Adi Teelock (membre de Platform Moris Lanvironnman) : « Ce budget contient des mesures nuisibles à l’environnement ! »

Tel est le constat, cru et empreint d’un grand sens de réalisme, du dernier exercice budgétaire, par la militante du développement durable et membre de la Platform Moris Lanvironnman, Adi Teelock. L’activiste ne ménage pas ses mots et exprime ses inquiétudes face à un gouvernement qui « ne comprend pas les problématiques ni les enjeux ». Elle analyse et dresse un état des lieux qui réclame des actions solides, efficaces et réfléchies.
Adi Teelock émet ses réserves, autant que ses propositions, sur toute la question qui touche à la protection de l’environnement et la biodiversité de l’île, ainsi qu’au changement climatique. De même, la condition des femmes ne la laisse nullement insensible. Elle ne manque pas d’aligner, au passage, les grosses lacunes sur un plan comme sur l’autre.

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• Quelle est votre lecture de la situation actuelle en termes de protection de l’environnement et du changement climatique ?

Ces dernières années, ce qui a caractérisé la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique de la part du gouvernement ce sont plutôt le Ease of Doing Business et la Business Facilitation. En effet, que ce soit la protection de l’environnement, le droit du citoyen à défendre l’environnement, ou le droit environnemental, cela a été une attaque en règle au nom de ces deux principes fondamentaux du gouvernement.
Le dernier exemple en date est l’amendement proposé à la Removal of Sand Act pour autoriser l’extraction de sable. Il semble que le ministre de l’Environnement et le gouvernement se sont rangés du côté de groupes hôteliers, qui ne voient que leur intérêt à très court terme au détriment de leur propre intérêt à moyen/long termes, de l’environnement et du bien commun.

• Donc, rien n’a changé : c’est le statu quo ? Ou, au contraire, les choses ont empiré ?

Elles ont empiré. La législation a été maintes fois changée simplement par une Regulation à travers la Finance Act pour enlever des projets d’infrastructures majeurs de la liste des types de projets requérant un Environment Impact Assessment (EIA). Je cite comme exemples : Metro Express, piste d’atterrissage et jetée à Agaléga… Le gouvernement avait aussi décidé d’enlever de cette liste la construction du nouvel aéroport de Plaine-Corail, mais la Banque mondiale, qui devrait financer tout le projet, a imposé un Environment and Social Impact Assessment (ESIA) selon les normes internationales, publié sur le site web de la Banque mais pas sur celui de l’Economic Development Board. Cette non-publication sur le e-Licensing Platform officiel représente un abandon de notre souveraineté nationale au profit de celle d’une banque multilatérale. C’est grave.

Le droit du citoyen pour agir dans l’intérêt de l’environnement en général a été sévèrement limité afin de rendre les recours juridiques très contraignants.
La Climate Change Act et la nouvelle Environment Act (EA) s’avèrent être plutôt des lois pour satisfaire en partie des critères administratifs d’agences internationales de financement. Platform Moris Lanvironnman a longuement analysé l’Environment Bill et a publié une lettre ouverte au Premier ministre et au ministre de l’Environnement sur la partie Strategic Environment Assessment (SEA) qui est, dans l’EA, une coquille au contenu frelaté.

Le gouvernement a aussi passé l’Offshore Petroleum Act en 2021, et en avril 2024, il a signé un accord avec une compagnie française pour l’exploration des eaux profondes, alors que Maurice fait appel à des bailleurs de fonds pour son plan d’atténuation du changement climatique ; c’est-à-dire pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre !
L’exploration des fonds marins et l’extraction d’énergies fossiles ont des impacts négatifs souvent irréversibles sur la biodiversité marine océanique. L’océan lui-même est au plus mal car il est forcé d’absorber un surplus de CO2 qu’il ne peut plus « digérer ».

Mais nous ne sommes pas à une contradiction majeure près. Mener le Road Decongestion Programme et l’extension du Metro Express simultanément, sans aucune étude pour en évaluer les conséquences entremêlées sur l’environnement, le social, le Land Drainage, la congestion routière, la soutenabilité financière et économique, entre autres, n’est pas ce que l’on attend d’un gouvernement qui dit œuvrer dans l’intérêt du pays. Et dans le budget, la gamme de bénéficiaires de voitures hors taxes a encore été élargie !
Je pourrais donner davantage d’exemples…

• Comment en sommes-nous arrivés là, d’après vous ?

Le fond du problème réside, pour moi, en trois choses : un modèle de développement fondé sur la croissance à tout prix ; une méconnaissance des problématiques et des enjeux ; et un mode de gestion des affaires publiques où priment les intérêts particuliers au détriment du bien commun et de la collectivité, quand ce n’est pas dû au-petit-bonheur.
La politique économique du gouvernement s’insère dans un modèle où les seuls indicateurs de mesure de « progrès » sont la croissance du Produit intérieur brut (PIB) et le niveau de revenu national brut par tête d’habitant. Or, lorsqu’il est question de développement durable, de progrès social, et de protection et amélioration de la biodiversité, ces deux indicateurs présentent un tableau faussé de la réalité.

