mauriciens, mais le temps était compté. Avec les préparatifs en décembre, chacun a ses fêtes, et n’est pas tout le temps disponible. Donc j’ai peint ma cape moi-même. J’étais heureuse de juste pouvoir partager les couleurs de Maurice sur la scène internationale et de faire partie des Best Capes.

Comment avez-vous franchi le pas vers le mannequinat ?

Je suis dans ce domaine depuis six ou sept ans. Ma belle-sœur est designer chez Exotic Group, dont fait partie Island Haze. À l’époque, ils étaient à la recherche d’un mannequin et, sans m’en rendre compte, quand ma belle-sœur parlait de cela, elle décrivait des critères qui me correspondaient. Du coup, je me suis dit que je pouvais essayer. Après un casting, j’ai commencé par des séances photos auprès de Island Haze. Ensuite j’ai basculé chez Body and Soul, où je suis encore. En faisant du mannequinat en freelance, mon petit réseau dans le monde de la mode s’est agrandi au fil des années.

Les contrats obtenus ici et là m’ont permis d’arriver où j’en suis aujourd’hui. Le mannequinat m’a toujours passionnée. Je regardais Top Model USA avec Tyra Banks à la télé, et ça a toujours été un petit rêve de jeune fille d’être mannequin un jour. Mais je ne pensais pas arriver aussi loin des années plus tard.

Il faut souligner que vous êtes enseignante de français et d’art dans une école privée. Était-ce votre rêve d’enseigner ?

C’était mon rêve d’être dans le milieu de l’art. Pour l’enseignement, c’est venu après. Surtout quand j’ai réalisé que mes ateliers de peinture constituaient la plus belle façon pour moi de partager ma passion. La passion de l’enseignement auprès des enfants est venue après. Pour moi, c’est le seul métier à travers lequel je peux partager ma passion et mes compétences avec la nouvelle génération.

Quels sont les défis auxquels sont confrontés les enseignants aujourd’hui ?

Il y a beaucoup à faire pour les enseignants. De nos jours, nous évoluons avec la technologie, ce qui représente une autre charge de travail. Enseigner demande énormément d’énergie et de temps. Nous avons besoin de repos pour pouvoir donner autant d’énergie aux enfants. En plus, nous devons nous adapter à cette nouvelle ère technologique parce que nous ne sommes pas de la même génération que les enfants. Le défi est de toujours rester Up To Date, de pouvoir garder les enfants actifs et intéressés par la classe.

Nous parlons souvent de fuite des cerveaux. Comprenez-vous ce phénomène et les jeunes qui décident de quitter Maurice ?

Je peux les comprendre parce que les opportunités à Maurice sont limitées. Mon voyage aux Etats-Unis m’a permis de constater que nous sommes très en retard sur l’évolution de ce monde. Mais nous y arrivons à petits pas. Je peux comprendre que les jeunes quittent Maurice parce qu’ailleurs, nous sommes mieux rémunérés et nous pouvons être nous-mêmes à 100%. Nous ne sommes pas contrôlés tout le temps, surtout qu’il n’y a pas autant de loi en ce sens, contrairement à notre petite île. Personnellement, je n’ai jamais eu le désir de quitter Maurice. J’ai toujours eu l’ambition de développer des projets ici. Il faut vouloir faire avancer son pays, car, si tout le monde part, au final, rien ne changera. Il n’y aura aucune voie pour assurer la relève de la nouvelle génération.

J’ai participé à l’un des plus grands concours internationaux et je n’ai pas reçu de soutien du gouvernement.

Sentez-vous que l’île dispose d’un espace restreint de liberté ?

Oui, notamment concernant la représentation du pays. Par exemple : j’ai participé à l’un des plus grands concours internationaux et je n’ai pas reçu de soutien du gouvernement ou d’un ministère. Chose que je ne comprends pas. Quand on parle de liberté, parle-t-on aussi de la liberté de pouvoir représenter son pays à 100% ?

Aviez-vous sollicité l’aide du gouvernement pour ce concours ?

Bien sûr. Je suis passée à la radio, plusieurs articles de presse ont parlé de ce que je faisais. A un moment donné, je pense qu’ils sont au courant de ceux qui quittent le pays pour être ambassadeurs du pavillon. Ils savent et le voient, d’autant que je suis quand même pas mal dans la presse. Honnêtement, cela peut être très décourageant pour les autres, qui ont sûrement plus de potentiel que moi, mais qui n’osent pas aller de l’avant parce qu’ils se disent : « De toute façon, je ne suis pas soutenu par mon pays. » Quand je dis que « je ne suis pas soutenue par mon pays », je veux dire que je ne suis pas soutenue par le gouvernement qui est à la tête de mon pays. Cela décourage.

Après, quand on parle de liberté, on parle également d’une société conservatrice dans laquelle on évolue ici. Cela change maintenant parce qu’on peut beaucoup voyager. Le Mix of Culture  a aussi beaucoup évolué, mais il y a ce Generation Gap  qui fait que les choses prennent du temps, contrairement à l’étranger.

Pour vous, la voix des femmes à Maurice est-elle suffisamment respectée et entendue ?

