À l’heure où la question climatique se fait de plus en plus pressante, les débats n’en finissent plus afin de se décider, une bonne fois pour toutes, sur le chemin à emprunter. Notre modèle économique étant à la source même de ce que l’on considère, à raison, comme le plus grand défi de notre siècle (et peut-être même le dernier, car pouvant signifier notre arrêt de mort), le choix le plus logique aurait été bien sûr de mettre en pause toute notre machinerie industrielle, ou tout au moins d’en ralentir la cadence. Ce qui est hélas tout bonnement impossible, car cela signifierait de regarder s’écrouler notre sacro-saint système comme un banal château de cartes. Ce dont nous ne voulons absolument pas.
C’est que trop d’intérêts sont en jeu : ceux des industriels, d’abord, mais aussi de quasiment l’ensemble de la population mondiale, car dépendant, de manière directe ou non, de notre modèle économique. Sans oublier, bien sûr, tous ceux (politiques, intermédiaires, etc.) qui, au milieu de cette chaîne consumériste, profitent largement de cette manne providentielle. Ainsi, puisque de changement il n’est nullement question, ne reste plus que l’option des mesures d’adaptation. Seule possibilité, selon nous, de ne pas quitter l’église de la croissance. Et tant pis pour la casse !
Pour illustrer cette ineptie, prenons le cas cette semaine de nos… bovins ! Pourquoi les bovins ? Eh bien parce que l’homme étant omnivore, il mange aussi de la viande. Certes, ce n’est pas nouveau dans l’histoire de l’humanité; en revanche, ce qui nous différencie des temps anciens, c’est que depuis l’avènement de l’ère industrielle, nous avons fait de la viande un commerce plus juteux qu’un bon steak saignant. Aussi, pour satisfaire notre appétit insatiable, nous n’aurons cessé, depuis des décennies déjà, de déboiser, à la fois pour laisser gambader gentiment nos cheptels, mais aussi pour cultiver de quoi nourrir ces derniers. Des centaines de millions d’hectares que nous aurons donc dédiés à notre seul plaisir immédiat.
Or, nos bovins, tout comme tous les animaux d’ailleurs, sont aussi de grands pollueurs, au point de menacer notre avenir climatique. Il est ainsi estimé que la Terre compte environ 1,7 milliard de bovins, soit en moyenne un animal pour cinq humains, et que ceux-ci émettent à eux seuls près de 10% des gaz à effet de serre d’origine humaine relâchés dans l’atmosphère. Soit encore 5,2 milliards de tonnes d’équivalent CO2 par an, ou encore la facture carbone de l’industrie mondiale du transport. C’est trop, beaucoup trop ! Et cela, sans compter les émissions de méthane, en quantité elles aussi astronomiques, rejetées au cours du processus de rumination, et dont le pouvoir réchauffant est 25 fois plus important que celui du dioxyde de carbone.
Face à ces chiffres mortifères, nous n’avons donc d’autre choix que de revoir notre consommation de viande, bovine principalement, les autres animaux d’élevage (cochons, poulets et autres petits ruminants, tels que moutons et chèvres) « pesant » en effet bien moins sur le climat. Pour ce faire, plusieurs options s’offrent à nous, comme de n’élever que des vaches exclusivement nourries à l’herbe, ou de chercher un moyen de réduire la production de méthane dans le système digestif de nos cheptels. Dans tous les cas, il nous faut obligatoirement s’attaquer au phénomène de surpopulation bovine. Problème : les plus gros producteurs mondiaux sont la Chine, l’Inde, les États-Unis, le Brésil et l’Europe, autrement dit des régions du monde où l’on est le moins enclin à s’inscrire dans un tel processus, tant le coût économique, mais aussi social, serait important.
Cet exemple concernant nos élevages, et qui concerne directement notre mode de (sur)consommation, met en évidence un mal bien contemporain, en l’occurrence celui consistant à privilégier les mesures d’atténuation à celles visant à un rééquilibrage de l’écosystème général (dans le sens économique, mais aussi culturel et environnemental), ce qui passerait obligatoirement par un changement de paradigme sociétal. Dit autrement, face à un mal rongeant notre planète de l’intérieur, il semble que nous préférions toujours l’option Panadol. Laquelle nous permettra de « ruminer » encore quelques années sur notre triste sort confortablement assis les pieds sur… l’étable !