Aftermath de Mama Jaz 2023 : par-delà l’harmonie

La 8e édition du festival annuel s’est clôturée le dimanche 30 avril au Creative Park de Beau-Plan, à l’occasion de la Journée internationale du jazz. Au-delà de la musique créative et du jazz, il s’agissait aussi d’assimiler les univers multiples vers lesquels peut porter cet événement à la portée internationale. De : Joël Achille.

Comment comprendre le jazz ? Pour le spectateur lambda, ce genre musical passe au-dessus des têtes. Il est considéré comme étant réservé à une niche; à ceux qui présentent une connaissance poussée de la musique, voire à ceux qui appartiennent à une classe sociale élevée. Or, est-ce réellement le cas ? Ditou pa. Et cette 8e édition de Mama Jaz – placée sous le signe de “viv larmoni” – l’a une nouvelle fois rappelé. Pas uniquement grâce à la musique distillée les mercredis lors des Gran Konser au Caudan Arts Centre, les dimanches au Creative Park de Beau-Plan, ou en ligne avec les Minit Mazik.

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Le mois d’avril pour l’événement organisé sous la férule de Gavin Poonoosamy – suite à une conversation en 2016 avec Jerry Léonide – a largement misé sur les rencontres, les dialogues. Des échanges qui auront mené à ressentir la passion rythmant le cœur des amoureux de la créativité. Une harmonie par-delà les mots, par-delà les langues. Car c’était cela le Mama Jaz de 2023 : l’harmonisation des êtres de différents horizons sur cette petite île de l’océan Indien.

Faut-il le rappeler : Mama Jaz est un festival 100% mauricien. Il a pris naissance dans l’insularité en voyant et misant grand. Le festival tient la route en présentant, année après année, des créations à l’opposé du mainstream. Il a tenu ferme face aux péripéties du Covid-19, forçant ses organisateurs à imaginer un contenu dématérialisé, qui touche au final des centaines de milliers d’internautes.

Cette année, différents noms se sont prêtés au jeu des Minit Mazik, à savoir des vidéos d’une minute mises en ligne sur les réseaux de Mama Jaz. L’humoriste Olivier Sirop, le batteur Kersley Tuyau, le bassiste Mathieu Sournois, Gary Mach, Jeannot Poisson, le détonnant Wendada, parmi tant d’autres. Une aubaine pour n’importe qui de s’ouvrir à l’originalité et prendre à contre-pied les battements cycliques pullulant.

À la portée de tous.

Cette ouverture s’est étendue à des actions gratuites, une nouvelle fois ouvertes à tous, tenues tous les dimanches du mois d’avril à Beau-Plan. Sur place régnait la convivialité dans un espace accueillant pour les familles. L’aspect imposant de la scène pouvait, pour certains, se révéler intimidant. D’autant que le genre de créations proposées se déguste généralement dans un cocon d’intimité. Cependant, l’esprit derrière la mise en place de cet aménagement a permis au jazz de se laisser apprécier paisiblement sur des nattes dans l’herbe, à l’ombre de majestueux arbres, en arrière-fond de conversations amicales tenues çà et là. Alors que s’amusaient non loin des groupes d’enfants, synonyme de transmission générationnelle.

Philippe Thomas Trio, Jyse XP, Kolektif Desvaux Bertin, Samuel Laval Quartet (formation de jeunes prometteurs) et Neshen Teeroovengadum Quartet (en clôture lors de la Journée internationale du jazz). Tous ont mis en avant le talent indéniable des locaux dans le domaine. Cependant, quelquefois, la porte d’entrée à leur art n’était pas mise à la portée de tous, générant des phases de décrochage momentanées, brisées par des salves musicales exceptionnelles qui interpellaient même les moins accoutumés.

À ce sujet, il incombe de souligner la performance hors norme à bien des égards du batteur Christophe Bertin. Sa maîtrise de la batterie a fait de lui un point de liaison, agissant comme un pont auprès des spectateurs, qui l’ont félicité plus d’une fois avec de chaleureux applaudissements, car largement époustouflés par ses improvisations. C’est ainsi que lors de la performance du 30 avril, Neshen Teeroovengadum a plusieurs fois dû relever la performance du batteur sur scène.

Il est vraiment dommage que davantage de gens ne se soient pas intéressé aux sessions du dimanche. La gratuité de l’événement s’insérait pourtant, en ce sens, comme un solide argument, que défendent d’ailleurs ardemment les organisateurs. Toutefois, que faire d’autre si l’intérêt ne germe dans des esprits ne souhaitant s’aventurer hors de leur matrice?

Voir grand.

Une autre dimension d’une intimité profonde s’ouvrait, d’autre part, lors des Gran Konser. De majestueuses performances assurées par des formations locales et internationales. Le Réunionnais Luc Joly a ainsi célébré son Gran Bekar (ses 35 ans de carrière) au Caudan Arts Centre. Il y a eu également la transposition des œuvres d’Eric Triton en jazz à travers un collectif spécial composé évidemment du bluesman, de Christophe Bertin, Belingo Faro, Ashley Spéville (valeur sûre et étoile montante de la basse) ainsi que l’indétrônable trompettiste Philippe Thomas.

Alors que le duo Rouhangeze Baichoo (une chanteuse mauricienne installée à Londres) et Tomasz Bura (pianiste polonais tombé amoureux de la musique mauricienne) a fait montre de la portée du sega dans le jazz et la musique classique. Ce sont eux qui, au travers d’une interview hors-cadre avec Le Mauricien, ont instillé l’esprit qui régit les improvisations; ces brefs moments où les musiciens se soumettent aux enseignements acquis au fil d’années d’études pour laisser leur corps s’exprimer librement, en omettant toute pensée… ou presque. Un aspect méditatif. Un toucher céleste.

Au cœur de cette créativité, une figure chétive qui a embarqué vers son univers de poésie, notamment légué par sa mère. Pendant environ deux heures, le pianiste sud-coréen Hanbin Lee a subjugué l’auditoire. Et le mot est faible. Véritable révélation de ce festival qui, par on ne sait quel réseau, à dénicher ce génie d’Asie pour le présenter au centre d’art de Port-Louis. L’harmonie a résonné intensément ce 19 avril.

Avec cette 8e édition, Mama Jaz s’impose davantage comme un rendez-vous incontournable de la région indocéanique et africaine des amoureux de la musique créative. Un objectif mis de l’avant durant des années par l’équipe organisatrice, qui défend la transmission de ces valeurs en offrant la chance aux jeunes de s’exprimer. La portée internationale que revêt l’événement assure ainsi sa pérennité, assumant son identité singulière pour proposer une vision différente de ce monde.

Preuve que même si l’île Maurice se révèle petite, Mama Jaz lui permet cependant de voir grand.

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