Hubert JOLY
Président du Conseil international de la langue française à Paris
Il est parfois de bon ton, chez les spécialistes de la littérature française, de dénigrer le genre de la littérature populaire et, par exemple, de mettre La Comédie humaine de Balzac au-dessus des feuilletons d’Eugène Sue (1804-1857) avec Les mystères de Paris et même au-dessus des deux séries romanesques d’Alexandre Dumas que sont Les trois mousquetaires (1844), Vingt ans après (1845) suivis du Vicomte de Bragelonne (1847) ou et surtout Le comte de Monte Cristo. Pourtant, ces romans ont immédiatement connu un succès foudroyant qui ne s’est jamais démenti. Ils ont été traduits en un nombre impressionnant de langues et on ne compte plus les adaptations colorées que nous en ont données le cinéma et la télévision, sans parler des interprétations inoubliables que de grands acteurs ont faites de ces chefs d’œuvre. Les héros que sont d’Artagnan ou Edmond Dantès sont entrainés dans une course folle et une cascade de rebondissements qui tiennent en haleine le lecteur de la première à la dernière page et lui donnent encore l’occasion de rêver lorsqu’il a enfin réussi à trouver le sommeil.
On encouragera donc vivement les amateurs de combats de cape et d’épée ou ceux qui aiment les intrigues bien nouées à relire ces morceaux de bravoure. C’est très différent de la littérature d’anticipation qui est à la mode aujourd’hui car les romans d’Alexandre Dumas, bien qu’ils décrivent des sociétés maintenant disparues, ont réussi à atteindre un degré d’intemporalité qui les rend quasiment plus vrais que l’Histoire elle-même. On ne s’étonnera pas alors que les guides du château d’If dans la baie de Marseille vous montrent, comme authentiques, les soi-disant cellules d’Edmond Dantès et de l’abbé Faria… Et si vous ouvrez bien les yeux, vous verrez surement ce terrible cardinal de Richelieu caresser ses chats tout en mitonnant les pièges ourdis par Milady aux mousquetaires.
Quand le roman est bon, la fiction dépasse souvent la réalité.
La qualité de ces ouvrages surprend quand on sait qu’ils ont été, pour beaucoup d’entre eux, de la littérature alimentaire pour laquelle l’auteur devait, bon gré, mal gré fournir chaque jour un nombre précis de pages à engloutir dans les rotatives des journaux. Malgré cela, en dépit de plus de cent-cinquante ans d’âge, ces œuvres n’ont pas pris la poussière et se lisent toujours avec le même plaisir. Les bons sont toujours aussi bons, les méchants toujours aussi mauvais et, parfois, on aimerait bien se glisser dans la peau des personnages pour revivre avec eux les émotions qu’ils ont éprouvées.
Les recettes de ces romans sont connues depuis longtemps. Il y faut de l’amour et de grandes passions, des épisodes presque incroyables plantés dans la trame historique, une alacrité de plume à toute épreuve mais sans quitter le domaine du vraisemblable. Encore faut-il être un habile cuisinier et savoir épicer les sauces avec modération. C’est tout le mérite du grand Alexandre Dumas (1802-1870). Il était donc né la même année que Victor Hugo. Sa carrière d’écrivain prolifique a été encouragée par la collaboration qu’il a su établir avec Auguste Maquet. Il est assez drôle que ce métis d’un général mulâtre d’Haïti ait eu recours aux services de ce qu’on appelle dans l’édition un nègre… mais dont les mérites oubliés ont été quand même d’avoir été, pendant douze ans, le président de la Société des Auteurs et des Compositeurs dramatiques, ce qui prouve qu’il était loin d’être nul et que sa collaboration avec Dumas a sans doute été plus féconde qu’on ne le dit. Sur ce, je ne peux que vous abandonner aux charmes de Mme Bonacieux ou, selon vos gouts peut-être plus pervers, à ceux de Milady. Dans ce dernier cas, soyez quand même prudent, vous risquez de rencontrer sur votre chemin le comte de la Fère, Athos. Il est noble, juste mais implacable.