Air Mauritius : « Avec la nomination des administrateurs, la réforme du ‘balance sheet’ sera plus facile »
« L’après-crise demandera un changement profond dans notre façon de penser »
Devant la gravité de la situation économique actuelle, Afsar Ebrahim, Deputy Group Managing Partner de BDO Mauritius en partance, estime qu’il faut « réunir les experts de tous bords » afin de trouver des solutions. Avec la hausse exponentielle de la dette du pays qui s’annonce, il estime que le ‘helicopter money’ pourrait figurer parmi les solutions. S’agissant des entreprises privées, le No 2 de BDO pense qu’elles doivent réfléchir à leurs lacunes et investir davantage dans la technologie et le travail à distance. Pour ce qui est de la situation post-Covid-19 et les différents marchés à explorer, Afsar Ebrahim prévient que « le noyau de la croissance se situera au cœur de l’axe Asie-Afrique dans un proche avenir », car les « tigres asiatiques » vont rebondir…
Comment une firme comptable comme BDO fonctionne-t-elle en cette période de confinement ?
BDO a toujours su s’adapter aux changements sur le marché. Nous avons enclenché notre Business Continuity Plan dès que le gouvernement a annoncé le confinement. Nous avions déjà appliqué tout un protocole d’hygiène en amont. Notre mode d’opération n’a pas connu de perturbation majeure, hormis une réorganisation logistique pour permettre le travail à distance. Les managers et associés sont en contact permanent avec leurs équipes, et le travail se poursuit bien que l’impact du confinement se soit fait sentir.
Le Work From Home, c’est bien, mais vos activités ont-elles ralenti ?
Nos activités ont effectivement connu un certain ralentissement. Il faut savoir que nous travaillons avec des clients dont les activités ont été affectées par la situation actuelle. Ce qui fait que les « assignments » existantes ont été exécutées, mais certaines ont été suspendues pour l’heure. Il nous a fallu nous adapter à la situation et trouver des solutions pour fonctionner à distance, tout en répondant aux besoins de nos clients, dont des conseils gratuits pour les assister.
Quelles sont les craintes exprimées par vos clients ?
La crainte vient surtout de l’incertitude quant à la durée de cette crise sanitaire et à quel point elle affectera notre économie. Certains clients ont également demandé des conseils par rapport aux différentes mesures de soutien annoncées par le gouvernement. Ceci dit, il a fallu un certain temps aux gens pour se rendre compte qu’il n’y a aucun compromis possible entre sauver des vies et sauver des moyens de subsistance.
Devant l’arrêt brutal des opérations économiques dans le pays, comment doivent réagir les entreprises du secteur privé ?
Il est temps de mettre le compteur à zéro ! C’est le moment de se poser et de réfléchir à nos lacunes, car c’est la première fois dans l’histoire que nous sommes payés pour rester chez nous. Les entreprises devraient également investir davantage dans la technologie et le travail à distance. Cela apportera à terme plus d’efficience et d’inclusion dans le monde du travail, notamment pour les personnes à mobilité réduite.
Quelles stratégies les entreprises devraient-elles mettre en œuvre pour être prêtes pour l’après-crise ?
L’après-crise demandera un changement de paradigme profond dans notre façon de penser. Nous avons besoin d’une nouvelle approche face au business, et l’Environmental, Social and Governance (ESG) y occupera une place centrale. Nous ne pouvons analyser ce problème sans précédent à travers le prisme d’une mentalité révolue. La meilleure stratégie est de générer un maximum de revenus et de le conserver jusqu’à ce qu’il y ait plus de visibilité sur l’évolution économique. L’objectif est de maintenir les opérations au maximum et préserver l’emploi. Les PME nécessiteront également beaucoup de soutien, étant en effet un des piliers de notre économie. Je salue d’ailleurs les efforts du gouvernement en ce sens.
Qu’est-ce qui va changer après le Covid-19 et est-ce que de nouveaux secteurs économiques vont émerger ?