Petit à petit, elle se fait entendre. Mais il y a encore beaucoup de travail à réaliser. De nombreuses femmes vivent dans la peur. La peur de parler pour soi, de s’affirmer. D’affirmer son genre, ses goûts, ses droits. Quant au respect, nous ne sommes jamais entièrement satisfaits des retours que nous pouvons avoir parce que nous ne pouvons plaire à tout le monde, que ce soit pour les hommes ou les femmes.

Cependant, à l’heure actuelle, nous avons le potentiel de nous faire entendre, et il faudrait toucher davantage de monde afin de partager notre histoire. On ne sait jamais qui on peut inspirer et qui on peut aider. Ce serait mon message pour la femme, si jamais elle a envie de parler.

Vous êtes fondatrice d’Art Brave. Quels sont les objectifs de cette plateforme ?

Art Brave sert à encourager l’entreprenariat chez la femme mauricienne. J’anime des ateliers de peinture, d’estime de soi, de Make-Up et de coiffure, en collaboration avec des professionnels du métier. Cela se passe plutôt dans les villages quelque peu retirés. J’ai commencé il y a quelques mois et, cette année, j’espère avoir un bon retour des sponsors pour pouvoir m’y mettre davantage et entamer ce projet d’entreprenariat auprès des femmes.

Écouter ce que nous avons à dire ! Parce que c’est notre pays à tous, et non celui d’un gouvernement. C’est le pays de chaque Mauricien.

Vous avez participé à la campagne écologique Protez Nou Lagon. Pourquoi est-ce important de s’engager de nos jours alors que l’indifférence semble plus aisée pour tous ?

Tout simplement parce que notre île nous appartient. Nous venons d’elle ! Elle fait partie de nous et de notre identité. Si nous ne nous engageons pas maintenant, quand le ferons-nous ? Et quel exemple donnons-nous aux jeunes si nous ne nous engageons pas ? Tout cela commence par nous, par nos actes. C’est un choix que je fais avec fierté. Il est vrai que je n’ai pas une vie particulièrement calme, mais je m’engage autant que possible. C’est important de protéger la nature, de défendre l’île d’où l’on vient et notre territoire.

La préoccupation écologique est-elle suffisamment considérée dans notre île ?

Elle commence à l’être. Il y a pas mal d’esprits créatifs et, d’ailleurs, c’est le moment pour tous ces créateurs, ingénieurs et diplômés internationalement de mettre en œuvre leurs compétences pour faire évoluer les choses de manière créatives. Cela se fait petit à petit. Il faut simplement ne pas se décourager, car les choses se mettent en place à travers de petits actes à la maison, autour de soi. Au fur et à mesure, ces actes deviendront plus grands et inspirants.

Il y a une impression qu’une division s’est installée entre le peuple et le gouvernement. D’abord, comment qualifieriez-vous l’atmosphère qui règne en ce moment dans le pays ? Ensuite, est-ce une situation saine pour les dirigeants de donner l’impression que certaines voix sont davantage considérées que d’autres ?

Pour répondre à cette question assez politique, je souligne en toute honnêteté que je ne suis pas politicienne. Toutefois, je suis une femme mauricienne très fière de mon pays. Concernant la division évoquée, je pense que c’est tout à fait normal quand on vit dans un pays multiculturel, que chaque groupe ethnique souhaite pouvoir bénéficier de l’égalité et des mêmes chances. Quand nous partons représenter notre pays, c’est une belle façon de mettre en lumière cette diversité multiculturelle. C’est pour cette raison que le gouvernement doit soutenir cette représentation et chaque représentant de Maurice à l’international. Je pense avoir répondu à la question.

Y a-t-il un message que vous souhaitez adresser à nos dirigeants ?

Il n’y en a pas un, mais plusieurs, me mo pa pou azarde koumadir ! Mon message serait de transmettre les compétences aux jeunes qui veulent faire évoluer Maurice, et d’écouter le peuple et la nouvelle génération. Écouter ce que nous avons à dire ! Parce que c’est notre pays à tous, et non celui d’un gouvernement. C’est le pays de chaque Mauricien.

Quels sont vos projets maintenant ?

D’abord me reposer pendant une semaine. Ensuite, poursuivre dans le mannequinat et avec Art Brave, qui est mon but ultime. Je souhaite vraiment m’y lancer cette année, et pourquoi pas ouvrir une école l’année prochaine… Je continuerai également avec le professorat. Voilà, la vie reprend son cours et tout redevient normal.

 


Ses goûts

Chanson du moment : Outside, la chanson de Miss Univers

Livre recommandé : La Maîtrise de l’Amour, par Don Miguel Ruiz

Série à voir : Mercredi, « car je n’ai pas tellement eu le temps de regarder des films », explique la Miss


Bio Express

Âgée de 25 ans, cette habitante de Saint-Paul a été élève à l’école de Lorette de Vacoas avant de poursuivre son éducation au Lorette de Quatre-Bornes. Sa passion pour l’art a germé durant son enfance grâce aux travaux de peinture que sa mère, enseignante au pré-primaire, ramenait à la maison.

Par la suite, la jeune femme a complété une licence en Beaux-Arts au Mahatma Gandhi Institute de Moka. Enseignante d’art et de français dans une école privée, elle s’est classée dans le Top 10 au concours Miss Supranational de 2022, raflant les écharpes de Miss Supranational Africa et de Top Model Africa. La fondatrice d’Art Brave a également représenté Maurice et l’océan Indien au concours Miss Univers 2023.

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