ROWIN NARRAIDOO
Directeur de L’Atelier théâtre Pierre Poivre
Nous parlerons ici de Dev Virahsawmy, militant progressiste et grand visionnaire. Et ce, dans le cadre de la production théâtrale de sa pièce iconique, Li, produite par le Performing Arts Festival (Anou mont lor lasenn) de l’université de Maurice et sponsorisée par la CSU (Creole Speaking Union). Son engagement pour l’acte de création littéraire est étroitement lié à son engagement politique. Au cours d’une rencontre que j’ai eue avec le dramaturge en 2017, Dev insistait que « Li » ne veut aucunement dire « lui ». C’est un titre intraduisible. Li, qui émerge de la prison politique, permet de comprendre la place de la création littéraire pour une personne privée de sa liberté. Li, c’est l’écriture de l’enfermement.
On ne pourra pas parler de l’écriture de l’enfermement si on n’aborde pas la notion de métamorphose qui y est intimement liée. Dans son environnement cloîtré, l’auteur Dev devient le détenu-écrivain. Son entrée en prison est vécue, ici, comme une dépossession de l’image de soi. D’autres diront une bénédiction déguisée.
Dans l’acte de création, Dev fait appel à l’art théâtral et la poésie pour remettre en question la quotidienneté carcérale, ici la prison politique du régime SSR et Duval.
En prison, la police d’alors lui enleva le droit de lire et d’écrire. « Ki liv to pe lir, zet sa, bril li », dira Rawana dans la pièce Li. Il entama une grève de la faim d’une durée de deux semaines pour revendiquer son droit bafoué. Son droit restitué, Dev s’embarqua dans une production spectaculaire en prison : Li, Lafime dan lizie, Disik sale et tant d’autres écrits inédits sur des morceaux de papier journal et paquets de cigarettes.
L’enfermement deviendra pour Dev un moteur pour la réflexion et la créativité. Il rejoint ici les héros de la littérature vivant des expériences de claustration. On a tendance à affirmer qu’ils s’adressent à des « enfermés » ou « bann lespri kolonize »… « Li ousi enn viktim », répond Pierre à Arjouna dans la pièce Li.
Nelson Mandela (27 ans de prison) développa sur Robben Island le concept de coexistence pacifique. Hervé Masson, compagnon de lutte militant de Dev, produisit en prison des croquis, qui sont devenus des chefs-d’œuvre lithographiques. Cet enfermement ou plutôt ce confinement nous ramène à penser aux auteurs suivants : Oscar Wilde, Paul Verlaine, Guillaume Apollinaire. Tous faits prisonniers pour des raisons diverses, et qui produisirent des œuvres colossales en milieu carcéral.
Si la prison est profusément critiquée en raison de ses abominables conséquences sur ceux qu’elle prétend redresser, on ne soulignera jamais assez tout ce que lui doit la littérature.
Il y a eu aussi l’intervention militante et progressiste de Dev en milieu carcéral pour une autre façon de réhabilitation des détenus de la prison de Beau-Bassin. Avec le soutien de l’ex-commissaire des prisons, Jean Bruneau, Dev a réussi là où d’autres ont failli. L’apprentissage du kreol morisien deviendra un outil de libération pour les détenus. Les témoignages des ex-détenus sont poignants et se résument à la conclusion qu’apprendre à lire et écrire dans sa propre langue maternelle peut aider à apprendre l’anglais et d’autres langues.
La naissance de la chanson « Lasours »
L’inspiration de Dev prit naissance à l’enterrement d’Azor Adelaïde, qui fut assassiné en pleine journée à Curepipe par des nervis du PMSD, un parti politique d’extrême droite.
« Nou bizin met sime kler, konstrir bann pon »
« Pou sak flanbo ki pou tegn, ena mil pou alime »
« Pa par pa ziska lasours »
Feu cardinal Jean Margéot avait fait part de son étonnement qu’un athée (en parlant de Dev) ait pu écrire des paroles comme cela. C’est quelqu’un qui a la foi en Dieu. Donc, un croyant. Un marxiste-léniniste athée devenu, avec le temps, un chrétien.
