Perte de la biodiversité, explosions sociales, Covid et Dengue, guerre en Ukraine, inflations et perte de pouvoir d’achat généralisé, trafics en tous genres, crimes organisés et recrudescence de la violence. Tant de fléaux à gérer et si peu de temps. Pour autant, en matière d’urgence, le premier prix revient inévitablement au changement climatique qui, si nous continuons d’attendre les bras croisés, promet de nous faire vivre le pire. Certes, nous connaissons les enjeux, autant que le chemin que nous devrions suivre pour éviter la catastrophe, mais une question demeure : combien de temps nous reste-t-il ?
À vrai dire, cette question est complexe ; tellement d’ailleurs qu’elle divise encore au sein même de la communauté scientifique. Il faut dire que prédire avec précision l’instant « t », déterminant donc le moment où rien de ce que nous pourrions faire ne puisse plus influer positivement le dérèglement climatique, relève quasi davantage de la divination et de la prophétie que de la science, tant les paramètres à prendre en considération sont nombreux. Certains se sont cependant essayés à l’exercice, avec des résultats fluctuant entre 2030 et 2050 pour les plus optimistes, et… 2023 et 2040 pour les autres ! Bref, nous sommes à peine plus avancés et nageons en pleines spéculations.
Ce qui est certain, en revanche, c’est que le climat ne se soigne pas comme une banale grippe. Ici, aucun vaccin, aucun antibiotique. Aucune solution ne viendra réparer le « Système Terre » en un simple claquement de doigts. À imaginer un instant que nous puissions stopper net nos émissions de gaz à effets de serre que notre planète continuerait de se réchauffer encore pendant plusieurs décennies. Autant dire encore une fois qu’il apparaît aussi hasardeux que futile de vouloir prévoir avec exactitude l’instant où le climat s’emballera.
Pourtant, il doit bien y avoir un moment critique; un instant précis où le vivant ne pourra plus que subir, un peu à la manière d’un jeu de dominos où, une fois le premier tombé, plus rien ne peut empêcher les autres de lui emboîter le pas. Pour résumer, l’emballement climatique naît du franchissement d’un point de basculement. S’en suit alors une rétroaction positive jusqu’à ce que le climat ait à nouveau atteint un nouvel état stable. Ce qui, là encore, prend un certain laps de temps. Court à l’échelle géologique, mais énorme à l’échelle humaine. Tellement énorme qu’il pourrait bien signer notre extinction, et au passage celles d’autres millions d’espèces.
Cet instant « t » est donc imprévisible, nous laissant seuls face à nos interrogations. Or, cette question est vitale. Car dépourvus de visibilité et d’objectif à atteindre (ou à ne pas atteindre), rien ne nous interdit de penser que nous avons encore le temps. Et alors que nous devrions rapidement enclencher la deuxième vitesse afin de minimiser les dégâts – à défaut de ne pouvoir les éviter –, nous revoici conduits à l’immobilisme. Bref, bloqués à jamais (semble-t-il) sur la case départ sans aucune envie de relancer les dés.
Rien ne semble donc nous éloigner de l’enfer. Le fameux seuil critique – celui-là même au-delà duquel le système se réorganisera de la manière la plus abrupte et irréversible qui soit – est déjà là, quelque part. Tapis dans l’ombre et attendant patiemment son heure. Pendant que nous regardons, impassibles, tous les voyants passer du vert à l’orange, puis de l’orange au rouge. Immuables, comme si nous pensions le temps figé.
Malgré les menaces, comme celle révélée récemment faisant état de la surchauffe des océans, devenue littéralement explosive, et cette possible amorce du début d’une toute nouvelle ère climatique. Pas des plus favorables au vivant, faut-il le préciser.
Ou encore de cette énième analyse de l’état de l’Arctique, dont la fonte, dit-on, libérera « beaucoup plus de méthane que prévu », par le biais du permafrost (l’on parle ici de milliards de tonnes de gaz à effet de serre jusqu’ici emprisonnés). À force de voir les mauvaises nouvelles s’emballer, un jour viendra où le climat finira par en faire autant. Autant dire l’importance de situer le moment de l’emballement, le fameux point « E ». À moins qu’il ne soit déjà passé, sans que nous n’en ayons encore pris conscience.