Nous sommes en territoire inconnu. Il y a une crise au niveau de la demande, la chaîne d’approvisionnement est perturbée et les actifs perdent de leur valeur. Toutefois, nous devons protéger nos services financiers, tout particulièrement le secteur bancaire, pour que cette crise sanitaire ne se transforme pas en crise financière. Une fois le volet sanitaire résolu et la peur éliminée, la confiance fera son grand retour. Notre système de santé aura un grand rôle à jouer en ce sens. Ce qui changera, c’est ce qui a été dit depuis longtemps déjà : la boussole du pouvoir économique pointera désormais vers l’Est. Les tigres d’Asie ont vécu pire en 1997 et ils vont rebondir. L’Inde et la Chine ne seront pas en récession. Ils vont être les architectes de leur propre reprise. L’Afrique a pour sa part été touchée, mais pas de la même façon que l’Europe et les États-Unis pour l’heure. Le noyau de la croissance se situera donc au cœur de l’axe Asie-Afrique dans un proche avenir et Maurice est bien positionnée pour en profiter.
Les entreprises locales devront s’adapter aux changements dans la consommation. Cela se traduira par un changement dans la chaîne de distribution. Les achats en ligne et la livraison à domicile vont entrer dans les mœurs durablement, un clin d’œil aux temps jadis où la population se faisait livrer ses fruits et légumes par des marchands à bicyclette…
L’Agro-industrie, secteur délaissé depuis longtemps, va prendre un nouvel essor. Il est grand temps qu’il devienne industriel afin que nous devenions autosuffisants en produits de qualité à des prix abordables. Nous avons ces derniers temps vu des pénuries artificielles et des flambées de prix. Les consommateurs locaux méritent mieux et s’il faut modifier les filières de distribution, ainsi soit-il ! Au final, c’est le consommateur qui aura le dernier mot. Verrons-nous enfin la réforme économique tant attendue avec une revalorisation de notre industrie locale ?
Le ministre des Finances avait parlé de recul de 6% du taux de croissance pour l’année en cours, soit -3%. Aujourd’hui, certains économistes sont plus pessimistes et évoquent même une décroissance de 10% de notre PIB. Qu’en pensez-vous ?
Malheureusement, je ne possède pas de boule de cristal. Ce qui est sûr, c’est que nous allons définitivement vers une croissance négative. La question est de savoir combien de temps cela durera et, d’autre part, à quelle vitesse nous rebondirons. Je n’ai aucun doute quant à notre capacité à surmonter cette crise. La fin de l’année devrait être moins morose et on devrait commencer à noter de légers signes de reprise vers 2021, s’il n’y a pas d’autres perturbations au cours des prochains mois.
Le plus touché actuellement c’est le secteur de l’aérien et des voyages. Les avions sont cloués au sol et Air Mauritius vient d’être mise sous administration volontaire. Aura-t-elle les moyens de se relever de la crise du Covid-19 ?
La situation est difficile pour tous les acteurs économiques et Air Mauritius ne fait pas exception. Rappelons-nous toutefois que la direction a beaucoup travaillé sur un plan de relance. Avec la nomination des administrateurs, la réforme du « balance sheet » sera plus facile. Le plus important, c’est que l’esprit de réforme était déjà là. Air Mauritius est notre seul transporteur aérien national. Il a su nous apporter son support en ce temps de crise et nous devons rendre hommage aux efforts de son équipe.
Le déconfinement doit-il se mettre en place en plusieurs phases selon vous, et si oui, par quoi commencer ?
Pour savoir comment déconfiner et par où commencer, nous devons nous laisser guider par les professionnels de la santé et suivre leurs consignes. La réouverture doit se faire en tenant compte des risques d’une nouvelle vague. Un mort, c’est déjà un de trop.
Avec toutes les aides gouvernementales mises en place, on sait déjà que la dette souveraine de Maurice explosera après le virus. Où le pays trouvera-t-il ces ressources financières tout en gérant au mieux le remboursement de la dette dans les prochaines années ?
Je pense qu’il ne faut pas analyser ce problème avec les indicateurs financiers qu’on utilise en temps normal. Nous sommes dans une situation inédite et cela requiert une approche « out of the box ». Je pense que la meilleure chose serait de réunir les experts de tous bords afin de trouver des solutions innovantes. Le « helicopter money » pourrait également figurer parmi les solutions financières.