Allez découvrir la beauté de ce texte en écoutant « Grup soley ruz » (Référence : Filou-moris de Philippe de Magnée.)
Le club des étudiants d’alors, Paul Bérenger, Dev Virahsawmy et les autres ont changé et bouleversé la scène politique des années 70. Tous les partis politiques d’alors (PTr/PMSD/IFB/CAM) étaient dépourvus de structures solides, contrairement au Mouvement militant mauricien naissant qui avait des structures d’organisation, bureau politique, comité central, régional, et même des cellules.
Le souci et la conviction de Dev Virahsawmy furent la conscientisation. Conscientiser le peuple fut sa priorité. Allez découvrir l’essentiel, le langage hautement poétique et politique de ses écritures au sein des « sante angaze ». Éduquer le peuple et l’aider à construire une nation à travers la reconnaissance de sa langue maternelle. Militants convaincus, Bam Cuttayen, Micheline Virahsawmy, Menwar, les frères Joganah ont tous compris et ont été convaincus de l’importance de la conscientisation à travers des chansons. Ils ont réussi à convaincre lors de leurs multiples tournées sur l’île. Et ils ont réussi à révolutionner le paysage musical mauricien.
Dev Virahsawmy fut à l’origine de la création du Grup Soley Ruz. Le but principal était la promotion du kreol morisien.
Cette démarche rejoint celle du groupe Ziskakan du Réunionnais Gilbert Pounia. « Ce qui est ironique, c’est qu’on se bat pour la langue kreol depuis plus de 50 ans », dira Gilbert Pounia dans son entretien à L’express.
C’est bien cette volonté et persévérance qui mena aux conflits et divergences d’idées entre deux sensibilités différentes, ce qui donna la naissance au MMMSP. Paul Bérenger n’a pas compris cette démarche et n’a pu faire le discernement entre la contradiction principale et secondaire, élément important du marxisme. Des scissionnistes étaient de fervents défenseurs de la thèse : oui à la Conscientisation et non pas les élections pour prendre le pouvoir.
Les premiers discours de Dev Virahsawmy au Parlement portèrent surtout sur les gender issues, l’autosuffisance alimentaire, l’avortement, la sécurité alimentaire. Tous les grands thèmes qu’il avait abordés sont d’actualité aujourd’hui. C’est dans le Hansard de l’Assemblée législative qu’on pourra bien apprécier et découvrir l’essentiel de ses discours. Voilà pourquoi je dis que Dev Virahsawmy est un grand visionnaire.
Parlons maintenant de ses compétences de traducteur. En valorisant le métier de traducteur, Dev a voulu démontrer les possibilités illimitées de la langue kreol. Il était possible de traduire les William Shakespeare, Molière, Saint-Exupéry, de grands livres sacrés, et les Fables de la Fontaine, entre autres.
La production de l’opéra rock Zozef ek so palto larkansiel par le père Gérard Sullivan, faisant appel au génie et à la compétence de Dev, vient confirmer son savoir-faire.
Souhaitons qu’un jour Dev Virahsawmy décroche le prix Nobel de littérature pour l’ensemble de ses travaux et créations littéraires comme l’avait tant souhaité depuis 2017, Axel Gauvin, autre militant culturel réunionnais.
Avant de nous dire « salam », n’avait-il pas lutté pour la légalisation du cannabidiol pour soulager les souffrances des cancéreux ? Ne nous a-t-il pas averti de la nécessité de planter « friyapin » chez nous ?
Pour clore cette réflexion, disons qu’un titre honorifique GOSK (accordé à Dev par le Président de la République) ne suffit pas. Il faut que l’État approuve et reconnaisse dans la pratique de la vie républicaine la valeur de ce patriote hors pair qu’est Dev Virahsawmy.