À l’ère de l’intelligence artificielle, écrire pour rester authentique

NANDA PAVADAY

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En 2023, il a beaucoup été question de l’intelligence artificielle et de Chat GPT. Le processus de création est un chemin parsemé de doutes et, pour beaucoup, l’idée de pouvoir mécaniser cette partie du travail est une aubaine dont il s’agit de profiter. Toutefois, j’écris toujours mes propres textes parce que j’aime créer des idées. C’est ce que je fais pour gagner ma vie. J’ai toujours pensé que donner naissance à une idée était la chose la plus excitante à laquelle on puisse participer, la chose la plus fantastique que nous faisions en tant qu’être humain. Les idées peuvent changer le monde, apporter de l’espoir là où il n’y en a pas.

Avoir des idées est également la chose la plus démocratique que nous faisons. Vous n’avez pas besoin d’être riche pour avoir des idées. Ou d’avoir des relations et des contacts. Vous n’avez pas besoin d’acheter un équipement spécial ou de suivre une formation spéciale pour le faire. Personne ne peut vous empêcher d’avoir des idées. Vous pouvez avoir des idées où que vous soyez. Tout ce dont vous avez besoin, c’est d’un stylo, d’un carnet pour noter et d’imagination.

Qu’est-ce qu’une idée? Imaginez que vous ayez un proche vivant à l’étranger et que vous vouliez lui dire que vous pensez à lui. Vous pouvez lui écrire une lettre pour exprimer vos pensées, ou ce que vous ferez, c’est prendre un pot d’achard, le sceller, l’emballer dans un journal, et le lui envoyer. Le moment où il l’ouvre, il n’ouvre pas seulement un pot. Il répand autour de lui des sentiments, des émotions, des souvenirs… Il le goûte et cela lui laisse un subtil parfum dans sa bouche et dans son cœur. C’est la même chose avec une idée. Si vous devez partager un message, transmettre une émotion, vous devez réfléchir à la manière de l’emballer pour qu’il puisse voyager à travers la distance et le temps, pour que, lorsque la personne l’ouvre, les sentiments se répandent et restent avec elle. La communication est une transmission d’émotions. Lorsque vous devez faire passer un message, vous devez avant tout vous demander comment l’emballer.

C’est aussi comme ça que cela fonctionne lorsque vous écrivez un discours, que vous faites un film ou que vous écrivez un livre. Tout se résume toujours à la manière dont vous condensez tout en une seule idée. Il est également important de comprendre que l’écriture est différente de la communication. Lorsque vous écrivez, vous pouvez écrire pour vous-même. Vous écrivez quelque chose que vous voulez exprimer pour le sortir de vous, et cela n’a pas d’importance si personne ne lit votre texte. Lorsque vous communiquez, vous communiquez toujours avec une autre personne. C’est lui le héros de l’histoire, pas vous. Vous devez toujours penser à lui, à ce qui est pertinent pour lui. Parfois, cela peut être quelque chose de simple et banal, mais cela vous permet de vous connecter à la personne parce que vous avez pris la peine de penser à elle, vous avez prêté attention à ce qui est important pour elle. L’idée joue un rôle important dans beaucoup de choses, et elle est au cœur de la communication elle-même. La créativité est une rivière qui nourrit ceux qui viennent à ses rives. Elle nourrit celui qui entend le flot de ses cours d’eau, s’approche pour le voir, tend la main pour le toucher, entre dans ses profondeurs, plonge en elle.

Au cours des 30 dernières années, les idées ont été ma plus grande passion et ma quête la plus durable. Mais pas n’importe quelles idées, des idées qui vous charment et vous emportent. Des idées que vous voudriez ramener chez vous et présenter à vos parents. Des idées que vous voudriez mettre dans un vase et placer sur votre table. Ou mettre dans un cadre et accrocher au mur de votre chambre. Des idées que vous voudriez porter comme un collier. Ou sur votre tête comme une couronne. Des idées que vous voudriez tenir dans la paume de votre main pour les regarder de plus près. Des idées que vous mettriez dans un vaporisateur et utiliseriez parcimonieusement pour garder votre chambre fraîche. Des idées que vous fredonneriez le matin quand vous vous réveillez ou chanteriez à un être cher dans un moment plus léger. Des idées que vous coudriez comme un vêtement pour vous réchauffer lorsque les soirées sont froides ou que vous mettriez dans la nourriture que vous mangez pour vous nourrir de l’intérieur.

Au fil des ans, trouver des idées a également été ma thérapie, mon abri, ma zone de confort, ma source de bien-être, ma force, mon arme secrète, mon sauveur, ma position sociale, mon tout quand je n’avais rien, ma raison de continuer…

Je continue de trouver mes propres idées et d’écrire parce que je veux être présent dans mon écriture. Je veux engager une conversation authentique avec mes lecteurs. L’écriture donne la possibilité de se connecter.