En effet, ils masquent les inégalités sociales et de genre, et ne tiennent pas compte de la contribution à l’économie des écosystèmes naturels, de la biodiversité. Ces derniers sont considérés comme des ressources illimitées et gratuites où l’économie peut puiser à volonté et où les dégâts ne sont pas comptabilisés.

• Quelle est votre lecture des mesures concernant le changement climatique et la protection de l’environnement dans le dernier budget ?

Ce budget contient des mesures qui souvent vont dans le sens contraire de ce qui devrait être fait pour consolider la résilience de Maurice face au changement climatique et protéger la biodiversité. Il est à l’image de la politique d’un gouvernement qui ne comprend pas les problématiques ni les enjeux. Plusieurs des mesures sont des répétitions, d’un budget à l’autre, et sans qu’aucune évaluation des bilans n’ait été faite. Des exemples parmi d’autres : la construction de drains, la création de forêts ou plantation d’arbres, la création de centres régionaux de valorisation de déchets solides, la sécurité alimentaire…
Pire ! Ce budget contient des mesures franchement nuisibles à l’environnement, les écosystèmes naturels et la biodiversité. Par exemple, « restaurer » des plages en faisant de l’extraction de sable du lagon est non seulement inefficace, mais dangereux. L’extraction de sable a des impacts négatifs importants et irréversibles sur la dynamique des courants marins et la biodiversité. Plusieurs rapports démontrent que cette pratique favorise l’érosion et dégrade la santé de la faune et de la flore marines.

• Pouvez-vous élaborer sur cet aspect ?

Est-ce que l’extraction de sable est la nouvelle stratégie du gouvernement pour répondre au problème de l’érosion de nos côtes ? Est-ce que le gouvernement sait pourquoi des plages restaurées avec des travaux dits de protection contre l’érosion devant des hôtels ont dû être restaurées plus d’une fois ? Est-ce que des études et suivis sur le problème de l’érosion sur le long terme ont été menés pour connaître les raisons de l’inefficacité de ces mesures avant la prise de décision ?

Le comble, c’est que ce n’est qu’après l’annonce de la décision dans le budget que le ministère de l’Environnement publie un appel d’offres pour la conduite d’une étude dans le but de préparer des General Guidelines pour des travaux de réhabilitation urgents de plages devant les hôtels ! Le gouvernement sait-il déjà que ces Guidelines allaient préconiser l’extraction de sable, est-on tenté de se demander.

À propos des fermes de corail, sans des mesures d’ensemble Ridge-to-Reef pour minimiser la dégradation du lagon par des polluants de sources diverses d’origine terrestre et surtout l’apport massif de sédiments dû au lessivage du sol, ces fermes n’auront que très peu de chance de remplir le rôle qu’on veut leur donner.

• Vous semblez bien sévère et désabusée…

Ni l’une ni l’autre, simplement objective. D’année en année, les budgets annoncent la mise en terre de centaines de milliers d’arbres sur un certain nombre d’hectares. Où est le bilan ? L’urbanisation rapide par la multiplication de gros projets immobiliers ainsi que les gros travaux routiers perpétuent la dégradation environnementale et des sols, et sont un facteur contributif au changement climatique.

La perte ces dernières années de centaines d’hectares de forêts établies et de champs de canne signifie la perte de puits de carbone qui ont un rôle si important dans l’atténuation du changement climatique. Et ce n’est pas la création de micro-plantations d’arbres et d’arbustes un peu partout sur l’île qui va compenser cette perte. Ce ne sont là qu’un petit échantillon de ces mesures.

• Vous avez donc d’autres exemples à fournir ?

Oui, bien sûr ! La souveraineté alimentaire, soit la possibilité de chaque pays à maintenir et développer sa propre capacité de produire son alimentation de base, est indispensable car l’agriculture des pays desquels nous importons 80% de nos besoins alimentaires est aussi impactée par le changement climatique, et la capacité d’exportation de ces pays s’en trouvera réduite.
Malgré des milliards de roupies annoncées chaque année et un montant inconnu dépensé depuis 2016, le bilan est extrêmement maigre. Sans stratégie claire et un plan d’accompagnement cohérent établis avec toutes les parties prenantes, rien de significatif ne se produira.

• Quel est votre avis sur la mesure concernant les bouteilles jetables à base de plantes ?
Pourquoi enlever le Levy sur les bouteilles jetables à base de plantes ? Ces bouteilles doivent être traitées dans une unité qui utilise de la haute température (procédé et technologie qui n’existent pas à Maurice) pour les dégrader, car même étiquetées biodégradables, ces bouteilles ne se dégraderont jamais si elles sont simplement enfouies ou mises dans un compost. Tout ce qui est Single Use est nuisible à l’environnement et au climat, car sa fabrication consomme trop d’énergie et génère trop de pollution par rapport à la durée d’utilisation.

• En matière de l’industrie de la Pêche, les nouvelles mesures sont-elles adéquates ?
L’amendement de la Fisheries Act pour autoriser l’utilisation de Large Scale Driftnets ou Demersal Trawl Nets est une autre mesure inquiétante prônée dans ce budget. L’utilisation de ces deux méthodes de pêche a des effets très néfastes sur la faune marine car elle ramasse tout sur leur passage, donc, pas uniquement les poissons comestibles. Les Demersal Trawl Nets raclent les fonds marins, causant d’énormes dégâts à la faune et à la flore marines qui vivent sur ou dans le fond marin.