Je n’ai pas peur d’être remplacé par une machine parce que je n’écris pas seulement avec ma tête. J’écris avec tout être: mon corps, mon cœur, mes tripes, et le sang qui coule dans mes veines.

L’écriture m’aide à formuler mes idées, m’apprend ce qui compte pour moi, sur mes valeurs et sur qui je suis. Elle me force à être présent. À faire attention. À être pleinement immergé dans le moment pour ne pas traverser la vie comme un somnambule. Elle me force à plonger dans les profondeurs de mes pensées, de mes émotions et de mes expériences, dans un voyage d’exploration qui dévoile les couches de ma propre conscience. L’écriture me permet de devenir une version plus authentique de moi-même.


Extrait de Tizistwar nou pays 2: Dipain Maison

En ce temps-là, on se faisait réveiller le matin par l’appel du marchand de pain faisant sa tournée à bicyclette. Son sac rempli de pains, il s’arrêtait devant chaque maison et se mettait à crier à tue-tête : « Dipain… diiipaaaainnn. »

Notre papa s’empressait alors de se lever du lit pour prendre le sac de pain accroché au poignet de la porte ou suspendu à un clou dans la cuisine, et s’en allait récupérer les pains chauds qu’avait apportés le marchand.

Certaines personnes plus matinales, notamment celles qui allaient travailler de bonne heure, se rendaient directement à la boulangerie pour acheter leur pain. Entrer dans une boulangerie, c’était comme être dans les coulisses de ce spectacle qu’est la fabrication du pain. On avait le privilège d’apercevoir le boulanger, tout blanc de farine, s’affairer à enfourner les pains encore en forme de pâtes, après les avoir façonnés de ses mains expertes. Le parfum enivrant de la levure et de la farine qui emplissait l’air vous chatouillait les narines. Le silence de l’aube était rompu par le crépitement caractéristique de la croûte du pain fraîchement sorti du four qui vous mettait de bonne humeur. Les gens faisaient la queue dans une ambiance chaleureuse, attendant avec impatience leur tour pour pouvoir tenir entre leurs mains les baguettes de pain chaudes. Parfois, il arrivait que la personne partie chercher le pain à la boulangerie revenait à la maison avec la moitié d’une baguette déjà entamée en chemin, n’ayant pas pu attendre tant le pain était croustillant.

Pendant ce temps, dans les maisons, les rayons du soleil commençaient à filtrer à travers les rideaux. Le matin se levait, et avec lui, la symphonie des premiers pas dans la cuisine des membres de la famille se préparant à accueillir une nouvelle journée. Le pain rassemblait tout le monde autour de la table, générant une atmosphère chaleureuse et conviviale. Les enfants attendaient le moment de rompre la croûte croustillante du pain, libérant une vapeur chaude et parfumée. Dans un ballet orchestré par la tradition, le pain était partagé avec générosité autour de la table. Les mains se tendaient, les sourires s’élargissaient. Le premier morceau était le plus précieux, un instant volé au temps. Le parfum particulier du levain se répandait dans l’air, une odeur qui rappelle encore les matins d’enfance, lorsque les journées semblaient infinies, où le rythme de la vie était plus lent et où les petits plaisirs simples étaient pleinement appréciés.

Il est coutume de dire qu’une bonne journée commence avec un bon petit-déjeuner. Le petit-déjeuner de la famille moyenne d’antan se composait d’un morceau de pain avec diber Mil et du thé qu’on buvait dans un gobelet en aluminium. Certaines personnes ajoutaient une tranche de fromage dans leur pain, et d’autres le mangeaient avec une banane. Les personnes âgées aimaient, quant à elles, tremper leur pain beurré dans leur tasse de thé avant de le déguster. Une fois le petit-déjeuner terminé, tandis que le papa se préparait pour aller travailler, la maman s’occupait de préparer le sac de travail de son mari, mais surtout le sac d’école des enfants, le grand souci de toutes les mamans depuis la nuit des temps. « Ki pou met dan dipain zenfan gramatin pou zot amenn lekol? » C’était souvent du pain avec diber plim ou diber pistass ou dipain konfitir, emballé dans une serviette que l’enfant glissait dans son cartable ou sa petite tente lekol.

D’autres fois, c’étaient des moules tranchés en forme de sandwich garnis de confiture ou de fromage et d’une feuille de laitue, qui faisaient office de casse-croûte pour affronter une longue journée à l’école. Au moment où l’enfant quittait la maison, on entendait la maman crier : « Pa bliye pran to dipain avan to alé. » L’après-midi, lorsque l’enfant rentrerait de l’école, sa maman ouvrirait immédiatement sa petite tente lekol pour vérifier s’il avait mangé son pain. Parfois, en voyant que le pain était resté intact, la maman s’exclamait: « Aiyo, ala so dipain inn ress la pé riye ar moi. Inn pran bien la peine inn prepar sa pou li, ou lé croire li pa finn manze? »

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