• Que pensez-vous du Climate and Sustainability Fund ?
Avant tout, les grands groupes du secteur privé devraient reconnaître et assumer pleinement leur part de responsabilité dans la dégradation de nos écosystèmes naturels, de la biodiversité marine et terrestre, et du changement climatique. Il adopte encore souvent aujourd’hui des pratiques qui sont inefficaces et/ou déséquilibrent les écosystèmes naturels et exacerbent les impacts du changement climatique.
La société civile, les ONG qui sont très actives dans le domaine de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique ainsi que de la protection de la biodiversité, sont exclues de la gestion de ce fonds, tandis que le secteur privé, au passif si lourd, sera seul à gérer, avec le gouvernement, ce fonds dont 65% proviendront d’agences internationales. C’est inacceptable.

• Quelles sont pour vous les mesures qui auraient dû avoir été prises ? Quelles sont les urgences ? Et, en cette année électorale, quelles devraient être les priorités du prochain gouvernement ?

Il y en a tellement ! Mais d’abord, il faudrait une réelle et sincère volonté. Toutes ces décisions néfastes mentionnées dans mes réponses précédentes devraient être revues. Tout est urgent : nous n’avons plus le temps de tergiverser et surtout de faire n’importe quoi.

Ce gouvernement n’a toujours pas de plan d’adaptation au changement climatique et est encore à faire appel à des dons pour en réaliser. Il n’a pas non plus de plan pour sortir le pays du charbon d’ici 2030, comme il l’a promis à la COP26 en 2021 – si cela est même faisable. Il n’a de plan pour rien, ou s’il y en a, ils sont soit gardés secrets – comme le Land Drainage Master Plan – ou ne sont soumis à aucune évaluation en cours de route pour voir ce qui marche et ce qui ne marche pas afin de rectifier le tir.

Cette façon de gouverner doit changer. Il faut en finir avec l’opacité et l’exclusion des parties prenantes dans les décisions importantes.

Nous devons revoir nos principaux axes stratégiques de développement pour mieux bâtir notre résilience, et réduire les inégalités sociales, qui se creusent.
Nous devons changer de paradigme et intégrer la nature et le sociétal dans nos décisions de développement, en adoptant, entre autres, le Système de comptabilité environnementale et économique – Comptabilité des écosystèmes (SCEE-CE) des Nations Unies et un indice de développement tel l’Indice de progrès véritable (IPV).
L’IPV comme indicateur de développement est mieux à même de favoriser le progrès, le bien-être et la prospérité pour tous. Contrairement au PIB, l’IPV prend en compte l’impact environnemental et le coût social de la production économique et de la consommation afin d’évaluer le bénéfice net sur le bien-être de l’ensemble de la population. Le SCEE-CE établi par les Nations unies est l’un des outils qui permettront d’établir l’IPV.

• Changeons de sujet : quel regard jetez-vous sur les mesures à l’égard des femmes ?
Je pourrais faire le même constat que ci-dessus à propos de l’environnement ! Ce gouvernement ne comprend pas les problématiques et les enjeux. Il pense pouvoir remédier à des problèmes d’ordre structurel par des mesures au coup par coup. Les Rs 5 000 aux victimes de violence domestique sont à la cause des droits des femmes ce que l’extraction de sable est à la protection de l’environnement : une insulte !

Rs 5 000, c’est tout ce que vaut une femme tabassée par son mari/conjoint ? En cas de multiples récidives, il se passe quoi ? Suspension du mariage ? Divorce automatique ?
Et quid des réformes dans la police, des structures d’accueil et d’assistance, de moyens de subsistance indépendants, de logements décents pour ces femmes et leurs enfants, si souvent obligés de fuir leurs domiciles ? Le congé de maternité de 12 mois – super en soi – est fondé sur quelle évaluation des impacts sur la position des femmes dans le monde du travail ?

• Votre constat est amer…
Pas amer, réaliste. Les femmes sont traitées comme la nature : pas selon leur valeur intrinsèque, mais simplement bonnes à fournir matières premières, force motrice et force de travail. Les femmes sont jugées importantes car elles fournissent les « ressources humaines », selon les mots mêmes du Premier ministre. Le gouvernement a même trouvé moyen dans le budget de faire une caricature de la « Care Economy » en réduisant les femmes à une force de travail. Femmes et nature sont toutes deux subordonnées à l’économie.

• Votre mot de la fin ?
Nous sommes devant un gouffre. Il nous appartient à nous citoyens de défendre les droits humains, la liberté de pensée et d’expression, l’intérêt collectif, la démocratie, et le droit de l’environnement et de la nature auxquels nous devons notre existence et notre survie.
Nous sommes face à un choix : celui d’aller vers l’abîme ou lui tourner résolument le dos et co-créer un monde où le bien-être du collectif est assuré. J’ai confiance en l’action citoyenne et l’intelligence collective !

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